Il valait mieux vivre avec un échec que de se demander ce qu'il serait advenu si elle avait osé.
À plusieurs reprises, leurs doigts s'effleurèrent, leurs corps se frolèrent.
Tout au long du vol, elle s'était demandé comment elle était supposée se conduire avec lui lors de leurs retrouvailles. Devrait-elle le prendre dans ses bras ? Lui faire la bise ? L'embrasser ? Comment se comporte-t-on avec un mari que l'on a pas vu pendant six mois ?
Il ne lui laissa pas le temps de décider. Il déposa timidement un baiser sur sa joue. Il avait l'air aussi emprunté qu'elle. Il avait également beaucoup pensé à la façon d'agir avec elle sur le chemin de l'aéroport. Même s'il avait attendu avec tellement d'impatience ce moment, il avait peur de la brusquer. Il avait donc décidé de ne pas lui montrer qu'il était heureux de la retrouver, sans pour autant lui donner l'impression de mettre énormément d'espoir dans ce retour.
Ils rirent à l’idée que la vie était, décidément, étrangement faite. Évoluant dans des univers si éloignés, ils n’auraient jamais dû se rencontrer. Chacun pensait son existence toute tracée et l’autre avait tout basculé.
Rassuré sur le moral d'Else, il se prépara à partir en début d'après-midi.
- Tu as besoin d'autre chose ?
- Oui, mais ça ne rentrerait pas dans ton sac.
Cette réplique l'amusa et l'émut tout à la fois. Au début de leur vie commune, il avait eu l'habitude de lui poser la même question quand il se chargeait de faire les courses. Elle lui répondait invariablement "De toi !".
Il la retrouverait, il en fut convaincu. Ce serait probablement long, néanmoins, la jeune étudiante impertinente, drôle et légère qu'il avait connue était encore là, quelque part.
Comment ce qui s'était toujours présenté comme un conte de fées s'était-il transformé en cauchemar ? Qu'avaient-ils raté ? Quelle erreur odieuse payaient-ils ? A quel moment les choses leur avaient-elles échappé ? Toutes ces questions, Else et Greg se les étaient posées des centaines de fois. Personne ne leur avait apporté de réponse. Y en avait-il d'ailleurs ? [...] Quelle injonction divine légitimait qu'on les mette à terre de cette façon ?
- Je voulais savoir si tu étais morte ou si tu n'avais aucun sens de l'orientation. Manifestement, tu es vivante, ça ne peut donc être qu'un problème de repère dans l'espace. Alors pour ton info, mon appartement correspond à cette porte, mais deux étages au-dessus, lui expliqua-t-il en désignant du doigt l'autre côté du palier.
Pendant quelque temps, Else donna l'impression que tout avait coulé sur elle, sans s'accrocher. Elle menait sa vie avec une fausse normalité. Pourtant, elle avait déjà tout prévu. Son plan était parfaitement élaboré, ne comportant aucune faille. Elle avait pensé à tous les détails. A tous, sauf à un paquet de copies oublié sur un bureau en chêne.
- Est-ce que l'on arrête de souffrir un jour, Greg ?
- Je ne sais pas. J'aimerais te dire que oui, mais... je ne sais pas.
- Tu es si sûr de toi que c'est très déroutant parfois.
- J'ai des doutes aussi, comme n'importe qui, mais pas quand il s'agit de nous.