Le jeune homme comprend qu’il a dérapé, commis une erreur, que ce n’était pas ce qu’il aurait dû dire. Il sourit. Bien que l’autre ne le voie pas. Il sourit parce que c’est ce qu’on lui a appris : plus la tension est forte, plus ferme doit être le sourire. Les gens hésitent à attaquer quelqu’un qui sourit.
La loyauté se juge aux actes. On peut toujours se prétendre loyal, mais cela n’a de valeur que si les actes suivent. Les promesses ne servent à rien. On ne peut les apprécier qu’a posteriori. Faire des promesses et ne pas les tenir est pire. Il vaut mieux se taire. Toujours. Après avoir parlé, il faut agir.
–Je ne sais pas si tu joues au con ou si tu l’es pour de vrai.
–J’ai besoin de ce tuyau.
–Pourquoi ?
–Ah ! Il faut toujours tout expliquer !
–Quand on pose des questions, oui.
– Tu écris un seul mot là-dessus et une heure après tu es mort, pigé ?
Guyot a entendu ce genre d’avertissement des milliers de fois. Il a toujours pensé que, dans la bouche de Jury, ils ne signifiaient pas la même chose. Mais il y a un doute, une petite marge d’ombre qui lui fait penser que oui, bien sûr que oui, Jury veut dire exactement ce qu’il dit.
– Tu t’imagines que j’ai envie d’écrire un papier là-dessus?
– Je sais pas. Tu fais un boulot de merde.
– Peut-être, mais meilleur que le tien.
Ils se regardent. Leurs yeux se fuient. Quelque chose les a distraits. Quelqu’un est en train de pleurer. (p. 25)
Que l’insécurité augmente. Que sur la place du Bajo on peut se faire tirer dessus en toute tranquillité. Que se procurer une arme dans cette ville est plus facile que trouver un taxi, que tout le monde sait très bien ce qui se passe, mais à quoi donc ressemblent nos rues aujourd’hui ?
- On vous a ordonné de ne pas écrire là dessus?
- Oui
- La police?
- La justice!
L'espace d'une seconde ,Blasco se dit que le menteur ne dois jamais oublier qu'il ment.
- Il ne sait pas reconnaitre les limites. Il ne comprend pas qu'il faut mieux ne pas remuer certains souvenirs. Que parfois il faut s'arrêter. Se résigner.
- Se résigner à quoi ?
- A ne pas comprendre. Il y a des gens qui ne supportent pas de ne pas comprendre. Et cela les tue.
Les violences se paginent, se numérotent, s’archivent. Romero écoute. Il attend la fin du récit pour poser les questions. C’est le seul qui rédige deux fois les rapports. La première : un brouillon. La deuxième : la version définitive. Entre la dernière question et la signature du document, il offre du maté préparé dans des gobelets en plastique. Les gens les prennent par le bord pour ne pas se brûler, ils soufflent dessus, attendent un peu avant de boire une première gorgée.