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Critique de jmarcio


Livre difficile à lire. Difficile aussi à commenter. Il y a les faits mais aussi ce que l'on peut déduire entre les lignes, qui n'est pas écrit.

Sorti en 2001, il est à l'origine de beaucoup de réactions. Tout d'abord le retrait de la Légion d'Honneur, décidée par Jacques Chirac.

Ensuite, de nombreuses publications, dont un documentaire signé Marie-Monique Robin : Escadrons de la mort, l'école française". Puis un autre au Brésil : "A torture como arma de guerra : Da Argélia ao Brasil: como os militares franceses exportaram os esquadrões da morte e o terrorismo de estado" (La torture comme arme de guerre : de l'Algérie au Brésil : comment l'armée française a exporté les escadrons de la mort et le terrorisme d'État) par Leneide Duarte-Plon. Une lecture rapide de quelques points du premier m'ont montré quelques chiffres faux et une montée en épingle de quelque chose très banale. le deuxième livre, j'ai lu une interview de l'auteur qui m'ont fait voire un complotisme avec des intentions idéologiques cachées. Je les commenterai lorsque je les aurai lu en entier.

Bon, revenons au livre du Général Aussaresses.

D'abord le contexte. A l'époque, on sortait de la deuxième guerre avec ses atrocités. Puis la défaite cuisante de la France en Indochine, avec des français massacrés. Puis la guerre d'indépendance de l'Algérie. Les militaires concernés par cette histoire on fait les trois guerres. de l'autre côté, il y avait le FLN et ses militants qui se battaient pour la libération de l'Algérie avec, souvent, des attentats qui n'épargnaient pas des civils algériens. Selon Aussaresses, l'armée française en Algérie avait des ordres de "liquider" le FLN. Encore, quelle que soit le terme employé, faut-il comprendre "liquider" le "FLN" y compris les "militants" ? Aussi, c'était le début de la guerre froide : si bien qu'il y avait des communistes parmi les militants du FLN, sa vocation n'était pas d'implanter le communisme en Algérie.

L'existence de torture a été connue depuis la sortie du livre "La question" de Henri Alleg, interdit en France à sa sortie. On en reviendra. de même, on sait que nombreux sont les anciens qui ont fait cette guerre et qui ne parlent pas, probablement par ce qu'ils ont vu ou dut faire.

Aussaresses arrive en Algérie avec le poste de capitaine pour servir sous les ordres du colonel Guy de Cockborne en tant que officier de renseignement.

La citation des pages 34-36 montre le "modus operandi" de Aussaresses mais, surtout, disent beaucoup de sa personnalité. Donc un jeune capitaine dans la trentaine d'années estime utile d'expliquer à son supérieur, un colonel, comment il traite les personnes qu'il interroge - torture puis assassinat si c'est quelqu'un lié au terrorisme - et pourquoi il s'attribue le droit de décider de la vie ou de la mort de l'interrogé. Selon lui, s'il le rend à la justice il sera libéré et s'il le libère il sera assassiné par le FLN et donc il vaut mieux l'éliminer lui-même. Ce serait, selon lui, des ordres des "hautes autorités de l'État", comme si lui, un capitaine, était au courant des directives de l'État mais pas son chef. C'est Aussaresses lui même qui l'écrit. Un "calife à la place du calife". Aussaresses semble être un homme arrogant et trop sûr de lui pour décider tout seul de la vie ou de la mort des personnes à qui il a affaire.

La citation des pages 44-45 raconte le cas d'un "pied-noir" agressé, avec une hache, dans la rue par un musulman. Aussaresses décide de l'interroger. Puisqu'il ne parle pas, il passe à la torture et meurt sans dire quoi que ce soit. le seul regret de Aussaresses est de ne pas réussir à le faire parler avant de mourir. Vraisemblablement Aussaresses n'a pas su déterminer s'il s'agissait d'un acte terroriste ou juste d'un différent entre deux personnes (ils se connaissaient).

Le reste du livre raconte une série de situations qui peuvent être comprises par le modus operandi de Aussaresses, tel que compris dans ces deux citations.

En janvier 1957, suite à des nombreux attentats commis par le FLN ciblant des civil algériens, il a été décidé une intervention de l'armée pour réduire cela. Cette tâche a été confiée au Général Massu qui prend Aussaresses et Roger Trinquier dans son état major.

Cette rencontre est très intéressante et j'aurais aimé savoir plus. Aussaresses ne parle quasiment pas de Trinquier dans ce livre, sauf au sujet d'une réunion qu'ils ont eu à trois, avec le Général Massu, sur quoi faire avec Larbi Ben H'Midi, la décision de l'éliminer. Je ne suis pas sûr qu'ils s'entendaient parfaitement au sujet de "torture" et "élimination physique" des arrêtés. Ce blanc dans le livre m'encourage encore plus à le croire. Roger Trinquier a publié "La guerre moderne", en 1961, où il dit que l'interrogatoire doit éviter de porter atteinte à l'intégrité physique et morale de l'interrogé, que des camps de prisonniers doivent être construits pour les interner et les libérer dès que la guerre révolutionnaire ou insurrectionnelle aura pris fin et que les abus seront jugés par les tribunaux militaires. Or, ceci est contraire à la pratique de Aussaresses. Reste à savoir si Trinquier pensait déjà ça ou si c'étaient des réflexions après coup.

Le Général Massu a publié, en 1971, "La guerre d'Algérie" où il admet qu'il y a eu de la tortura pratiqué par des personnels sous ses ordres. En 2001 il le confirme et dit que la torture n'était pas indispensable et a été même improductive. Cela suppose une autocritique. On ne voit pas cela dans le livre de Aussaresses, il reste "droit dans es bottes", sans aucune autocritique ou même réflexion sur le passé.

Au sujet de la torture... on sait que l'activité de renseignement est indispensable dans un conflit militaire, que ce soit une guerre conventionnelle ou pas, mais aussi dans les affaires criminels. Les individus capturés ne parlent que sous une certaine "pression". A quel moment cette "pression" reste acceptable, Trinquier propose un critère. Aussaresses ne s'est pas senti concerné par des limites et a pratiqué une "pression sauvage". Je vois Aussaresses comme un baroudeur, homme d'action, pour qui tous ces affaires ne peuvent être résolus que par la force.

On peut imaginer une situation où cette limite pourrait être dépassée si cela servirait à sauver beaucoup de vies (c'est le dilemme du tramway [1]). Il n'y a pas de bonne réponse à cela. En tout état de cause, ce serait une exception et jamais une règle.

A la suite de la publication de ce livre, Jacques Chirac ordonne que la Légion d'Honneur lui soit retirée, que des sanctions disciplinaires lui soient appliquées et qu'il soit mis dans la deuxième section (punition administrative similaire à une dégradation lui interdisant, par exemple, de porter un uniforme militaire). Il a été poursuivi et condamné pour apologie de torture en temps de guerre. A la suite de ça, il a juste dit qu'il a été puni par ce qu'il a dit et pas par ce qu'il a fait. Cela fait croire qu'il n'a absolument rien compris et n'a pas évolué intellectuellement depuis.

Livre lourd à lire mais nécessaire pour comprendre cette époque, dont je connaissais peu. Une phase de notre histoire que je commence à m'informer en détail.

[1] Dilemme du tramway : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dilemme_du_tramway
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