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Critique de VictorPepepe


Je ne saurais dire si cette biographie du philosophe est préférable à une autre. Je peux au moins affirmer que sa lecture est agréable et que son format « médian » (370 pages) me paraît favorable à une découverte de l'oeuvre de Nietzsche dans sa globalité, c'est à dire dans les rapports qu'elle entretient avec la vie de son auteur mais également dans les rapports qu'entretiennent entre elles les oeuvres elles-mêmes, rapport d'approfondissement, ou le plus souvent dans le cas de Nietzsche, de retournements et de contradictions.
Il est impossible de résumer cet ouvrage ici, je m'en tiendrais à quelques brèves remarques suscitées par cette lecture (le choix de ces thématiques est tout à fait personnel et arbitraire et ne prétendent pas résumer les vues de Dorian Astor)

- Les contradictions entre l'artiste et l'oeuvre.
L'oeuvre de Nietzsche est une longue apologie de l'acquiescement à la vie, du refus des passions morbides et nihilistes, de la maximisation de notre potentiel, de l'allégement d'existence. Mais toute sa vie semble placé sous le signe du renoncement, de la solitude, du ressentiment (cette dernière tendance étant pourtant de celles qu'il passe le plus de temps à démolir), voire du suicide.
De la même manière, l'obsession de Nietzsche à l'égard de la vitalité et de la santé n'a d'égale que son état constamment souffrant et son inexorable déclin psychologique.

- Son nomadisme forcené voire pathologique :
Tel un hypocondriaque jonglant constamment d'une tentative médicamenteuse à une autre, Nietzsche nous apparaît dans une quête perpétuelle de l'endroit adéquat, celui qui siéra à son inspiration et à sa santé fragile. Il porte une attention extrême non seulement aux paysages et à leur capacité à nourrir son imagination mais scrute également constamment leurs caractéristiques plus immédiates et épidermiques : climats, luminosité, « ventosité », humidité, se déplaçant sans cesse quand il en conclut que l'endroit ne lui est finalement pas favorable.

- Friedrich le Fou :
La lecture d'un ouvrage comme celui-ci nous apporte un éclairage riche sur les aléas de la vie de Nietzsche, en particulier psychologiques. Elle n'est pas non plus avare de mise en perspective de l'oeuvre avec ces désordres. Et pourtant, cet ouvrage me donne l'impression de ne jamais livrer fermement la conclusion qui me paraît s'imposer : Nietzsche, à un moment de sa vie, passe de l'autre côté. Cette évolution est progressive, mais au bout d'un moment, il me semble qu'il n'est plus possible de tourner autour du pot : l'homme est devenu fou, son oeuvre est celle d'un homme fou. Elle demeure certes inspirante, riche d'enseignements à des titres divers, et peut-être que les philosophes ou philologues estiment que poser ce type de verdict n'entre pas dans leurs prérogatives (qui se risquerait à esquisser une frontière à la normalité psychique, surtout depuis Foucault ?) Et pourtant, je pense que des ouvrages qui prendraient le risque inouï de dire quand une pensée verse du côté du délire faciliteraient leur compréhension.

- (Outils conceptuels) :
- Son concept de la volonté de puissance, ici résumée en « plaisir » comme loi principale de la nature et du destin de l'homme, concept qui s'appuie sur la volonté schopenhauerienne (tout en la dépassant), annonce Freud et porte un coup aux visions libérales ou darwinistes de l'homme. L'homme n'obéit pas à son intérêt ou à son avantage, mais simplement à son instinct, sa volonté de puissance, sa puissance d'agir, qui peuvent tout aussi bien le mener à la destruction ou à l'autodestruction.
- L'école du soupçon, puis l'école du regard comme éthiques de recherche et d'attitude face à la vie.

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Je n'en ai décidément pas fini avec la lecture de Nietzsche. de la science, de l'art, de la religion, de la morale, de l'homme, il dit tout et parfois son contraire. Il nous fait tourner en bourrique, mais c'est ce qui le rend si précieux. Pour citer Dorian Astor citant Nietzsche citant Schopenhauer, voici à quelles altitudes et à quelles ivresses peuvent nous propulser de telles fréquentations :


(Dorian Astor) : « Nietzsche affirmait que tous les grands systèmes philosophiques sont réfutables, mais les que les grands philosophes ne le sont pas : « je ne veux extraire de chaque système que ce point qui est un fragment de “personnalité” et qui appartient à cette part d'irréfutable et d'indiscutable que l'histoire se doit de préserver. » Ce dont il s'agit désormais, depuis la seconde “Inactuelle”, c'est comprendre en quoi le contact d'un génie nous élève et nous améliore, nous fait penser et agir : « je ne décris rien d'autre que la première impression, pour ainsi dire physiologique, que Schopenhauer suscite en moi, cette magique effusion de l'énergie la plus intime qui se communique d'un être de la nature à l'autre et qui survient au premier et au plus léger contact ; et si j'analyse après coup cette impression, je la trouve composé de trois éléments, l'impression de son honnêteté, de sa sérénité et de sa constance. »
(Dorian Astor) Schopenhauer a su surmonter les trois grands dangers qui guettent tout philosophe aujourd'hui : celui de se livrer à la solitude, celui de désespérer de la vérité et celui de se détourner de la vie. »

Ce pourrait être une bonne définition de ce que nous apporte la lecture des géants : non des réponses, mais un élan. Si je devais instantanément développer et nuancer : je ne suis pas sûr que Nietzsche ait complètement réussi à combattre sa tendance à ne pas « se détourner de la vie », c'est le moins qu'on puisse dire. Je crois bien que c'est notre lot à tous, nous qui cherchons un sens dans l'ombre de pareils obscurs ouvrages. Mais il n'est pas impossible que de telles lectures, en définitive, augmentent tout à la fois la gravité à laquelle notre pauvre âme est sujette (gravité aussi bien morale que newtonienne), que le carburant nécessaire pour y échapper. Elles nous ouvrent à de nouvelles abysses, mais nous apprennent aussi à les enjamber.
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