Citations sur Le grand Meaulnes (329)
"Vous êtes belle", dit-il simplement.
Il me montrait un visage où, dans la poussière et la boue, les larmes avaient tracé des sillons sales, un visage de vieux gamin épuisé et battu. Ses yeux étaient cernés de taches de rousseur ; son menton, mal rasé; ses cheveux trop longs traînaient sur son col sale. Les mains dans les poches, il grelottait. Ce n'était plus ce royal enfant en guenilles des années passées. De cœur, sans doute, il était plus enfant que jamais : impérieux, fantasque et tout de suite désespéré. Mais cet enfantillage était pénible à supporter chez ce garçon déjà légèrement vieilli... Naguère, il y avait en lui tant d'orgueilleuse jeunesse que toute folie au monde lui paraissait permise. A présent, on était d'abord tenté de le plaindre pour n'avoir pas réussi sa vie; puis de lui reprocher ce rôle absurde de jeune héros romantique où je le voyais s'entêter... Et enfin je pensais malgré moi que notre beau Frantz aux belles amours avait dû se mettre à voler pour vivre, tout comme son compagnon Ganache... Tant d'orgueil avait abouti à cela!
Sur l'herbe courte et légèrement jaunie déjà, nous marchions tous les trois sans bruit : Augustin avait à sa droite près de lui la jeune fille qu'il avait crue perdue pour toujours. Lorsqu'il posait une de ces dures questions, elle tournait vers lui lentement, pour lui répondre, son charmant visage inquiet; et une fois, en lui parlant, elle avait posé doucement sa main sur son bras, d'un geste plein de confiance et de faiblesse. Pourquoi le grand Meaulnes était-il là comme un étranger, comme quelqu'un qui n'a pas trouvé ce qu'il cherchait et que rien d'autre ne peut intéresser ? Ce bonheur-là, trois ans plus tôt, il n'eût pu le supporter sans effroi, sans folie, peut-être. D'où venait donc ce vide, cet éloignement, cette impuissance à être heureux, qu'il y avait en lui, à cette heure ?
Déjà, me regardant sans me voir, il était absorbé par ce qu'il allait me dire. Comme autrefois et comme toujours, homme lent à commencer de parler, ainsi que sont les soli-taires, les chasseurs et les hommes d'aventures, il avait pris une décision sans se soucier des mots qu'il faudrait pour l'expliquer. Et maintenant que j'étais devant lui, il commençait seulement à ruminer péniblement les paroles nécessaires.
Sur la route blanchie de givre, les petits oiseaux tourbillonnaient autour des pieds de l'âne trottinant. De temps à autre, sur le grand calme de l'après-midi gelé, montait l'appel lointain d'une bergère ou d'un gamin hélant son compagnon d'un bosquet de sapins à l'autre. Et chaque fois, ce long cri sur les coteaux déserts me faisait tressaillir, comme si c'eût été la voix de Meaulnes me conviant à le suivre au loin...
Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189...
Je continue à dire « chez nous », bien que la maison ne nous appartienne plus. Nous avons quitté le pays depuis bientôt quinze ans et nous n'y reviendrons certainement jamais.
Ah ! Frère, compagnon, voyageur, comme nous étions persuadés, tous deux, que le bonheur était proche, et qu'il fallait suffire de se mettre en chemin pour l'atteindre !...
Souvent, plus tard, lorsqu'il s'endormait après avoir désespérément essayé de se rappeler le beau visage effacé, il voyait en rêve passer des rangées de jeunes femmes qui ressemblaient à celle-ci.
Et puis j'apprendrais aux garçons à être sages, d'une sagesse que je sais. Je ne leur donnerais pas le désir de courir le monde, comme vous le ferez sans doute, monsieur Seurel, quand vous serez sous-maître. Je leur enseignerais à trouver le bonheur qui est tout près d'eux et qui n'en a pas l'air...
Je suis comme cette folle de Saint-Agathe qui sortait à chaque minute sur le pas de la porte et regardait, la main sur les yeux, du côté de La Gare, pour voir si son fils qui était mort ne venait pas.