Citations sur Friterie - Bar Brunetti (11)
..qui se soucient comme d’une guigne ni n’ont la moindre crainte des petits marquis dont la folle prétention à vouloir régenter à eux seuls l’univers leur fait oublier jusqu’aux pourquoi de l’existence. Tous ces gens-là ont des montres aux cadrans desquelles ils gardent l’oeil rivé, pressés qu’ils sont de gober l’oeuf au cul de la poule, dont chaque tour d’aiguille rythme leur vie et, d’un fuseau horaire l’autre, la marche de leurs affaires et les affaires du monde.
Quant aux maîtres et aux bourgeois, pour n’être pas né de la dernière couvée je vois bien aussi comment ces protozoaires et leurs sous-fifres comptent s’y prendre, et pas à plusieurs fois, pour nous faire passer le goût du pain, astreindre le populo à leur discipline de caserne et subordonner toutes nos envies de seulement respirer à leur brutal appétit de marchandises, à leur soif jamais apaisée du pouvoir, à leur tyrannique besoin de paraître et se penser sel de la terre quand ils ne sont qu’espèces en phase terminale.
C’est dans les cafés que j’ai appris à lire, que j’ai forgé mes armes, et mes humanités je les ai faites sur la banquette du fond de la Friterie-bar Brunetti, pas très loin du poêle à charbon et sous l’œil attentif de Renée empressée jusqu’à la dévotion à soutenir mon effort d’un sourire et m’encourager sans façon à coups de blancs secs.
Ainsi, rien dans les mains rien dans les poches, avec simplement ces quelques cailloux du bord du chemin au creux des poings tenus serrés à n’en certes pas faire une montagne, quand même je me suis acquis de cette façon la faculté de tenir tête aux traquenards du quotidien, résister aussi à l’oppression de cette société de termites et aux tristes obsessions de ses mercantis, pareillement renvoyer dans les cordes la clique des beaufs et charognards de toutes engeances qui, sous le drolatique prétexte que j’aurais des comptes à leur rendre ou selon leur bile mal à propos échauffée, en viennent à l’excès à me chercher chicane prenant malin plaisir à s’inventer quelque vieille querelle de clan, de mafia ou de famille toujours propice à ferrailler.
Prenez la vie comme un Martini !
C’est misère de tous temps, je vous le dis, et dégénérescence de l’embryon de voir ainsi la bourgeoisie corrompre des fils du peuple pour les métamorphoser en domestiques soumis à son service et bornés à la sauvegarde de ses intérêts obscènes, attachés à la défense de ses desseins les plus sordides.
Il n’est, voyez-vous, d’aventures et de vagabondages vraiment souverains que par les cafés et par le vin et jamais ne pourra rivaliser avec de tels enchantements aucune des absurdes chevauchées ou cavalcades-polaroid des petits Marius avaleurs de fuseaux horaires et amateurs de grands déménagements.
Quand la nostalgie la saisit ou le souvenir d’on ne sait quoi, elle peut sans peine pousser ses pas vers des ailleurs pour nous invraisemblables.
Il ne faudrait tout de même pas confondre autour et alentour, n’est-ce pas, nous ne sommes pas là pour mélanger les torchons et les serviettes, que diable !
On admire trop son grand savoir-faire, son dévouement sans bornes pour les âmes en peine, on sait comment détresse et mélancolie auraient tôt fait d’emporter les tassés par l’âge, les tabassés par l’existence, qu’il n’y aurait alors plus une seule loupiote d’espoir nulle part pour les éclopés de Cupidon, sans elle.