Dictionnaire amoureux de la politique

Écrire ? C’est publier qu’il faut lire. Les politiques estiment que toute carrière d’un tant soit peu d’envergure exige la signature d’un livre qui fera briller le nom de l’auteur dans les librairies. Mais ils ne poussent pas le zèle jusqu’à s’asseoir tous les matins, à l’aube, devant une page blanche. Les écrivains font rarement de bons politiques : Maurice Druon et Max Gallo n’ont pas été des ministres particulièrement efficaces et se sont bien gardés de confier à la postérité le récit de leurs passages respectifs au gouvernement.
Mais dans notre République, sans une œuvre pour orner votre curriculum vitae, comme la cerise sur le gâteau, vous serez considéré comme un butor, un plouc, et ne mériterez pas la considération de vos électeurs. Donc il faut publier, et peu importe le jugement de la critique : on comptera le nombre de vos bouquins vendus comme préfigurant celui des suffrages que vous obtiendrez

Querelles
La vie politique en est jalonnée et, il faut bien le dire, elles en constituent le sel. Il y en a des dérisoires et d’historiques, de furtives et de tenaces. Certaines sont poussées par des sentiments d’aversion tandis que d’autres sont de pure politique, c’est-à-dire spectaculaires, théâtrales, factices.

Les hommes politiques promettent si souvent, et avec tant d’emphase, de dire la vérité que celle-ci n’est évidemment pas, chez eux, habituelle. Dans la vie publique, mentir est une obligation : c’est beaucoup moins dangereux que de parler vrai. « C’est aussi, disait Talleyrand, fameux menteur et voleur, une si excellente chose qu’il ne faut pas en abuser. »

En politique, il n’y a que des larmes de crocodile. Encore faut-il ne pas en abuser : le public, pas dupe, est rarement ému.

Quand on y rit, c’est le plus souvent aux dépens d’un autre, ami ou ennemi.

Voyager, c’est le remède à la mélancolie inhérente à la vie politique. Du conseiller municipal ou général jusqu’au président de la République, tous nos notables et dignitaires se délectent de ce divertissement aux frais de la princesse : voyages d’étude pour les uns, d’État pour le souverain, la plupart ont une justification incontestable.

Rien n’indique que la vérité soit électoralement payante ni que le « bon » peuple y soit sensible. Dans ce monde des serments, vrais et faux, elle est rarement bonne à dire. Pascal a averti les politiques de son temps, du nôtre, et de demain : « Dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent parce qu’ils se font haïr. »

Le désert est une fugitive tentation des hommes politiques. À la première déconvenue, ils l’implorent les yeux au ciel et la main sur le cœur. Alain Juppé, après avoir vu la France laborieuse se dresser contre lui, l’avait appelé de ses vœux dans un livre, mais il avait situé son Sahara à Venise : il y avait de quoi sourire. D’ailleurs, chez un politique d’un peu d’assurance, le renoncement à la vie publique, à sa pompe et à ses œuvres, n’est jamais pris au sérieux.

Ici comme ailleurs, l’art du silence est plus rare que celui de la parole. La plupart de nos politiques négligent cette loi fondamentale, énoncée par Alfred de Vigny : « On étouffe les clameurs mais comment se venger du silence ? »

Le portable ne garantit pas plus le secret que jadis les lettres cachetées sous Richelieu. Comme chez le commun des mortels, il provoque déjà dans le monde politique des malentendus, des brouilles, des divorces. Il véhicule toutes sortes de fables, de mensonges et de calomnies. Un jour, peut-être, déclenchera-t-il des guerres.