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EAN : 978B018SO7RP0
384 pages
Ligaran (01/12/2015)
4.5/5   1 notes
Résumé :
Extrait : "Quand ils s'occupent de la grosse question du mariage, la plupart de nos moralistes se contentent de constater que les jeunes gens d'aujourd'hui sont exigeants, que les jeunes femmes aiment passionnément la toilette, et que, lorsque les millions ne sont pas de la noce, il n'y a pas de noce."
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
L'art de causer est perdu depuis longtemps déjà chez nous, non que l'esprit ne soit aussi vif, aussi primesautier qu'autrefois, mais on ne sait plus écouter, et par conséquent on ne sait plus répondre.
Quand trois personnes sont réunies, il y en a toujours une qui débite son monologue pendant que les deux autres préparent le leur.
L'envie de briller, de poser (un vilain mot et une vilaine chose), de se faire remarquer, a singulièrement modifié les relations sociales.

Le salon, tel qu'on le comprenait autrefois, réunissait un certain nombre d'hommes et de femmes qui se connaissaient, se convenaient et se préoccupaient moins de briller que de se distraire.

C'était une sorte de tontine intellectuelle où l'on se risquait au petit bonheur, et où l'esprit, se recrutant à la ronde, se multipliait par le contact.
Nous avons encore des fêtes, des réunions de trois cents personnes, mais le salon proprement dit n'existe plus que dans le souvenir de la génération qui nous a précédés.

Aujourd'hui un maître de maison donne des bals parce qu'il a des filles à marier, et que la contredanse est, après M. de Foy, le meilleur agent matrimonial.
Le piano est ouvert, les jarrets sont tendus ; trémoussez-vous, aimables bergères.
Le quadrille peut vous conduire à la mairie.
Il ne faut pas oublier non plus les soirées à grand orchestre, et qui n'ont pour but que de mettre en relief la vanité de l'amphitryon.
Cinq cents invitations ont été lancées dans toutes les directions.

Au jour dit, les salons regorgent de gens arrivés des quatre points cardinaux et qui ne se sont jamais vus.

Les sièges réservés aux femmes sont entassés sur plusieurs rangs dans toute la longueur de la pièce, et ne laissent aucun espace où l'on puisse circuler.

Le flot des invités grossissant toujours, on se heurte, on se bouscule, on marche sur les pieds du voisin, on reçoit un coup de coude dans la poitrine, et la soirée se passe à offrir et à recevoir des excuses.

O fortune inespérée ! vous venez d'apercevoir une femme de votre connaissance, mais elle est internée à l'autre bout du salon pendant que vous êtes vous-même bloqué dans une encoignure.

Vous ne pouvez donc ni lui parler ni la saluer, et vous déplorez cette mode toute nouvelle qui, parquant les hommes d'un côté et les femmes de l'autre, sépare les deux sexes par un cordon sanitaire de chaises et de fauteuils.

De quoi s'agit-il, en somme, et quel est le prétexte de cette réunion, qui ne serait pas complète si tous les invités pouvaient pénétrer dans l'appartement ? de la représentation d'un proverbe, ou d'une scène lyrique chantée par les artistes italiens. Dans l'un ou l'autre cas, les trois quarts des auditeurs n'entendent pas un mot de ce qui se dit ou de ce qui se chante, et, après quatre heures passées au milieu d'une atmosphère étouffante, chacun se retire en déclarant que la soirée a été magnifique, splendide, admirable, et en ajoutant tout bas qu'il s'est considérablement ennuyé.
Tels sont les plaisirs dont se contente la société parisienne, plaisirs de convention, désœuvrement factice où le bâillement se dissimule sous un sourire satisfait dont personne n'est dupe, sauf celui qui paye les violons.

Franchement, il ne faut pas trop en vouloir aux jeunes gens s'ils s'exilent volontairement de ces banales soirées, où un mannequin revêtu d'un habit noir vaut tout autant qu'un homme de génie, où une poupée de Nuremberg tiendrait tout aussi convenablement sa place qu'une femme spirituelle.

Le malheur est qu'à côté de ce que l'on nomme le monde, il y a un autre monde qui est l'ennemi-né du premier, et qui profite de ses fautes et de son inintelligence pour recruter les transfuges.

