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Récemment lu, " le vieux jardin" débutait avec la libération d'un détenu politique en Corée du Sud aprés dix-huit ans de détention, le présent livre de même débute, avec celle d'un détenu politique kurde iraquien après vingt-un ans de détention dans le désert. Meme si le ton et le contexte sont totalement différents, le vécu est le même ("Le moment où la liberté à l'extérieur n'a plus de sens pour lui est le moment même où la prison lui donne une sensation de liberté."), et tous les deux cherchent un être cher qu'ils ont laissé derrière, à travers lequel ils espèrent retrouver leur chemin dans une vie interrompue par une longue captivité.

Mouzaffar Soubhdam, l'homme libéré n'existe plus, sauf pour Yaqub, son supérieur dans l'armée kurde iraquienne, la personne pour qui il s'est sacrifié et a subi cette longue détention. Il est officiellement mort et ne figure sur aucun registre, dans un pays dévasté, où en l'occurrence l'on ne sait plus qui est qui. Libéré et ramené dans un palais de Yaqub, devenu l'homme puissant, il ne sait quoi en faire de cette liberté. En vingt et un ans de captivité dans le désert, s'étant acharné à tout effacer de la vie et des images de son court passé, il est resté à l'état d'un bijou pur. Alors que Yaqub, un être que la guerre et la politique ont totalement souillé, a la sensation d'avoir connu toutes les enveloppes de la vie sans en avoir compris ni la substance ni le sens. À travers Mouzaffar il voudrait posséder la beauté, la pureté et la sagesse, en bref, l'Essentiel. Il lui propose donc de rester dans ce palais, en sécurité, pour assouvir sa propre quête existentielle. Mais Mouzaffar brûle d'un seul désir, celui de retrouver son fils né peu avant son emprisonnement. La question fatale , "où est Saryas Soubhdam ?" va lui faire ouvrir la porte au déluge....
Parlant de déluge, cette histoire pleine de magie en porte plusieurs autres, dont celle des étranges soeurs Lawlaw et Chadarya Spi, "deux filles plus immaculées que la rosée", dont tombe amoureux Mohammad Delchoucha…par un soir de déluge, surfant sur les eaux. Et d'où sort-il celui là ? .....surtout qu'une autre figure, puis une seconde, puis...... de la première histoire va bientôt la croiser ....le tout raconté par Mouzaffar.
Waouh , ça a l'air compliqué et c'est compliqué !

Le mot clé de ce récit est "verre", des grenades de verre, un coeur de verre, une maison en verre.....fragilité, celle de l'homme, et transparence, envie mortifère de clarté et de lumière, envie de fuir les ténèbres et l'aveuglement, dans un pays qui a perdu tout ses repères, où la mort ou la naissance arrive sans aucune logique, où tout est obscure et opaque, où l'homme est esclave de ses paires et où les femmes n'ont pas le statut de simple être humain; elles sont mères ou soeurs, anges ou putains, mais rien entre les deux.

À travers ces récits métaphoriques entrelacés qui vont finir par n'en faire qu'un, l'auteur raconte L'Histoire compliquée et triste du Kurdistan iraquien, qui a connu plusieurs insurrections et une guerre civile, sans parler de l'occupation américaine où ironie du sort, ils les ont aidés. Ce livre étant écrit en 2002, et l'occupation américaine ayant eu lieu en 2003, l'auteur se réfère à une période antérieure, notamment à l'époque de Saddam et de ses armes chimiques. Aujourd'hui c'est une région autonome qui se trouve dans un pays dans un chaos totale, où se disputent d'obscures groupuscules soit disant religieux, soutenus par divers états étrangers, la Russie, les Etats-Unis, l'Iran, l'Arabie Saoudite.....bref divisé aussi entre eux, un pays devenu la putain du Moyen Orient. "La guerre a fait de nous des bêtes sauvages et des démons malfaisants…".

