Nous avons aujourd'hui avec la gangrène de la finance~ un capitalisme de
prédation, voué à la crise permanente du fait de sa perpétuelle fuite en avant, portée par des instruments de plus en plus déconnectés du réel et incontrôlables.
(p.92)
Aujourd’hui, le type de comptabilité que nous utilisons n'incorpore pas le travail comme un actif mais comme un coût.
Travailler pour une entreprise, ce n'est pas lui apporter une compétence, mais lui coûter. Cette perspective est tout de même étrangère et passablement choquante ... Le travail peut très bien être considéré comme une valeur !
(p.123)
C'est la pente actuelle, en effet, et par une captation verbale assez saisissante, ce que l'on nomme désormais « réformes de structure » consiste précisément à défaire ce que les « réformes de structure » du début du xx• siècle et de l'après-Seconde Guerre mondiale avaient introduit. Jadis on régulait le droit du travail, on protégeait la condition salariale, on nationalisait et on instaurait les mécanismes de l'État providence.
Aujourd'hui, on assouplit le droit, on précarise les salariés, on privatise et on désétatise. Le réformisme officiel est devenu de façade, il est à présent le bras armé, et présentable, du néolibéralisme. Nous avons le choix entre la cupidité sans états d'âme et la cupidité avec scrupules et ajustements à la marge.
(p.131)
Les sociétés démocratiques paraissent déchirées par des divisions irréductibles. On est très loin du tableau idéal des philosophes phares de la modernité. Rousseau, l'inventeur même de la notion d'autonomie, imaginait que le contrat social allait déboucher sur l'harmonie collective, que les rapports entre les individus contractants seraient réglés sur le mode de la réciprocité politique.
Dans les faits, rien de tel : la représentation creuse une : distance avec le peuple, le spectre hiérarchique, hétéronome, revient; dans la mesure où le petit nombre continue à parler i pour le plus grand nombre; le citoyen « de base » ne se reconnaît pas vraiment comme l'auteur de la loi, contrairement à ce que laissait entendre le concept de souveraineté générale.
Les penseurs libéraux, eux, annonçaient que l'économie de 1 marché allait fédérer les intérêts et propulser l'ensemble de la société vers la prospérité. Dans les faits, le développement du capitalisme entraîne des antagonismes de classe, des inégalités criantes. Bref, l'expérience de la modernité est douloureuse.
Cela semble condamner la démocratie à l'impossible.
(p.40)