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Prix Goncourt 2023 : Interview de Jean-Baptiste Andrea
Veiller sur elle : ruée vers l'art

Article publié le 30/08/2023 par Nicolas Hecht, mis à jour le 07/11/2023

 

Fin août, Jean-Baptiste Andrea recevait le Prix du Roman Fnac pour son quatrième roman Veiller sur elle (éditions de L'Iconoclaste). Le 7 novembre, il se voyait également récompensé du prix Goncourt 2023. Une double récompense qui devrait lui apporter un lectorat encore plus nombreux, alors que ce livre plaît déjà beaucoup à la communauté Babelio.


Décerné par un jury de 400 adhérents et 400 libraires de l'enseigne, le Prix du Roman Fnac est l'un de ceux qui ouvrent la saison des prix littéraires de l'automne. Pour succéder à Sarah Jollien-Fardel, lauréate en 2022 pour Sa préférée (éditions Sabine Wespieser), les 800 lecteurs ont choisi le nouveau roman de Jean-Baptiste Andrea, Veiller sur elle, paru aux éditions de L'Iconoclaste le 17 août dernier. 

 

 

Il y a beaucoup de choses dans ce roman, présenté comme les confessions d'un sculpteur italien de génie, qui sur son lit de mort se remémore les peines et les joies de son existence. De page en page, on approche donc de la vérité de cet homme, de ses obsessions, en découvrant son enfance miséreuse, ses années d'apprentissage, son amitié avec une adolescente bourgeoise et fantasque. Un artiste qui aura traversé le XXe siècle, et donné au monde des œuvres empreintes d'audace et de mystère, à l'image de cette Pietà aux étranges pouvoirs, son capolavoro caché sur ordre du Vatican.

 

En toile de fond, l'Italie fasciste et la misogynie d'une société en pleine mutation, que son amie Viola subit de plein fouet. Toutes choses qui n'ont pas tellement changé, ou que l'on peut s'attendre à voir ressurgir, selon Jean-Baptiste Andrea. Au-delà de la politique, Veiller sur elle est aussi un roman passionné sur l'art et la création, un hommage à une Italie chère au cœur de son auteur, et un livre plein d'un espoir lucide. Nous avons posé quelques questions par téléphone à Jean-Baptiste Andrea, dont voici les réponses.


Vous remportez cette année le Prix du Roman Fnac pour Veiller sur elle. Depuis votre premier roman Ma reine en 2017, vous avez déjà reçu de nombreuses distinctions, mais on imagine que celle-ci, qui ouvre la saison des prix littéraires, vous fait évidemment plaisir…

Oui bien sûr, c'est de toute façon impossible de s'habituer à recevoir des prix, et heureusement. Chaque livre est nouveau, on se retrouve avec les mêmes doutes à chaque fois, sans savoir si ça va intéresser quelqu'un au final… En plus, le Prix du Roman Fnac est un très beau prix, qui ouvre effectivement la saison.

Un village de Ligurie



Avec ce quatrième roman, vous mettez en scène une période charnière de l'histoire italienne, celle du XXe siècle marquée par le fascisme. Pourquoi avoir choisi cette époque, ce pays (et plus particulièrement la région de la Ligurie) pour nous raconter le destin d'un sculpteur de pierre génial, Michelangelo "Mimo" Vitaliani ?

J'ai choisi ce pays parce que mes origines familiales sont en Italie. Ma famille est arrivée en France dans les années 1930, et à l'époque on ne se targuait pas d'être Italiens, de peur de faire Ritals. Je n'ai donc pas vraiment de connexion avec cette histoire, avec ce pays. J'ai voulu apprendre l'italien, mais durant ma scolarité c'était mieux vu de choisir l'allemand, la langue des bons élèves à l'époque. 

Écrire sur ce pays me trottait dans la tête depuis un moment, parce que j'ai un très grand désir d'Italie. C'est un pays qui m'a toujours fasciné, et au fil du temps j'ai développé une mythologie personnelle à propos de celui-ci. Ce livre m'a en quelque sorte permis de renouer avec mes racines. Situer l'action en Ligurie était une évidence, car je traverse souvent cette région quand je me rends en Italie. Je vis à Cannes, qui est très proche, et c'était pour moi assez simple de la décrire.

Concernant l'époque, j'avais besoin d'une temporalité assez longue, d'un siècle pour raconter ce destin, et là encore c'était naturel pour moi d'écrire sur le XXe siècle ; je n'avais pas forcément envie de remonter trop loin dans le temps. Comme la tyrannie est le thème principal du livre, utiliser le cadre du fascisme me semblait idéal. L'histoire du fascisme fait partie des rares sujets qui m'ont passionné durant mes études, j'avais l'impression de plonger au cœur de la folie humaine. L'idée sous-jacente était aussi de comprendre comment ça a pu arriver, pour faire en sorte que ça ne se reproduise pas.


