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Critique de Alfaric


30 ans après l'avoir commencé, Poul Anderson boucle sa série "La Patrouille du temps" avec ce tome 4 intitulé "Le Bouclier du Temps" : c'est tout à son honneur, mais roman-mosaïque ou bon vieux fix-up ce recueil de nouvelles a pour fil rouge l'histoire d'amour entre l'expérimenté Manse Everard paysan du middle-west des années 1950 devenu plus homme de réflexion qu'homme d'action et l'inexpérimentée Wanda Tamberly californienne bon teint des années 1980 (est-on dans le domaine de l'autobiographie ou du fantasme ? ^^). Et force est de constater que j'ai galéré pour le terminer...


Dans un 1er temps, "Les femmes et les chevaux, le pouvoir et la guerre" est la suite et le remake "D'ivoire, de singe et de paons"… Les derniers Exaltationnistes menés par Raor le clone féminin Merau Varagan sont toujours en cavale dans l'espace temps à la recherche du moyen de semer le chaos, et suite à une découverte archéologique ils choisissent le royaume antique de Bactriane en 209 avant Jésus Christ comme nouveau champ de bataille… Nous dans le grand jeu entre patrouilleurs du temps et terroristes spatio-temporels (ce n'est pas un hasard si le récit se déroule là où se déroulait le Grand Jeu entre Britanniques et Russes au XIXe siècle), et les uns et les autres boulant débouler n'importe où et n'importe quand avant de repartir on ne sait où et on ne sait quand les uns et les autres doivent bien préparer le terrain : c'est ainsi qu'entre peplum et aventure orientale Manse Everard investigue dans l'Asie Centrale indo-grecque pour démasquer ses adversaires et leurs objectifs, et qu'il sympathise avec les locaux voués à être emportés dans la guerre qui se prépare entre Antiochos III et le tandem père-roi/ fils-prince formé par Euthydème et Démétrios… Car le chasseur devient le chassé quand il est repéré par ses adversaires, et il c'est seul qu'il doit les empêcher de faire d'Antiochos III un nouvel Alexandre le Grand !
Mêmes qualités et mêmes défauts que le récit d'origine : le récit est riches en descriptions et pauvre en action, du coup la longue phase de préparation est bien plus plaisante que la courte de phase de résolution. L'auteur est pris au piège de la mobilité spatio-temporel de ces personnages, du coup on dépasse pas le jeu du chat et de la souris. L'intérêt vient quand même du fait qu'on ne sait pas si les retours au présent où Manse dialogue avec Guion l'agent spécial des Danélien se passent avant, pendant ou après les passages en -209… Toujours pas fan des passages où en bon Gary Stu de Poul Anderson le héros se fait le défenseur du libertarisme voire du reaganisme avec russophobie et islamophobie : on dézingue les gouvernements, les fonctionnaires, les taxes et les guerres mais on se lamente que les policiers de temps manquent d'argent, de moyen et de personnel et on fait un plaidoyer pour la Guerre du Vietnam ; on critique le suprématisme culturel mais on explique que l'Occident set tout et que l'Orient n'est rien ; et quand on se moque des croyances païennes antiques non seulement on fait de la téléologie sinon de l'anachronisme mais en plus l'auteur chrétien nous fait le coup de l'hôpital qui se fout de la charité !