Quand on s'est cordialement ennuyé au faubourg Saint-Honoré, on va se distraire derrière la Chaussée-d'Antin.
Là les réunions ne sont ni roides ni gourmées, et l'on pourrait même leur reprocher d'exagérer la qualité qui manque aux salons d'aujourd'hui.
Les femmes et les hommes ne forment pas deux camps séparés comme les choristes à l'Opéra.
On cause beaucoup, on rit beaucoup, et il arrive tout naturellement qu'entre la bonne compagnie qui ennuie et la moins bonne qui amuse, on ne choisit pas la meilleure.
Ce monde à part qui a eu ses historiens, ses écrivains et ses poètes, gagne du terrain chaque jour, et c'est un peu la faute de tout le monde.
Je sais bien qu'on n'a encore aujourd'hui qu'une médiocre estime pour le panier de pêches à quinze sous, mais laissez faire le temps, et, si l'on n'y prend garde, vous verrez qu'il ne se trouvera bientôt plus personne pour apprécier la fraîcheur, la beauté et la finesse des pêches de qualité supérieure.
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Il est à tout instant question des progrès de l'industrie américaine.
Le nouveau monde rêve le mécanisme universel.
Cette civilisation anglo-saxonne, la dernière venue de la civilisation, et qui aspire modestement à la conquête de l'univers, a fait depuis quelques années des pas de géant dans la voie de l'engrenage.

Nous avons, nous, des monstres de fer qui obéissent plus docilement que des chevaux dressés, de gigantesques machines qui fonctionnent avec la régularité d'un chronomètre; mais tout cela est encore circonscrit dans un certain cercle, qui va, il est vrai, chaque jour s'élargissant.

Par-delà l'Atlantique, la science a tout envahi, elle vous poursuit à tout heure et partout.
Le temps n'est pas éloigné sans doute où de perfectionnement en perfectionnement, notre vieux monde, tiraillé depuis six mille ans par deux forces contraires, trouvera son équilibre en mettant fin au duel de la matière et de l'idéal.
Alors tout sera réglé, tout sera prévu, tout sera méthodique.
C'est un ressort qui gouvernera le globe.
Je ne vois pas trop ce que deviendra l'homme, ce rouage désormais inutile d'une civilisation montée comme une horloge.
Quand il aura définitivement congédié l'imagination et supprimé l'imprévu, il ne restera plus à ce roi déchu qu'à se promener, à manger, à dormir et à s'ennuyer.
S'il est sage, il ne songera même pas à se reproduire dans ses enfants attendu que la machine une fois montée et lancée pourra très bien fonctionner sans lui.

Et vous surtout, que deviendrez-vous, ô rêveurs ? Vous aurez encore, il est vrai, le spectacle éternel de l'éternelle nature ; l'oiseau chantera toujours dans les bois renouvelés ; la poussière du charbon noircira peut-être le calice de la rose, mais il lui restera encore son parfum.

En proie aux sollicitations du démon intérieur, vous suivrez d'un œil inquiet cette pâle clarté qui tombe des étoiles.
Mais à qui raconterez-vous ces doux poèmes que dicte aux cœurs enthousiastes la muse de la jeunesse ?
Qui se détournera pour vous écouter dans un temps où la machine sera plus forte que la pensée, où le dernier mécanicien sera plus utile que Virgile ?
Ô rapsodes attardés, derniers fous du genre humain, masques d'une autre époque égarés au milieu du carnaval des affaires, l'enthousiasme soulevé dans votre âme par les enivrements de l'infini retombera lourdement sur vous-mêmes comme le rocher sur Sisyphe, et l'inspiration vous dévorera en secret comme le renard du Lacédémonien.

Mais pourquoi surcharger de si sombres couleurs l'avenir, quand le présent est déjà si morne ?
Le char de la société contemporaine roule à toute vitesse sur le grand chemin des intérêts ; la nature a été adjugée aux ingénieurs.
Le cantique nouveau, c'est le cri de la scie, le bruit du marteau frappé sur l'enclume.

Dans cette France, naguère si attentive au récit des belles choses, y a-t-il encore un public assez peu distrait pour prêter l'oreille aux sons que murmurent quelques lyres désespérées ?
J'en doute, et pourtant à la plupart de ces jeunes poètes qui mourront inconnus il n'a manqué que l'heure clémente.
Ils se sont présentés au public au moment où la foule de spectateurs venait d'abandonner les degrés du Portique.

