AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de GaletteSaucisse


Gunes, c'est mon ami Kurde.

Il a cinquante ans, des moustaches à la Mustafa Kemal – il n'aime pas quand je lui dis ça – et il est très gentil, même s'il est raciste.

Gunes a fui la Turquie en ‘99 parce que ça puait un peu pour lui.

Il a eu du nez, vu que quelques jours plus tard, Ocalan partait casser des cailloux.

(Pas vraiment, m'enfin, tu vois ce que je veux dire.)

Donc, comme tu t'en doutes, Gunes n'aime pas les Turcs.

Tous, sauf deux.

Le premier, j'ai pas vraiment compris qui c'était. Un camarade de chantier, je crois. « Honnête pour un Turc », selon Gunes.

Le deuxième Turc honnête, toujours selon Gunes, c'est celui qui a écrit ce livre dont je m'apprête à te parler.

Introduction courte pour une fois, mais pour un livre pareil, je ne peux pas me permettre de divaguer et parler comme à mon habitude de feu mon chien Philippe, ou de ma grand'mère docteure ès Scrabble, qui a par ailleurs découvert qu'elle pouvait aussi m'humilier au Trivial Pursuit spécial Pays Guérandais.

(Oui, ça existe.)

- Mais alors, quel est donc ce livre ? me demandes-tu tout de go, car tu en as assez que je m'éloigne du sujet.

C'est un ensemble de textes écrits par Ahmet Altan.

Jusque-là, rien de bien fifou me diras-tu, mais il y a une petite info importante :

Ce sont des textes écrits… en prison.

Rien que ça.

Je vois qu'au fond on fronce les sourcils. Petit rappel historique s'il s'avère que mon lectorat vit dans une grotte.

Je ne t'apprends rien quand je te dis qu'en juillet 2016, une tentative de putsch pas piquée des hannetons a failli évincer Tonton Erdogan du pouvoir.

Tu noteras « failli », hein. Que je n'ai hélas pas mis pour faire joli. Nan mais voilà.

En somme, ça n'a pas servi à grand'chose, sinon de permettre audit Erdogan de rappeler qui c'est qui commande en Turquie.

Suite à cela, on assiste à une vague d'arrestations au sein de l'armée, des profs, des journalistes, et d'autres gens que mon papa salazariste qualifierait de terroristes, mais après c'est mon papa.

Parmi ces infortunés, il y a Ahmet Altan.

Ahmet Altan, c'est un romancier, mais aussi rédacteur en chef d'un journal qui, du coup, n'existe plus.

Il est accusé d'être complice du putsch et d'y avoir incité les populations par, je cite, « messages subliminaux ».

Ridicule ?

Oh, légèrement.

Il est condamné à la perpétuité aggravée.

Pour des « messages subliminaux ».

Et les prisons turques ne sont pas nos prisons françaises.

Tu as vu Midnight express ?

Bah, voilà.

Mais dans son malheur, Ahmet a de la chance. Il est écrivain. Donc il sait rêver.

C'est comme ça qu'il va s'en sortir. En laissant son esprit s'enfuir de sa cellule sordide.

Il médite, il rêve.

Il écrit.

Ses réflexions, elles sont ici, dans ce livre.

Il y a un peu de son histoire, aussi. Mais surtout beaucoup de rêves, de pensées sur la religion, le combat. le courage. La vie.

Et puis il est sorti de prison en novembre 2019. Super nouvelle. Mais c'était partir pour mieux te retrouver, donc il y retourne une semaine plus tard.

Mais finalement, Ahmet en est sorti en avril dernier. Parce qu'enfermer un journaliste, ça fait tache. Donc, pour l'instant, il est libre.

- Bonne nouvelle, me dis-tu.

Oui, c'est certain. Même si ce n'est sans aucun doute qu'un sursis, et qu'à la prochaine incartade, il pourra aller jouer aux billes avec Apo Ocalan.

D'autant qu'il reste encore une bonne partie de personnes détenues dans l'enfer des prisons turques pour des motifs invraisemblables. Quand ils ne sont pas inventés. Et l'ONU ne s'en mêle pas. « Tous des connards de terroristes », me rappelle Papa avec un ton docte.

Cela dit, les libraires se frottent les mains, c'est l'occasion pour eux de vendre de nouvelles éditions des textes de prison d'Ahmet.

Et comme des cons, on achète, parce qu'il faut se cultiver et être à jour sur les actualités, c'est Madame Profdesciencespodemesdeux qui nous l'a dit.

Oui, cette même dadame qui t'explique droit dans les yeux que la Turquie est une démocratie, que les ouvriers ne sont pas à plaindre car ils ont tout de même un bon pouvoir d'achat, et que les indépendantistes sont forcément des terroristes. Ah oui, et que les Kurdes, on s'en soucie comme d'une guigne, après tout ils sont pas nombreux. Et il faut nuancer, hein, ce sont aussi des terroristes.

Pardon, il fallait que ça sorte.

- T'es bien mignonne, la Galette, à pleurer sur le sort des opprimés, mais qu'est-ce qu'on peut faire ? t'enquiers-tu.

Bonne question.

Pas grand'chose.

Un manchot empereur hispanophile de ma connaissance soumet l'idée de boycotter les produits turcs.

J'aime bien l'idée. le boycott est une jolie forme de révolution pacifique. Qui parfois porte ses fruits.

(C'est pas Allende et ses mines de cuivres qui diront le contraire.)

Donc maintenant, je n'achète plus de clémentines turques, et j'ai proposé à Maman de changer le lave-linge, qui est de la marque Beko.

Mais là, elle m'a dit d'arrêter avec mes idées d'utopistes à la mords-moi le jonc.

C'est surtout que le lave-linge fonctionne encore, et qu'elle culpabiliserait d'en prendre un autre, c'est pas très écolo tu comprends. Les reportages alarmistes de Yann Arthus-Bertrand font leur effet, c'est bien.

Enfin voilà. La synthèse de tout ce billet, c'est que ce livre est un très bon livre, un témoignage d'une importance capitale en ces temps incertains. Que tu peux lire quand tu es déprimé, comme ça tu pleures encore un peu et ça fait du bien. Ou alors tu relativises. Ce qui fait du bien aussi.

Gunes me l'a offert en me disant que c'était important que j'aie une autre vision de la Turquie. Dans le sens qu'il faut comprendre qu'il n'y a pas que les Kurdes qui crachent sur le régime en place.

Noble intention.

Je pense l'offrir à la dadame qui fait des amalgames un peu trop rapides entre Kurdes et terroristes.

Quant à toi, tu le liras sur mes bons conseils, et tu en jugeras par toi-même.

Commenter  J’apprécie          140



Ont apprécié cette critique (14)voir plus




{* *}