Mimo se lie rapidement d'amitié avec une adolescente de la bourgeoisie ligure, Viola Orsini. Une relation secrète puisqu'elle aurait été inconvenante pour la famille Orsini, alors que les bourgeois et le peuple ne se mélangeaient pas. C'est donc aussi l'histoire de la confrontation entre deux mondes…

Le thème de la tyrannie, dont je vous parlais précédemment, se décline à travers différentes strates dans le livre (politique, économique, familiale avec le statut des femmes…). La tyrannie de classe en fait bien sûr partie, et de ce point de vue peu de choses ont changé (comme pour la situation des femmes) : même si les inégalités se sont réduites, il n'y a pas aujourd'hui de barrière qui est tombée entre les classes. On a offert un peu plus de confort matériel à certaines classes, mais pas plus. Ces thèmes sont venus naturellement durant l'écriture, avec toujours en toile de fond une sorte de lutte entre le bien et le mal. 

La célébrissime Pietà de Michel-Ange, dont Mimo cherche à égaler voire dépasser la splendeur



L'art de la sculpture est au centre du récit. Le lecteur se voit invité dans des ateliers où se côtoient la découpe et la taille, où marteau et ciseau s'entrechoquent. Vous rappelez aussi le caractère souvent ingrat, voire dangereux, de ce travail, pour aller chercher la beauté au cœur de la pierre. Est-ce une analogie avec les moyens et les fins de l'écriture qui vous a poussé à prendre pour sujet cet art ? Ou plus simplement un intérêt personnel pour cette activité ?

Je suis effectivement passionné de sculpture et plus encore de peinture, notamment de la Renaissance. Mais j'ai avant tout utilisé la sculpture comme une métaphore de la démarche artistique en général. Il y a cette difficulté physique dans la sculpture, que vous évoquez. C'est dangereux, difficile, mais le plus difficile c'est l'angoisse de la création, la recherche de l'œuvre parfaite, la recherche de soi en tant qu'artiste. Ces difficultés et les tentations qui vont avec - se reposer sur la technique, imiter, briller - se retrouvent dans tout art.

Pour moi, l'art est justement une arme contre l'obscurité. L'art, c'est la lumière. C'est ce que je célèbre à travers l'écriture.


Vos livres accordent une grande place à la réparation d'êtres malmenés par la vie, à ce que l'existence peut offrir malgré les épreuves, et bien sûr à la jeunesse et ses rêves. Viola dit d'ailleurs à Mimo : « Je voulais te montrer qu'il n'y a pas de limites. Pas de haut ni de bas. Pas de grand ou de petit. Toute frontière est une invention. » C'est précisément ce que vous visez en vous adressant à vos lecteurs ?

Oui, complètement. C'est ce que je dis quand je vais dans les lycées, par exemple. Ça, c'est vraiment mon credo. C'est l'histoire de ma vie, et de toute personne qui choisit de combattre pour sortir du système. Devenir écrivain, c'est toujours un combat.

En face, vous aurez toujours quelqu'un pour vous imposer des limites, de l'interdit. Moi, je crois que la seule limite, c'est la volonté. J'ai connu beaucoup de gens très talentueux qui ont malheureusement arrêté, renoncé à leur art par lassitude ou manque de volonté. C'est terrible.

Personnellement, j'ai envie de célébrer la naïveté, d'où le recours à l'enfance dans mes livres, en tant que puissance créatrice. Ce sont des êtres pour qui tout est possible ; je suis resté entièrement comme ça, preuve que l'on retrouve ça aussi chez des adultes. Malgré tout ce qu'on vous dit ou malgré les difficultés, le plus important reste de faire et de tenir bon.

 

Une église en Ligurie



L'amour impossible, le mystère et la caractérisation de vos personnages évoquent la fable ou le conte. Est-ce un genre que vous appréciez ?

Alors là, vous abordez un sujet assez problématique pour moi. Ça m'agace un peu qu'on me rattache au conte et à la fable, parce que j'ai souvent l'impression que ça m'assimile à quelque chose d'enfantin, dans le mauvais sens du terme. Moi, j'écris la réalité, une forme de réalité ; j'aime la magie du quotidien qui est juste sous la surface, c'est peut-être ce qui produit cet effet onirique ou légèrement décalé.

En même temps, je ne peux pas nier d'avoir lu et apprécié beaucoup de contes. Mais je crois que ce qui traverse les contes, ce sont des schémas narratifs qui constituent une sorte d'histoire universelle, commune à beaucoup de livres qui restent dans le temps.


Est-ce que vous comptez lire, ou avez déjà lu, certains livres de la rentrée littéraire ?

Ah, oui ! J'ai beaucoup aimé le livre de Laurent Binet, Perspective(s). On a pas mal de choses en commun, et en plus celui-ci se déroule à Florence au XVIe siècle. C'est intelligent, bien construit, on sent que c'est un auteur qui travaille, et ça j'aime.

Un autre livre qui m'a beaucoup plu : Le Jour des caméléons, d'Ananda Devi, plein de poésie, de grâce et de beauté. Et puis il y a Western, de Maria Pourchet. Sans doute plus clivant mais moi j'adore son style, cette langue. C'est unique. Il y a aussi Panorama de Lilia Hassaine, que j'ai trouvé très original. Et puis j'avais aussi envie de lire les autres finalistes du Prix Fnac, dont j'ai entendu du bien.

 



Découvrez Veiller sur elle de Jean-Baptiste Andrea, publié aux éditions de L'Iconoclaste

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