Citations sur La fabrication de l'information (11)
La presse parle de ce dont le public parle. Et le public parle de ce dont la presse parle.
Rares sont pourtant ceux qui peuvent aujourd'hui comprendre la science ou l'économie. Elles sont devenues d'une complexité telle qu'elles échappent à la maîtrise : nous sommes, à l'échelle du temps, les premiers habitants d'une culture dont nous n'avons pas les clés.
Entre coups de coudes et œillades, naît ainsi une complicité stérile avec le public, ce sentiment flatteur d'être en petits malins, ceux à qui on ne la fait pas, cette image valorisante de l'homme éclairé. Et, tout bien pesé, si le monde doit opposer les arnaqueurs aux arnaqués, autant faire partie des premiers... (80)
Si [l'intervieweur] lâche : « c'est complexe pour le grand public... », vous êtes fichu. Vos années de recherche tombent dans l'abîme. Vous n'avez pas su plaire. Votre éditeur vous le fera remarquer. (29)
Pour une interview, le journaliste sait parfois mieux que son invité ce que ce dernier est censé dire. (27)
Pour que le monde soit crédible, il doit ressembler à la fiction. […] Le réel n'est plus cette chose fatigante et capricieuse qui semble s'évertuer à vouloir faire capoter l'histoire qu'a écrite pour lui. (23)
les journalistes cèdent à l'impatience, au goût du succès et de la reconnaissance, au rythme trop rapide, ou aux mille excellentes raisons de ne pas tolérer les exigences du monde. En toute bonne conscience, ils se lancent alors dans des accommodements avec le réel.
tout doit être explicable, transparent, offert au regard, les équations comme le reste. L'obscurité n'est pas supportable, parce qu'elle ne peut pas être représentée. Alors, si certaines données nous échappent, fissurant les convictions, l'idéologie de la communication y pourvoira: «Elles nous échappent parce qu'on nous les cache.»
Si les scientifiques sont donc les premiers à tenter de démentir les extrapolations, les politiques vont généralement tout faire pour conforter l'illusion d'une maîtrise imaginaire, affirmant qu'ils voient clairement vers où vogue la barque et que la situation est sous contrôle.
Informer ou ne pas informer, voilà la question. Pour les journalistes, la question n'est donc pas de faire autrement ou mieux. la ligne de rupture traverse certes la presse, mais elle ne s'y arrête pas : elle trace la frontière entre ceux qui s'accommodent du monde virtuel de la communication et donc la société néolibérale qui la produit, et ceux qui s'engagent dans une véritable alternative.
L'homme communicationnel se sent investi d'une lucidité à toute épreuve, de même que tout patient dépressif se présente comme omniscient. l'un comme l'autre ont la sensation d'être incroyablement informés des tenants et aboutissants de la vie. Le dépressif est un être informe, mais qui sait. Il connaît toutes les ruses, tous les arguments qu'on pourrait avancer pour ébranler ses tristes certitudes. En lui, le cône d'ombre du doute a disparu. Plus rien ne peux le surprendre. Il ne sent plus aucune curiosité. Il sort de la dépression au moment exact où en ouvrant la bouche, sans faire attention, il avale une incertitude. En acceptant l'existence du doute, de cet ailleurs qui ne lui est pas immédiatement connu ou connaissable, le désir réapparaît.
L'homme communiquant est le jumeau du dépressif. A quoi bon bouger puisque les ailleurs ne sont pas forcément ailleurs? A quoi bon faire quelque chose puisque rien ne peut changer? Il finit lui aussi par se figer dans l'immobilité absolue.