J’ai vu mes parents se disperser. Ma sœur flamber, rendre aux étoiles les atomes qu’elle avait empruntés pour devenir elle, Inès, pendant que je rester entier. Des dieux qui bénissent, des “un-seul-Dieu-créateur-du-ciel-et-de-la-terre”, des résurrections de la chair, des fils assis à la droite du père, des litanies des saints, j’en ai eu ma part, et plus que ça. La seule droite du père que je connaisse et celle que nous avons reçue, mes amis et moi, en pleine poire. J’ai vu mille hommes brisés par une vie en noir et blanc. Et des bonimenteurs leur promettre, au marché du dimanche, que s’ils y croyaient très fort et ne posaient pas trop de questions, un jour, ils auraient la couleur.
Mais quand Théas souffla : « Dieu te bénit », j’y cru pour l’unique fois de ma vie, parce que contrairement aux autres, il croyait aussi.
- Sympathy, en anglais, c’est « compassion ». Ça peut être sympathie, mais là, je crois que c’est compassion.
- Ca ne change pas grand-chose.
- Ca change beaucoup de choses. Je n’ai pas de sympathie pour le diable, mais j’ai de la compassion pour lui.
- Pourquoi donc?
- Parce que si ça se trouve, le diable n’a rien demandé. Si ça se trouve il n’est pas né diable, c’était un bébé rose comme les autres. Peut-être qu’il a perdu ses parents, qu’on l’a envoyé dans un orphelinat, et que c’est là qu’il est devenu le diable.
Sans passé, sans avenir, sans avant et sans après, un orphelin est une mélodie à une note. Et la mélodie à une note, ça n’existe pas.
Elle affirmait que ceux qui brandissaient un drapeau et le croyaient unique brandissaient tous le même.
Je n'avais pas encore acquis cette sagesse des hommes mûrs, qui savent qu'en matière de susceptibilité, il en va des femmes comme de l’Église. Que l'on a forcément péché, en-pensée-en'parole-par-action-et-par omission, et qu'il faut savoir demander pardon même si l'on n'a rien fait, puisqu'il ne sert à rien de s'opposer à un décret divin.
pages 293-294.
Sans passé, sans avenir, sans avant et sans après, un orphelin est une mélodie à une note. Et une mélodie à une note, ça n'existe pas.
page 248
- Qu'est-ce que tu regardes comme ça, mon gars?
- L'abbé et Grenouille qui se disputent.
L'intendant se mit à rire.
-Les corbeaux ne crèvent pas les yeux aux corbeaux, comme disait ma grand-mère.
page 200.
- Pourquoi son agent juif? demandai-je;
- J'en sais rien, moi, il est juif, c'est tout. T'as un problème avec ça? T'es juif?
- Non. Enfin un peu. Mon grand-père était juif. Je suis un quart juif, en quelque sort.
- Ça marche pas comme ça chez les juifs. Tu l'es ou tu l'es pas. De toute façon, si c'est un quart, ça fait à peu près quinze, vingt pour cent, c'est pas grave.
- C'est sûr que c'est mieux que d'être cent pour cent con.
pages 162-163.