AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Sharon


Je rédige cet avis dans un double cadre : celui d'une lecture commune avec le challenge plumes féminines, et celui, plus professionnel, d'une lecture dans le but de faire étudier ce livre à mes 3e l'an prochain. Note : je suis sûre que ce livre aurait intéressé mes 3e de l'an dernier, et ceux de l'année dernière, la thématique du mariage forcé et des violences faîtes aux femmes étant des thématiques qui les touchaient - et j'espère les touchent encore. 
Le premier fait qui m'a frappé quand j'ai commencé la lecture de ce livre est la manière dont les familles sont compartimentés : les hommes d'un côté, les femmes de l'autre. Les pères n'ont que peu ou pas de contact avec leurs filles, leurs fils, par contre, ont tout loisirs de tisser des liens avec eux. La mission d'un père est de marier sa fille, et pour la marier, il n'écoutera pas les femmes, il n'écoutera pas sa fille, non, il écoutera les autres hommes de sa famille, n'hésitant pas à choisir un mariage avantageux pour lui, pour les siens, et certainement pas pour les siennes. Pour un homme, une fille mariée est un problème en moins, c'est désormais le problème d'un autre homme : "Depuis notre enfance, ils n'attendent que ce moment où ils pourront enfin se décharger de leurs responsabilités en nous confiant, vierges, à un autre homme.". 
Le second fait qui m'a frappé, c'est la violence. Elle est multiple. La violence physique est la plus évidente, il suffit de lire ce que subira Hindou lors de sa nuit de noces, qui n'est autre qu'un viol brutal mais autorisé, ce qu'elle a déjà subi avant (lire ce qu'elle raconte à Ramla) et ce qu'elle subira tout au long de son mariage avec de lourdes conséquences pour elle. Je reste très sobre en écrivant ainsi, parce que ce que raconte Djaïli Amadou Amal, qui a elle-même été mariée de force à 17 ans, n'est pas résumable, il faut lire ses mots. 
Je pense à la violence affective et psychologique en second lieu. Depuis leur naissance, les filles sont élèves, façonnées, endoctrinées pour être obéissantes, pour être patientes, pour accepter de tout subir pour l'honneur de sa famille, au sens très large du terme. Les mères elles-mêmes exercent une pression sur leur fille, ou, pour mieux dire, un chantage affectif : L'amour n'existe pas avant le mariage, Ramla. Il est temps que tu redescendes sur terre. [...] Tu feras ce que ton père et tes oncles te diront. D'ailleurs, as-tu le choix ? Epargne-toi des soucis inutiles, ma fille. Epargne-moi aussi, car ne te leurre pas, la moindre de tes désobéissances retombera invariablement sur ma tête. 
Ramla a beau être différente, elle ne pourra échapper au mariage forcé, elle qui rêvait d'un mariage d'amour avec le jeune homme qu'elle aimait. Elle est différente parce qu'elle ne veut pas de la vie que beaucoup d'autres jeunes filles veulent - un riche époux, un bel intérieur, de beaux vêtements. Elle veut étudier, elle étudiera d'ailleurs jusqu'à son mariage, elle transmettra même un peu de son savoir à Safira, la première épouse de son mari, à qui elle apprendra à lire - avec l'accord de leur époux. Ne pas oublier que la polygamie est parfaitement légale là-bas, et que la vie dans la concession, est lourdement codifiée pour les épouses. 
Les co-épouses ne sont pas, ne peuvent pas devenir des amies, cela, je le savais déjà depuis que j'ai vu Epouses et concubines de Zhang Yimou. ou lu Vent d'Est, vent d'Ouest  de Pearl Buck. On me répondra que ce n'est pas la même époque, que ce n'est pas la même culture, et pourtant, la rivalité est bien là, rivalité qui s'étend aussi aux enfants des épouses. Cette rivalité est permanente, perpétuelle, tout est mis en oeuvre pour pourrir la vie de l'autre, même si cette autre, c'est à dire Ramla, ne voulait pas devenir co-épouse, a toujours aspiré à une autre vie. Safira est autant à plaindre que Ramla parce qu'elle aussi souffre, elle souffre de voir son mari prendre une seconde épouse, elle souffre de devoir le partager, de ne rien avoir su, sauf par la rumeur publique. Elle se bat pour conserver sa place, pour ne pas être délaissée, pour ses enfants aussi - et elle utilise pour cela toutes les armes à sa disposition.
C'est un livre relativement bref, certes, il n'est pourtant pas facile à lire, il tient autant du témoignage que du récit, témoignages de ces femmes que l'on n'entend pas, que l'on ne voit pas, dont on ne parle pas non plus. Il est bon que des voix s'élèvent pour leur donner la parole. 
Commenter  J’apprécie          260



Ont apprécié cette critique (23)voir plus




{* *}