La voix de mon pays
je l'ai entendue pour la première fois
dans celle de ma mère :
elle est douce à l'égal de son étreinte.
Plus tard lorsqu'elle m'est revenue,
j'errais orphelin sur des terres lointaines :
elle est tendre
plus que jamais voix ne fut.
La voix de mon pays est
unique
sous le soleil !
Dans les chemins abandonnés de l'extrême été,
lorsque s'élève le lamento d'automne,
il est des soirs où je crois entendre comme un frisson.
Le souvenir inapaisé des palmiers.
Les sources dévident en moi des filets couleur d'herbe
où rit un soleil qui jamais ne se couche.
Je ne songe à rien sinon à mon royaume,
La forêt de mon enfance, s'ébrouant à toutes les branches
Dans le vent fou d'hivernage.
Naguère l'hiver me ramenait
dans un village que se partagent
moineaux et fontaines. Je n'attendais
personne ; mais une jeune fille
survint. Elle me chanta des rivages
lointains où les fleurs règnent toute l'année ;
des collines inviolées où rien ne vient troubler
les rêves d'amour. Douce était sa voix.
Et moi, j'écoutais, le cœur en désordre,
En songeant aux nuits de mon pays,
lorsque les jeunes filles attendries
ploient à l'unisson leur taille sombre
sous l'étreinte du tamtam vainqueur.
En rêve une voix m'a dit :
si tu vas au tamtam du soir
et que tu vois tomber une étoile,
le souhait que tu formeras
se réalisera dans l'année.
Jadis au village, une femme m'a dit :
« à la fête des ignames,
si tu ouvres ta fenêtre
et que tu entends chanter un oiseau,
chante aussi,
et toute l'année, ton cœur chantera ».
L'autre nuit,
le ciel était bleu,
très bleu ;
et j'ai vu s'envoler la plus belle étoile.
Ce matin,
le soleil brillait
lorsque j'ai ouvert ma fenêtre.
Sous la ramée un oiseau chantait.
Et j'ai dit à l'étoile et à l'oiseau :
« dans les prochains jours,
la nouvelle année fera son entrée dans
mon beau pays d'Ivoire
à grand arroi de fleurs et de jeunes filles
endimanchées.
Déjà je sens mon cœur se prendre
aux tresses de leurs chants.
Me laisserez-vous défaillir d'attente ? »
On m'écrit chaque jour qu'au village
les ans font bien des ravages.
Des cours entières se dépeuplent
où l'on ne conte plus le soir.
Pourtant dans ma mémoire qui s'afflige
les rires bruissent aussi doux que jadis
et les colombes d'ébène roucoulent toujours
la complainte de l'absent, chère à mon cœur.
J'arriverai au temps des flamboyants
à l'heure ombreuse où les cocotiers balancent
encore le sommeil des hameaux entre leurs palmes.
Au débarcadère, quel ami m'attendra !
Quelles mains pour la bienvenue,
me ceindront le front du bandeau blanc !
Quelles mains, si tu n'es pas là,
Si tu n'es plus,
Ô mère !
J'ai longtemps aimé jadis,
Sous la cithare des palmes
Et la flûte onduleuse des bambous,
Les pentes accordées
Que se partagent l'érythrine
Et la liane de corail.
Chaque jour dédiait
De nouvelles sources
À ma soif.
Les silencieuses
Éclosaient au détour des entiers
Dans l'ombre étale des halliers
Les folâtres
Couraient à travers plaines
Et riaient en effeuillant les galets.
À la fraîcheur des ramures
Jaillissaient les somptueuses
Épanouies en ménures.
Elles chantaient l'éternelle jeunesse
La beauté couleur de nuit
Des jeunes filles en maraude.
Je les retrouvais toujours
Au hasard de l'errance, bleues de tous les feuillages mirés
Et je repartais avec elles
Les mains vides
Le cœur lourd de joie.
Ne vous étonnez pas, mes amis
Si parfois ma voix se trouble
Et que mon chant se fait incertain
J'ai bu aux sources éblouies où se mirèrent les fiancées...
Depuis, mes pensées sont ailleurs.
Un navire voguait
parmi les peuples tumultueux
des vents migrateurs.
À la proue un enfant rêvait :
Lorsque la salangane reviendra
s'abreuver au lait de l'aube,
les pluies seront calmées
et je partirai pour la forêt
à l'appel des matins étoilés d'oiseaux.
Je m'en irai à l'aurore,
je m'en irai les soirs de lune,
parfumer mes rêves aux senteurs des chemins.
J'irai jusqu'au bout de mon pays voir
la mer et la mer
s'offrira somptueuse et sonore
sous le ciel éployé.
Je m'endormirai au chœur des vagues
et les vents m'emporteront dans les collines.
Reverrai-je mon toit de paille sous la verdure ?
La berge où la caféière embaume ?
Or j'avais déjà fait ce voyage
Avec les oiseaux et les nuages.
Mon âme, que le ciel était beau !
Encore plus beaux les bocages
En la halte impatiente des eaux !
Mais les chemins se refermaient de toutes parts
et je n'ai revu mon beau pays d'ivoire.
Las des soirs troubles et réveils sans oiseaux,
j'étais reparti sur les franges hasardeuses du rêve
espérant des rivages plus gais.
N'eussent-été la menthe et la mélisse
tous les parfums annonciateurs du renouveau,
peut-être m'en serais-je allé sans retour.
Au sortir des songes, lorsque les premières vanesses
s'épanouirent, déjà les neiges s'étaient retirées
et les fontaines en mal de tendresse roucoulaient
sous les rameaux frôleurs des forsythias.
Puis l'été s'en vint tatouer les plaines
de grandes flaques d'ombre qui tournaient
avec la crécelle des cigales...
Oh, l'appel de la route dans les collines
ébouriffées de coucous !
Seul à ma fenêtre,
j'écoutais ces trompes d'auto
se répondre longuement.
Que j'ai brûlé de partir !