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Critique de clude_stas


En 1982, pendant les vacances de Noël, j'ai, en compagnie de Dominique Servais, franchi la porte cochère du Musée Nissim de Camondo (Paris, 63 rue de Monceau, XVIIIe arrondissement). Et depuis cette date, j'ai conseillé à un grand nombre de connaissances de visiter l'endroit, tant il est inoubliable. Si bien que, quand j'ai reçu le livre de Pierre Assouline en cadeau, j'étais à la fête d'en apprendre plus sur cette famille de banquiers, les Camondo, souvent surnommés « les Rotschild de l'Orient ».
Bien évidemment, j'ai visité les collections conservées sous l'aile du Musée des Arts décoratifs bien avant l'importance campagne de restauration commencée en 1985. Mais, à la lecture des descriptions des différentes pièces avec leur mobilier, je me souviens parfaitement de cet hôtel particulier, à un jet de pierre du parc Monceau. Il me serait bien fastidieux d'énumérer ici tous les chefs-d'oeuvre réunis par Moïse de Camondo, riche amateur, passionné et rigoureux. Toute la crème des ébénistes du XVIIIe siècle est ici présente : Bernard van Riesen Burgh, Martin Carlin, Nicolas-Quinibert Foliot, Jean-François Oeben, Jean-Henri Riesener, Adam Weisweiler, pour ne citer que les plus célèbres. Mais surtout, le bâtiment (architecte : René Sergent) est un petit temple entièrement dédié à l'âge d'or des arts décoratifs français, à savoir le XVIIIe siècle. Si bien qu'après le Salon bleu et le Petit bureau, vous découvrez le salon Huet avec ses boiseries, ses tapis, le mobilier de Jean-Baptiste Sené, le lustre en cristal de riche et améthystes, l'inattendu paravent du Salon des Jeux de Louis XVI à Versailles et les panneaux peints de pastorales par Jean-Baptiste Huet. Dans la salle à manger, se trouve le service Orloff ayant appartenu à Catherine II de Russie. La surprise vient d'une petite pièce adjacente, sans lambris, mais saturée de vitrines remplies de porcelaines de Sèvres et de Meissen. Puis le grand salon, où arrêter le regard ? Peut-être sur ce portrait peint par Elisabeth de Vigée-Lebrun, daté de 1788. Seule la bibliothèque ne trouve guère grâce aux yeux de Pierre Assouline, reflet d'un esprit de l'époque, aux lectures sélectives.
Un autre intérêt de ce livre est de nous renseigner sur les origines de cette famille. Moïse de Camondo est le descendant des grands argentiers de la Sublime Porte, à Constantinople, siège du gouvernement du sultan de l'Empire ottoman. En dépit de leurs assertions comme étant d'origine vénitienne (Camondo = Ca'Mondo, la maison du monde). En effet, Moïse est né le long du Bosphore en 1860 et est arrivé à Paris en 1870. Il est donc, selon Assouline, bien un sépharade (et tout un chapitre, un peu fastidieux, nous éclaire sur l'histoire de cette branche du judaïsme). Sa vie, tournée vers les métiers d'argent, plus par tradition que par réelle vocation, ne prend son sens que quand il peut s'occuper de sa collection d'objets d'arts décoratifs. Celle-ci semble être un écho de son divorce avec Irène Cahen d'Anvers, elle-même fille de banquier, la femme aimée mais définitivement absente. le drame survient plus tard. Nissim, son jeune fils, meurt en septembre 1917 lors d'un combat aérien en Lorraine. Moïse est dévasté par la nouvelle. A sa mort, en 1935, il lègue son hôtel particulier et tout son contenu au musée des Arts décoratifs de Paris. Aujourd'hui, le lieu est ouvert au public et il demeure le témoignage de la passion d'un homme pour l'art de vivre du XVIIIe siècle.
Je me dois de souligner qu'Isaac de Camondo (1851-1911), son cousin, est également bien connu des conservateurs de musées et des historiens d'art car il a légué au Louvre quelques-unes des oeuvres majeures de l'impressionnisme français. Aujourd'hui, au Musée d'Orsay, des millions de visiteurs admirent ces tableaux sans s'en douter : « le Fifre » d'Edouard Manet, « les Joueurs de Cartes » de Cézanne, « l'Absinthe » de Degas. Et la première oeuvre de Vincent van Gogh au Louvre, « Fritillaires couronne impériale dans un vase de cuivre » (1887), c'est grâce à lui. Une famille de banquiers mais également une famille de mécènes, qui ne se souciait guère de sa visibilité lors de ses dons.
Mais au-delà de cette famille en particulier, Pierre Assouline nous décrit un mode de vie, pas loin d'un lieu de promenade très couru, dans un quartier où vit toute une partie de la noblesse et de la haute bourgeoisie parisienne. Si bien que Marcel Proust se rappelle à notre bon souvenir, lui, le chantre de cette société de la IIIe république française. N'écrit-il pas : « Seule une immense fortune a donné à quelques-uns le droit de voir les frondaisons du parc Monceau de leur fenêtre» ?
A l'instar de Pierre Assouline, je suis tombé sous les charmes du lieu, de ce voyage dans le temps (sans aucune machine). Et je reste très ému par le destin de ceux à qui tout souriait.
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