Citations sur Les vies de papier (297)
Dans les nuages du matin, je m’accroupissais derrière ma fenêtre et observais les tanatophiles adolescents avec des semi-automatiques qui, tels des cafards, couraient en zigzags. Le clair de lune sur le canon des fusils de seconde main. Tandis que les nébuleuses des bombes éclairantes coloraient les cieux en indigo, je voyais les étoiles cligner avec incrédulité face à l’orgueil démesuré qui faisait rage en bas, sur la terre ferme.
Construire, c’est imprimer une marque lunaire à un paysage, et les Beyrouthins ont imprimé leur marque sur leur ville comme une meute de chiens enragés.
Les partis poloitiques peuvent bien argumenter, crier et insulter, se rouer de coups de poing et de coups de oied, lancer des grenades et des missiles; ce ne sont que les gesticulations idiotes de Narcisse devant son reflet dans l'eau. .../... il n'y a pas plus conformiste que celui qui affiche son individualisme.
De tous les plaisirs que mon corps a commencé à me refuser, le sommeil est le plus précieux.
Des livres dans des cartons – des cartons remplis de papier, des feuilles volantes de traduction. C’est ma vie.
Lire un bon livre pour la première fois est aussi somptueux que la première gorgée de jus d'orange qui met fin au jeûne du ramadan. (p.137)
Des livres dans des cartons - des cartons remplis de papier, des feuilles volantes de traduction. C'est ma vie. Je me suis depuis longtemps abandonnée au plaisir aveugle de l'écrit. La littérature est mon bac à sable. J'y joue, j'y construis mes forts et mes châteaux, j'y passe un temps merveilleux. C'est le monde à l'extérieur de mon bac à sable qui me pose problème. Je me suis adaptée avec docilité, quoique de manière non conventionnelle, au monde visible, afin de pouvoir me retirer sans grands désagréments dans mon monde intérieur de livres. Pour filer cette métaphore sableuse, si la littérature est mon bac à sable, alors le monde réel est mon sablier - un sablier qui s'écoule grain par grain.
On pourrait dire que je pensais à autre chose quand je me suis retrouvée avec les cheveux bleus après mon shampooing, et les deux verres de vin n'ont pas aidé à ma concentration.
Que je vous explique.
D'abord, il faut que vous sachiez ceci à mon sujet:je n'ai qu'une seule glace chez moi, et encore, elle est sale.Je suis quelqu'un qui nettoie consciencieusement, on pourrait même dire compulsivement - l'évier est d'un blanc immaculé, ses robinets en bronze étincellent- mais il est rare que je songe à nettoyer la glace.Je ne pense pas qu'il nous faille consulter Freud ni l'un de ses nombreux sous - fifres pour savoir qu'il y a là un problème.
Traduire et ne pas publier, voilà ce sur quoi je mise ma vie.
maintenant vous allez peut-être me demander pourquoi j'accorde tant d'importance à mes traductions si je ne m'en soucie plus guère une fois qu'elles sont dans leur carton. Ma foi, c'est le processus qui me captive, et non pas le produit fini. Je sais que cela paraît ésotérique, et je n'aime pas donner cette impression, mais c'est l'acte qui m'inspire, le travail en lui-même. Une fois le livre terminé, l'émerveillement se dissout et le mystère est résolu. Il ne conserve plus grand intérêt. (p. 127)
Si je dis la vérité- et je devrais, n'est-ce-pas ? - Je traduis des livres selon mon système inventé car cela contribue à ce que le temps s'écoule avec plus de douceur. C'est la raison principale, je pense. Comme Camus l'a dit dans- La Chute- : " Ah, mon cher, pour qui est seul, sans Dieu et sans maître, le poids des jours est terrible" (p. 128)