AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Nastasia-B


La diversité humaine est décidément sans limite (ou presque). Récemment, dans une librairie de Bordeaux, une libraire anonyme a écrit à propos de Moderato cantabile de Marguerite Duras, je cite : « Un livre d'une grande beauté et d'une intensité rare, offert à demi-mots dans la langue si particulière de Duras : un chef d'oeuvre. » Si j'avais eu, moi, à écrire quelque chose à son propos, j'aurais écrit : « Purge absolue, vide intersidéral. Économisez votre temps et votre argent, passez votre chemin, choisissez-en un autre. »

Et en effet, une fois encore avec ce livre, je constate que les goûts humains peuvent être diamétralement opposés. le grand Meaulnes, fait partie des romans favoris — pour ne pas dire LE roman favori — d'un nombre incalculable de francophones. (Notons toutefois que ce titre est rarement cité — voire jamais — dans les listes étrangères dédiées aux meilleurs romans de langue française. À questionner, c'est juste un constat que je fais, je n'ai pas d'explication précise à cela.)

Eh bien en ce qui me concerne, le grand Meaulnes et moi, c'est l'histoire d'une rencontre qui ne s'est pas faite, du moins, pas bien faite. Cocasse, non, au vu de son sujet ? Laissez-moi, si vous le permettez, vous raconter dans quelles conditions cette non-rencontre s'est effectuée.

J'étais en classe de 4ème, époque où, poussée probablement par mes jeunes hormones, j'étais plus rebelles encore qu'à l'ordinaire, réfractaire comme jamais à l'autorité, fût-elle légitime. Bon, bref, ma professeure de français nous proposa, comme lecture imposée : le grand Meaulnes.

Un livre, qui, vous vous en doutez, ne fut pas lu par moi, non par manque d'intérêt pour la lecture, mais bien précisément parce que cette lecture était IMPOSÉE ! J'ai donc ouï parler de cette oeuvre en cours, entendu mes camarades d'alors s'exprimer à son sujet, mais l'ensemble restait pour moi assez nébuleux.

Puis les années passèrent, je lus de plus en plus de littérature, m'aperçus que bon nombre des lecteurs que je côtoyais appréciaient grandement cette oeuvre , finis par me dire que ce titre figurerait dans mes projets de lecture à un moment ou à un autre, et puis...

... et puis beaucoup d'années ont passé avant que je ne m'y attèle. Peut-être trop d'années, je ne sais. Toujours est-il que voilà peu, j'entamai cette lecture, convaincue qu'elle me séduirait, et j'en ressors, convaincue du contraire.

J'ai tout trouvé maladroit, factice, peu crédible et, finalement, de peu d'intérêt à mes yeux. Comment ce qui plaît tant à d'autres peut-il me plaire aussi peu ? Là, mystère. En tout cas, ce que je puis faire, au titre du partage communautaire, c'est d'égrener ce qui, pour moi, n'a pas fonctionné dans l'ouvrage.

En premier lieu, l'écriture en elle-même, notamment les dialogues que je trouve assez mauvais dans l'ensemble, et la mécanique narrative, pas beaucoup plus réussie. Vous voulez un exemple ? Voici un exemple : il s'agit d'un moment crucial du roman, celui où un fiancé effondré, Frantz de Galais, qui a tout préparé en grande pompe pour ses noces s'aperçoit que sa fiancée l'a planté et qui s'adresse à un inconnu, Meaulnes en l'occurrence :

« Eh bien, voilà : c'est fini ; la fête est finie. Vous pouvez descendre le leur dire. Je suis rentré tout seul. Ma fiancée ne viendra pas. Par scrupule, par crainte, par manque de foi... d'ailleurs, monsieur, je vais vous expliquer... »

Donc, voilà un gars passionné, raide dingue de la jeune femme qu'il comptait épouser, qui vient de le plaquer le jour même des noces, il en est comme fou, prêt à se tirer une balle, et il parle comme ça à quelqu'un qu'il n'a jamais vu, ajoutant même « je vais vous expliquer ». Non mais franchement, vous y croyez, vous ?

Je me permets encore de livrer la partie dialoguée d'un passage lui aussi crucial, qui a eu lieu juste avant, lors de la rencontre de Meaulnes avec Yvonne de Galais. Je coupe les parties narratives et ne conserve que les dialogues :

« Voulez-vous me pardonner ?
— Je vous pardonne, dit-elle gravement. Mais il faut que je rejoigne les enfants, puisqu'ils sont les maîtres aujourd'hui. Adieu. […] Je ne sais même pas qui vous êtes, dit-elle enfin. […]
— Je ne sais pas non plus votre nom, répondit Meaulnes. […]
— Voici la " maison de Frantz ", dit la jeune fille ; il faut que je vous quitte… […] Mon nom ?… Je suis mademoiselle Yvonne de Galais… […]
— le nom que je vous donnais était plus beau, dit-il.
— Comment ? Quel était ce nom ? fit-elle, toujours avec la même gravité. […]
— Mon nom à moi est Augustin Meaulnes, continua-t-il, et je suis étudiant.
— Oh ! vous étudiez ? dit-elle. […] À quoi bon ? À quoi bon ? répondait-elle doucement aux projets que faisait Meaulnes. […] Je vous attendrais, répondit-elle simplement. […] Nous sommes deux enfants ; nous avons fait une folie. Il ne faut pas que nous montions cette fois dans le même bateau. Adieu, ne me suivez pas. »

On se rend compte, à l'examen d'une telle densité, qu'effectivement, les dialogues, ça dépote dans ce roman ! Quelle nullité, franchement ! On croirait lire du Harlequin, et encore ! La mécanique de l'asticotage de début de roman, « … est à jamais, dans ma mémoire, agité, transformé par la présence de celui qui bouleversa toute notre adolescence et dont la fuite même ne nous a pas laissé de repos. » « Et c'est là que tout commença, environ huit jours avant Noël » « Et j'y ai souvent repensé depuis. » pour nous faire accroire au sensationnel, à l'exceptionnel, à l'inoubliable me semble de la même facture : maladroite et surtout, vaine.

