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Critique de Aquilon62


Les gravures de Gustave Doré pour la Divine Comédie sont célèbres au point d'imprimer les royaumes de l'au-delà dans l'imaginaire de plusieurs générations.

Pierre Bouretz dans son essai intitulé sobrement "Sur Dante écrit :" Dante raconte avoir lui-même traversé les, trois régions de l'au-delà et propose à ses lecteurs de partager cette expérience ; la dimension pragmatique du livre importe autant que les doctrines qu'il mobilise ; peut-être même davantage, s'il s'agit d'en saisir l'irréductible particularité. Ajoutons enfin que la démesure de cette entreprise doit se mesurer à l'aune d'une différence considérable entre ce que représentait une descente dans l'Hadès pour l'Antiquité grecque ou romaine et ce que suppose un voyage au travers des trois royaumes de l'au-delà chrétien : un genre littéraire tout à la fois populaire et objet de spéculations philosophiques ; la transgression d'un limite imposée à la curiosité et d'un interdit de représentation."

Et pourtant quelques-uns se sont "risqués" à illustrer la Divine Comédie :
Peut-être seul Michel-Ange, dans ses illustrations perdues pour la Comédie, avait-il su rendre avec une énergie comparable la plasticité tourmentée des corps des damnés ? ;
Peut-être seul Botticelli a-t-il su rendre la grâce et la légèreté angélique des bienheureux, réalisée à la pointe de métal sur parchemin, repris à l'encre et partiellement mis en couleurs, permettant de partager la fascination de l'artiste florentin pour ce chef-d'oeuvre de poésie de d'humanisme ? ;
Peut-être seul le poète et artiste romantique William Blake qui produisit 102 illustrations à l'état de croquis au crayon ou d'aquarelles achevées a-t-il sur transcrire le passage des souffrances infernales à la lumière céleste, de l'humain horriblement défiguré à la forme physique la plus parfaite ?.

Mais revenons à Doré
Passionné par La Divine Comédie, le jeune Gustave Doré commence par illustrer L'Enfer.
Aucun éditeur ne voulant se lancer avec lui dans une entreprise aussi risquée, il assume lui-même les frais d'édition de l'ouvrage, publié en 1861, chez Hachette, il  remporte un succès inattendu, qui conforte Doré dans sa vocation d'illustrateur littéraire et d'artiste. Il peut désormais s'écarter des dessins de presse. Sept ans plus tard, en 1868, il publie le Purgatoire et le Paradis.

Sa capacité à créer des paysages sans précédent reste inégalée, des cavernes infernales monstrueuses jamais touchées par le soleil à la luminosité raréfiée de la montée du Purgatoire vers la blancheur du Paradis.
Les illustrations de Doré traduisent bien le réalisme de Dante - ce qui explique aussi l'amincissement progressif des gravures entre le Purgatoire et le Paradis
Autre point, les quantités d'illustrations entre les différents chants (respectivement soixante-quinze, quarante-deux et dix-huit gravures) sont à elles seules révélatrices de la manière dont Doré a abordé le texte de Dante : son but n'était pas d'illustrer fidèlement et de manière exhaustive le poème, mais de choisir les épisodes qui enflamment le plus l'imagination, la sienne comme celle des lecteurs, se laissant guider essentiellement par leur propre inspiration. Et c'est réussi....

Ce volume reproduit intégralement les cent trente-cinq planches en les associant à des légendes narratives qui permettent de retracer le parcours de Dante en « lisant » les images : un hommage au génie de Doré et en même temps une invitation à explorer la « forêt » de l'oeuvre de Dante.

Si les illustrations de Doré traduisent bien le réalisme de Dante dans la vaste gamme de sujets et de genres figuratifs abordés :
- les scènes romantiques ;
- les scènes sombres où se perdent les figures humaines ;
- l'horreur subtile de la forêt des suicidés ;
- la plasticité des figures de Charon ou de Minos ;
- les corps décharnés inquiétants des errants du Purgatoire ;
- la luminosité abstraite et vertigineuse des scènes paradisiaques  ;
- et le classicisme des figures mythologiques permet de saisir l'extraordinaire variété de la Commedia mais aussi humaine de Dante

Dans cette édition texte et illustrations s'imbriquent tout naturellement la poésie devient visuelle, les illustrations deviennent litteraires...

Seul bémol, à mon sens.
La traduction qui depuis la découverte que j'ai pu faire de celle de Michel Orcel, complètement passée inaperçue. Mais comme toute traduction, ce point est totalement subjectif. Quand on sait que dans la version française de la Commedia, il existe pas moins de 31....
La première date de 1472 et la dernière de 2021... Mais Dante n'a pas dit son dernier mot

À noter en guise d'introduction ces mots magnifiques
"Les images que le seul nom de Dante fait naitre dans les esprits sont très diverses et toutes ont certainement un aspect de vérité. On se souvient de celle que dressait Victor Hugo en ces « vers écrits sur un exemplaire de la Divine Comédie» : il les a placés en tête du troisième livre des Contemplations, intitulé Les Luttes et les Rêves.
Quel patronage pour les luttes et les rêves que celui de Dante !
Voici donc le rêve :

Un soir, dans le chemin, je vis passer un homme
Vêtu d'un grand manteau comme un consul de Rome,
Et qui me semblait noir sur la clarté des cieux.
Ce passant s'arrêta, fixant sur moi ses yeux
Brillants, et si profonds qu'ils en étaient sauvages,
Et me dit: — J'ai d'abord été dans les vieux âges,
Une haute montagne emplissant l'horizon ;
Puis, âme encore aveugle et brisant ma prison,
Je montai d'un degré dans l'échelle des êtres,
Je fus un chêne, et j'eus des autels et des prêtres,
Et je jetai des bruits étranges dans les airs ;
Puis je fus un lion rêvant dans les déserts
Parlant à la nuit sombre avec sa voix grondante ;
Maintenant; je suis homme, et je m'appelle Dante."
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