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Critique de Malaura


« Il y avait en Périgord un prêtre qui habitait tout en haut d'un village composé de vingt maisons à toits de pierre grise…»
Sans en connaître bien davantage, les parents du narrateur, un jeune garçon de 16 ans, confient leur rejeton à cet abbé de 35 ans, rustre et singulier, avec la mission de lui apprendre à vivre, quitte à le « traiter vivement » si besoin est.
Très vite, entre l'abbé et le jeune adolescent rêveur, épris de nature et de sensualité, se noue une relation faite de coups et de caresses, un apprentissage charnel et sexuel, abordé dans la douleur et la violence. Les coups de fouets succèdent aux baisers, les châtiments s'agrémentent de doux moments d'intimité et d'une initiation panthéiste aux secrets de la terre.
Loin d'y trouver matière à se plaindre, le jeune narrateur puise dans ces égarements, dans cette union masochiste inattendue, une entière satisfaction, le sentiment d'une fraternité primitive berçant au plus profond son caractère sauvage et tendre, et lui procurant un état bienheureux d'inconscience et de paix.
Dans la nature luxuriante et magique du beau Sarladais des mois d'été, le jeune homme vit en communion parfaite avec les êtres et les choses qui l'entourent.
Dans le village, il fait également la connaissance d'un petit livreur de pain de 13 ans dont l'attrait et la grâce juvénile ne lui sont pas insensibles. Les deux enfants s'aiment dans le cadre grandiose du Périgord noir, au coeur des forêts ancestrales, à l'abri des grottes et des rocs, dans un partage des sens intense et enivrant.
Mais aux instants délicieux succèdent la peur d'être pris et emprisonné. Car les gendarmes rôdent…et enquêtent sur ces relations qualifiées de « contre-nature ».
Initié par l'abbé aux secrets et mystères d'une nature dont il perçoit les moindres oscillations de vie, notre jeune apprenti sorcier décide de braver la loi sociale avec le concours de la magie et des esprits peuplant les eaux mortes de la Vézère.
Par un étrange cérémonial, le garçon cache son âme dans le miroir de l'eau, là « où les hommes de Loi n'iront pas le chercher »…

Hymne à la nature, au plaisir, à la sensualité et à la liberté, ce livre écrit en 1954, publié une première fois en 1964 sans mention du nom d'auteur, est une entière, une étourdissante, une étonnante découverte.

Découverte d'un auteur d'abord, ce François Augiéras dont les éditions Grasset ont eu la bonne idée, à la fin des années 90, de rééditer l'oeuvre dans la collection « Les cahiers rouges ». Ecrivain vagabond, errant mystique, homme hors du temps et des modes, voyageur rimbaldien et provocateur à la sensualité à fleur de peau, l'auteur cosmique « primitif et maudit » du « Vieillard et l'enfant » ou du « Voyage des morts », meurt dans la misère au terme d'une existence brève et ascétique (1925 – 1971), laissant une oeuvre littéraire et picturale belle et forte autant qu'anticonformiste, très / trop longtemps souterraine car assurément troublante et dérangeante.
Figure brûlante et fascinante de la littérature française, saluée par André Gide ou Yves Bonnefoy, François Augiéras est de ces êtres originaux à la philosophie de vie particulière, qui ne peuvent laisser indifférent tant leur vision des choses et du monde est au-delà de la morale, des lois sociales, des dogmes et systèmes de pensées généralement admis.

Découverte d'une plume ensuite, dont la qualité, entre simplicité, rudesse et lyrisme, est d'une beauté brute, sauvage, indomptée, comme une pierre précieuse encore enchâssée dans sa gangue de roche laisse augurer des mille feux dont ses facettes vont nous éblouir.
Cependant, il nous faut convenir que « L'apprenti sorcier » est un roman d'apprentissage et d'initiation qui peut aussi heurter les sensibilités.
On y parle d'amour charnel, d'homosexualité, de plaisir dans la douleur, de jouissance, de sensualité animale se révélant dans les offrandes de la terre….c'est le récit d'une éducation sentimentale agrémentée d'une sauce païenne à la fois goûteuse et piquante, envoûtante mais aussi choquante à certains égards.
Il n'y a pourtant aucune vulgarité, aucun érotisme racoleur dans ces lignes superbes mais plutôt une poésie enchanteresse et une volonté d'absolu, une recherche spirituelle de sens et des sens, qui puisent sa force dans le Beau et dans les choses les plus naturelles, les plus essentielles, les plus fondamentales et primaires de la vie.

Nature, beauté et plaisir sont ici intimement liés dans une communion, une eucharistie du corps et de l'esprit évoquée avec un mysticisme païen. François Augiéras est un animiste dont l'oeuvre prend racine dans les entrailles de la Terre, au coeur des éléments, au sein d'une nature magique et secrète dont on apprend le langage avec tous les sens et avec toutes les parcelles de son corps. Il est un peu le mix de Giono avec le grand dieu Pan…ou un Gabriel Matzneff à la mode périgourdine…
De cette puissante évocation nimbée de paganisme de la beauté de la nature et du plaisir charnel, on ne partagera cependant pas toute l'indécente vision. La félicité dans la douleur, l'auto-flagellation, le corps à corps sensuel avec un arbre, l'acte d'amour avec un jeune garçon…ont certes de quoi choquer les âmes bien-pensantes.
Pour autant, on aurait tort de réduire l'oeuvre d'Augiéras, souvent d'inspiration autobiographique, à une littérature licencieuse et perverse quand cela va totalement à l'encontre de tout ce qu'a voulu dispenser cet auteur en perpétuelle quête d'absolu, mystique et visionnaire, à la plume claire, inspirée et symbolique, pleine d'illuminations magnifiques.
Car « L'apprenti sorcier » est un livre riche, intense, plein de ferveur et de croyances, le culte de l'émerveillement dans toutes les manifestations de la vie. C'est encore un éloge de la différence, une aspiration grisante du plaisir, de la découverte du corps et de ses limites, une recherche de soi dans les arcanes sacrés de Mère Nature, une incantation chamanique liant l'âme et le monde.
Autant de bonnes raisons pour (re)découvrir cet auteur inclassable, ce « Barbare en Occident » au charme si singulier mais à la voix cosmique si vibrante et percutante.
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