Voilà pour la forme. Qu'en est-il du fond ? Un gars arrive en pension à la campagne, dans un bled bien paumé, au plein coeur de la France, fin XIXe. le gars, à qui l'on n'a rien demandé, se plante de chemin pour aller chercher les viocs à Noël ; il tombe par hasard sur une fête de noces, qui finalement n'a pas lieu, mais y rencontre une nana quelques minutes, à laquelle il tient le genre de discours que j'ai rapporté plus haut. Il revient à l'école — il ne s'est rien passé avec ladite nana —, mais il y repense pendant des mois et s'ingénie comme Sherlock Holmes à retrouver la route sur un atlas. L'Atlantide à côté, ça paraît facile à retrouver, manifestement.

Le frère de la nana — celui qui voulait se marier et qui s'est pris un râteau — retourne quelque temps à l'école — ça déjà c'est pas mal, mais précisément à l'école de Meaulnes —, qui, nous dit-on, n'est pas tout près. Et il y retourne comment de surcroît ? Déguisé en bohémien, justement pour rencontrer Meaulnes — qu'il ne connaissait pas et qu'il n'a vu qu'une fois, précisons. D'ailleurs, ledit Meaulnes ne le reconnaît pas (ou du moins seulement bien plus tard). Et alors, comme on se doute, avec de tels atomes crochus entre ces deux-là, se noue un lien indéfectible. Rien de moins.

Et puis, vers 18 ans, Meaulnes monte à Paris en pensant à la nana de quand il avait 15 ans — qu'il a vue une demi-heure —, la cherche nuit et jour pendant des mois, car, en trois ans, il n'en a pas vu d'autres, manifestement, et, à Paris, donc, là où il n'y a pas grand monde, comme chacun sait. Ce faisant, il tombe pile sur l'autre nana — celle du râteau — pendant que le narrateur lui non plus ne perd pas son temps, il va dans sa famille, laquelle famille connaît précisément le père de la nana, l'autre, celle d'une demi-heure. Pas mal, non ?

Alors le narrateur, resté magnétisé par Meaulnes qui l'a pourtant laissé tombé comme une vieille chaussette fumante, arrange immédiatement le coup entre Meaulnes et la demi-heure, qui, elle, de son côté, belle comme l'aurore, ne pense évidemment qu'à Meaulnes et n'a jamais eu d'autre prétendant. En cinq minutes chrono, les voilà mariés, ça tombe bien Meaulnes ne pensait qu'à elle depuis des lustres, ne rêvait qu'à cela, mais, mais, mais, à peine mariés, le soir ou le lendemain, le voilà qui se rebarre, juste pour aller retrouver la nana du râteau — qu'il a plus ou moins pelotée dans les coins quand il était à Paris —, car, soudain pris d'un sérieux cas de conscience, et d'une indéfectible fidélité pour le bohémien râtelé qu'il n'avait pas reconnu, il trouve à ce moment essentiel d'aller lui retrouver sa râteleuse…

Évidemment, après avoir couché une seule nuit, la demi-heure est enceinte jusqu'aux dents, meurt en couche, la totale, tandis que Meaulnes ne donne aucun signe de vie pendant des mois, mais, mais, mais revient tout de même au bercail pile quand la demi-heure vient de calancher…

Bon, bon, bon… sans oublier, bien sûr, que Meaulnes a eu le bon goût d'écrire dans un cahier d'écolier tout ce que le narrateur ne savait pas, afin qu'il puisse bien nous raconter l'histoire, après avoir récupéré le cahier, ce qui était LA chose à faire.

En effet, c'est très crédible tout ça, n'est-ce pas ? Ça m'a un peu rappelé Les Hauts de Hurle-vent, où tous les personnages meurent à heure fixe, pile au bon moment pour dynamiter l'histoire. On nous parle sans cesse du fameux grand Meaulnes, le narrateur s'évertue à nous le qualifier de personnage remarquable et intéressant, mais je me demande encore, moi, ce qu'il a d'effectivement remarquable et d'intéressant : je cherche, je cherche et ne trouve rien, fieffée dinde que je suis.

En somme, selon mes propres critères d'appréciation, un roman pauvre et convenu, artificiel à souhait, qui ne me laissera aucune trace bien palpable, si ce n'est celle d'un redoutable ennui. Peut-être aurais-je mieux fait de le lire plus jeune ? Sans doute, mais je me dis que si le texte avait eu à m'émouvoir, il m'aurait émue même à l'âge avancé auquel j'arrive. Donc, déception en ce qui me concerne. Mais aujourd'hui comme à chaque fois, ça n'est bien entendu que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-cheaulzes.
Commenter  J’apprécie          15723



Ont apprécié cette critique (149)voir plus




{* *}