Dans un 2e temps, "Béringie" est un remake du "Chagrin d'Odin le Goth", puisque Wanda a été affectée comme naturaliste dans le Détroit de Bering en -13212 et que comme Celle-qui-connaît-l'étrange / Cheveu-de-Soleil elle a tellement sympathisé avec le peuple sédentaire Tulat qu'elle ne supporte pas de les voir maltraités et exploités par le peuple nomade Wanayimo étudié par par son collègue anthropologue originaire de l'époque victorienne… Au point qu'elle le roule dans la farine en provoquant elle-même leur départ de la région pour que ses protégés puisse survivre et prospérer en attendant la disparition de la Béringie à la fin de l'âge glaciaire et la montée des eaux !
Cela aurait pu et cela aurait dû être très bien, et un pamphlet anticolonialiste entre la passionnée Wanda Tamberly, américaine républicaine du XXe siècle, et le flegmatique Ralph Corwin, anglais royaliste du XIXe. Mais on est très éloigné de combats de Rahan pour la liberté, l'égalité et la fraternité car les USA font du colonialisme déguisé et du suprématisme à visage découvert depuis près de 2 siècles et qu'en nationaliste libertarien Poul Anderson ne veut pas le reconnaître : c'est tellement ambigu voire confus que je n'ai jamais su s'il on était dans le 1er ou 2e degré, dans le réquisitoire ou le plaidoyer ! Déjà en plaçant les Blancs avant les Amérindiens sur le continent américain on voit très bien où il veut en venir : les Visages Pâles n'auraient pas volé leurs terres aux Peaux-Rouges, ils n'auraient fait que les récupérer à ceux qui leur auraient volé des milliers d'années auparavant (c'est n'importe quoi, mais je comprends pourquoi les Américains soutiennent mordicus la colonisation des territoires occupés palestiniens par les Israéliens)… Il y auraient pu avoir un message dans l'inversion des situations avec des Blancs colonisés et exploités et des Amérindiens colonisateurs et exploiteurs, mais cela ressemble tellement à ces décennies de westerns WASP dans lesquels de braves sédentaires blancs et chrétiens, bref des civilisés, se faisaient attaquer par de vils nomades rouges et païens, bref des barbares, que je n'y ai cru que quelques pages avant de passer en mode rage (d'autant plus que c'est faussement atténué par le personnage de Loup-Rouge qui à chaque décision tranche pour les radicaux de son peuple au lieu des modérés du peuple d'en face)… On trouve normal que « les plus développés » donc les plus forts volent et violent, pillent et tuent, et « les moins développés » donc les plus faibles trouvent presque normal de se laisser faire. Poul Anderson reprend les thèses du darwinisme social ici appliquées aux civilisations humaines, et il reprend les bobards des bienfaits civilisateurs de la colonisation : les faibles sont exploités sans pitié mais, mais ce n'est pas grave puisque c'est pour qu'il apprennent les techniques de leurs colonisateurs plus avancées (qu'importe la douleur, qu'importe l'injustice et qu'importe si on enlève une adolescente avant de la violer, puis de l'abandonner à son triste sort un fois enceinte : après tout, ce n'est qu'une travailleuse immigrée qui n'a pas su supporter le déracinement culturel). L'auteur se plaint d'un monde pollué, mais soutient l'idéologie de la croissance infinie et du consumérisme à outrance, il se plaint que les peuples premiers ont pollué la nature immaculée mais n'est pas dérangé pat la civilisation moderne incarnée par les USA qui saccage le monde entier. Et c'est ça le pire, tout ce qui ne le dérange pas chez les WASP m'insupporte chez les autres, et tout ce qui m'insupporte chez les autres ne le dérange pas chez les WASP : j'appelle cela du racisme et du suprématisme ! Cerise sur le gâteau Wanda Tamberly qui remonte le temps pour bolosser un hippy pacifiste et cracher sur les sixties car ces traîtres à la patrie et à l'humanité auraient été responsables des boat people et des Khmers Rouges (bon, c'est un strong indepenant woman altermondialiste ou une working girl reaganienne ???) : Mr Poul Anderson c'est la Guerre du Vietnam et toutes ses horreurs qui en ont radicalisé les victimes au point d'en arriver à ces déferlements de haine incontrôlables, et si vous pensez que la violence est la solution à tous les maux du monde vous ne valez pas mieux que les gens que vous dénoncez ! Voilà, c'est dit et même écrit !!!