Je me figure qu'il dut en être ainsi aux premiers jours de la décadence païenne.
Je vois d'ici ces jeunes Romains attachés par l'imagination et le souvenir au vieux culte national.
Ils reviennent de la Grèce, où ils ont vu palpiter le sein des déesses sous la transparence des marbres ; ils chantent les dieux immortels, mais la foule est railleuse, et elle répond que les dieux sont morts, comme on dit aujourd'hui que l'idéal est mort.

Étonnés que personne ne les entende plus quand ils parlent la langue des grands jours, ils pâlissent, ils se troublent, ils ont comme un pressentiment que la dernière heure de Pan va sonner, et ils cherchent à l'horizon la lueur nouvelle qui doit ranimer le monde ; mais ils sont entre une éclipse et une aurore.
Le Calvaire ne resplendit pas encore, et déjà l'Olympe est pour toujours voilé.
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Permettez-moi de vous présenter maintenant l'homme répandu.
L'homme répandu est une victime des relations sociales, qu'il ne faut pas confondre avec l'homme à la mode.

L'homme à la mode donne le ton, impose ses fantaisies, et ne s'astreint point aux conventions du monde.

C'est un premier rôle envers lequel on ne saurait se montrer trop indulgent ; mais en revanche, on exige beaucoup de l'homme répandu, qui joue les grandes utilités sur le théâtre des salons parisiens.

Celui-là doit avoir un estomac toujours prêt, une jambe toujours prête, un bras toujours arrondi, un sourire toujours en fleur : il n'existe qu'à cette condition.

Dans la saison des quadrilles, il reçoit quarante invitations par semaine, et il n'a pas le droit de manquer à une seule ; on compte sur lui comme sur le pianiste.

A ce jeu-là, il dépense vingt francs de coupé par soir, et trois paires de gants, mais il est un homme répandu.

Il est reçu chez tous les saints du calendrier ; il connaît toutes les lettres de cet aristocratique alphabet qui voltige à l'horizon de toutes les chroniques.

Vous le rencontrerez chez la belle Mme d'A., chez la charmante Mme de B., chez la spirituelle Mme de C., et ainsi de suite jusque chez la ravissante Mme de Z. inclusivement.

Il est le même soir au faubourg Saint-Germain, au faubourg Saint-Honoré, à la Chaussée-d'Antin et dans les réunions du monde officiel.

Il possède au plus haut degré l'art si difficile d'entrer dans un salon et l'art encore plus difficile d'en sortir.

Il s'avance le pied sûr, l'air souriant, salue la maîtresse et le maître de la maison, adresse un compliment aux femmes, donne une poignée de main aux hommes, fait le tour du cercle et, revenu vers la porte, gagne à pas de loup l'antichambre pour aller porter dans un autre salon ses salutations, ses compliments et ses poignées de main.

Partout où il va, il ne reste guère qu'un quart d'heure, mais il fait un si bon emploi des minutes que tout le monde l'a vu, lui a parlé, et que chacun peut se dire le lendemain en récapitulant les souvenirs de la soirée de la veille : « Il était là. » C'est tout ce que veut l'homme répandu.
C'est pour qu'on puisse dire : « Il était là, » qu'il se multiplie, qu'il se coupe en quatre et qu'il se résigne à passer la moitié de la soirée dans trois ou quatre salons, et l'autre moitié dans la voiture qui le transporte du bal de celui-ci au bal de celui-là.
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Je n'entreprendrai pas la description du splendide spectacle qui s'offrait à nos regards de tous les points de l'horizon. Le soleil, s'élevant doucement d'un océan de vapeurs, teignait d'un rose pourpre le sommet de ces milliers de pics dont la base flottait encore dans le brouillard ; au-dessus des quatorze lacs, qui paraissaient glacés, les nuages se condensaient en flocons d'écume et produisaient l'effet de lacs aériens et flottants dont les lacs terrestres n'eussent été que les reflets.

La terre, vue de cette hauteur et tout à coup inondée de lumière, n'était plus qu'une surface plane et unie, coupée de loin en loin par quelques rugosités insignifiantes formées par les villes. Quant aux maisons, elles semblaient tout au plus des joujoux de Nuremberg rangés sur un tout petit espace par la main d'un enfant.

Je n'insisterai pas sur la magnificence de ce panorama, l'un des plus étendus et le plus beau peut-être de toute la chaîne des Alpes, j'ai trop le sentiment de mon impuissance ; je ne crois pas d'ailleurs que la plume ni le pinceau puissent rendre avec exactitude la sévère majesté de ce grand tableau, dans lequel l'homme et ses œuvres disparaissent complètement pour céder toute la place à la nature.
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