Dans un 3e temps, "Stupor Mundi" est le remake de "L'Autre Univers" puisque la trame espace-temps a été éradiquée et qu'on charge une nouvelle fois Manse Everard de la restaurer ! On découvre l'univers alpha dans lequel au XXe siècle un occident théocratique en retard sur l'Histoire et en crise est gravement menacé par la Russie autocratique et la Turquie islamique, puis après une restauration foirée de la continuité historique par la Team Everad l'univers beta dans lequel au XXe siècle un occident laïque est encore plus en retard, encore plus en crise et encore plus le point de disparaître que l'univers alpha. Manse Everard doit cogiter et enquêter dans la Sicile médiévale pour comprendre que le nexus n'est pas un événement mais une personne, et cette personne n'est pas un membre de la dynastie Hauteville ou de la dynastie Hohenstaufen, mais un dénommé Lorenzo de Conti promis par le chaos quantique à la grandeur et qui s'avère être la version italienne de Luis Ildefondso Castelar Moreno de Barracota (voir "La Rançon du temps") ! C'est dont tout naturellement que Wanda en bonne agente de l'empire terrien va devoir jouer de ses charmes, quitte à donner de sa personne, et que Manse en bon agent de l'empire terrien va devoir jouer au Gambit de Dieu, quitte à donner de sa personne…
On oppose l'autel et le trône, les guelfes et les gibelins, le temporel et le spirituel mais cela est fait sans action, sans émotion, on ne retrouve pas vraiment les belles descriptions de l'auteur, par contre on retrouve bien les idées de l'auteur qui passent du libertarisme au reaganisme : il ne faut pas faire d'ethnocentrisme mais tout ce qui n'est pas blanc et chrétien ne sert à rien, l'athéisme ne mène à rien, le catholicisme est rétrograde, le protestantisme est progressiste, le christianisme a révolutionné les sciences et libérer les femmes et tutti quanti (et je passe sur les remarques islamophobes à cause desquelles j'ai faillit laisser tomber le bouquin)… Poul Anderson vieillit, et pas en bien hein ! Mais je commence à bien connaître l'auteur donc c'est sur un plan purement littéraire qu'ici il m'a déçu, car l'ensemble s'avère assez linéaire et sans surprise alors qu'on aurait pu grandement et facilement fluidifier et dynamiser le récit avec un POV centré sur Keith Denison perdu et piégé dans l'univers alpha et un autre POV centré sur Wanda Tamberly perdue et piégée dans l'univers beta, au lieu d'assommer les lecteurs avec de longs et lourds passages explicatifs amené sans aucune subtilité. Dans l'épilogue un Danélien déguisé en moine prêche la bonne parole : hors de l'ultralibéralisme et de l'hypercapitalisme il n'y a point de Salut… THERE IS NO ALTERNATIVE, AMEN !


Poul Anderson est un auteur ambivalent voire dual d'où les incohérences et les contradictions permanentes coincés entre deux cultures et deux vision du monde (d'où sa double casquette auteur de SF / auteur de Fantasy aussi) : l'homme qui se balade avec ses gros sabots libertariens est aussi l'homme qui a su traiter des drames humains avec beaucoup de finesse et d'empathie… Pour moi Poul Anderson c'est un Robert Heinlein qui n'a pas su se libérer de ses origines (par ailleurs les deux auteurs étaient amis IRL) : alors que l'auteur du Bible Belt a rompu avec de dernier pour devenir humaniste quitte à partir en guerre contre le fondamentalisme, alors que Poul Anderson a toujours porté un regard bienveillant et nostalgique sur la Scandinavie rural et protestante de l'entre-deux-guerre et le middle-west rural et religieux de l'entre-deux-guerres. Je suis loin d'avoir tout lu de l'auteur dont je compte bien poursuivre l'exploration de la bibliographie, mais je note quand même que dans les années 1960 il faisait des efforts pour ménager la chèvre et le chou, et que quand il allait trop loin il rétropédalait pour rattraper le coup… mais que passé le reaganisme triomphant des années fric il ne fait plus beaucoup d'effort en flirtant avec l'idéologie et le prosélytisme quand il ne frôle pas le dérapage suprématiste !
Après avec "La Patrouille du temps", il a exploité toutes ses bonnes idées dès le départ en faisant converger drames intimes et destins collectifs. Son idée de la résilience du continuum espace-temps est séduisante puisqu'elle permet de passer outre l'effet papillon, mais avec sa vision linéaire du temps il se retrouve vite piégé par les règles du jeu qu'il a lui-même édicté : l'humanité doit passer par le judaïsme, le christianisme, la Réforme protestante, l'Angleterre capitaliste et les USA hypercapitalistes, donc cela limite vite les possibilités d'uchronie puisque tout le reste ne sert à rien dans la marche forcée vers sa manifeste destinée… Peu d'originalité (alors que les auteurs de "GURPS Alternate Earths" en ont à revendre alors qu'ils s'inspirent justement de "L'Autre Univers"), pas de conflits d'autorités au sein de la Patrouille du temps (on explore pas sa hiérarchie et son arborescence puisque les hommes sont quantités négligeables dans le chaos quantique qui ne peut déboucher que sur une seule voie), et pas de multivers moorcockien et de potentiels chocs de civilisations ou de potentielles guerres des mondes (alors que dans "La Brèche" des reporters temporels font une boulette le 6 juin 1944, avant que ne déboulent les méchas des Allemands du futur et les drones des Américains du futur venus chacuns défendre leur ligne temporelle !)… C'est dommage on aurait pu aller plus loin, et même beaucoup plus loin avec un Manse Everard découvrant que sa ligne temporelle n'est pas naturelle mais artificielle, et qu'il défend un monde qui aurait dû être meilleur sans les interventions des posthumains Danéliens : oh oui, aller dans cette voie aurait génial mais au final Poul Anderson ne veut absolument pas remettre en cause son TINA !
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