Mais ce livre, c'est aussi,
L'histoire de Saryas, "un homme sans Dieu qui brûle sur cette terre et se relève, qui est chassé et qui revient",
L'histoire des “ garçons de verre, dans un pays de verre, qui vécurent à une époque de verre”,
Et surtout une ode à la Vie et le manifeste d'une magnifique prise de conscience de l'absurdité du monde où nous vivons, et l'absurdité même du caractère de l'être humain toujours à la recherche de quelque chose et incapable de profiter de ce qui lui est à porté de main, la lumière, une lumière qu'il persiste à éteindre lui-même.

Une merveille,
Pour qui aime les histoires profondes qui se lisent à plusieurs niveaux, simplement sur la Vie et son essence et ses terribles et tristes réalités,
Racontée avec une prose sublime où se mêlent réel et imaginaire,foisonnant de nombreuses réflexions existentielles.

Coup de coeur ! C'est beau, émouvant, bouleversant !


“...c'était le dernier grenadier du monde, sur ce sommet où la terre prenait fin et où commençaient les vastes contrées magiques de Dieu....l'arbre de l'amitié, de la solitude et de notre bienveillance mutuelle.....qui avait poussé à la lisière de deux royaumes...la frontière entre le ciel et la terre… la frontière entre l'homme et Dieu… la frontière entre la vie et le rêve."








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Bakhtiar Ali est né à Sulaimaniya, dans le Kurdistan irakien. Tout comme un jeune homme mort de froid et de faim à la frontière biélorusse le 8 novembre 2021. (…) Bakhtiar Ali vient du Kurdistan irakien, comme la jeune femme morte noyée dans la Manche le 24 novembre 2021 à l'âge de 24 ans, comme la plupart des familles privées de leurs biens, y compris de leurs chaussures chaudes et leurs couvertures, par les autorités biélorusses qui les obligent à se jeter, hommes, femmes, enfants, contre les barbelés (…), que la police polonaise dézingue à coups de gaz lacrymogènes et de canons à eau – qui conduiront les gens mouillés à geler sur pied – , comme tant d'autres morts sur le chemin, de faim, d'épuisement, de froid, engloutis par les flots ou empoisonnés. (…) Aujourd'hui, une partie du Kurdistan est sous le feu des armes chimiques utilisées par l'armée turque. L'État turc a lancé l'invasion du Rojava, dont il hait le projet démocratique, écologique et féministe, en Syrie, du Sinjar en Irak, et de toutes les zones administrées directement par des Kurdes ou leurs alliés. (…)
Bakhtiar Ali, lui, nous parle d'un désert dans lequel un homme est resté prisonnier si longtemps qu'il « entendait le sable ». Il nous parle également d'un enfant qui « grandit à une époque où tout est secret », où « l'état coupe la tête des opposants en secret, et les opposants vont et viennent en secret. » Il écrit que « Durant ces années, la vie devient constructions de murs et de ténèbres. Tous s'emploient à édifier des murs, entre les maisons, entre les rues, entre les hommes, entre les hommes et le ciel, entre les hommes et les fleurs, entre les hommes et la lune, entre les hommes et la nuit, entre les hommes et les moineaux du matin… Tout devient barrière. D'une façon folle, les hommes ressentent l'envie de dresser des murs. » (…) le dernier grenadier du monde est un livre délicat. La prose est magnifique et la traduction exemplaire. Il nous parle du dedans, de l'intérieur, du fond des fonds de la souffrance, du silence de l'aveuglement, des guerriers devenus maîtres, il nous parle de soufisme aussi, de mystique, de révolte, d'ascèse, de chants, de jeunesse éperdue, de rêves et d'attente, de route. (…) Combien y a-t-il de combattants pour la liberté, aux yeux brûlés « d'avoir regardé des horizons lointains, des horizons jaunes et arides » qui pleurent leurs enfants disparus aux frontières de l'Europe la bouche dans la terre ou remplie d'eau salée, aujourd'hui?
Kits Hilaire pour Double Marge (extrait)
Lien : https://doublemarge.com/5030..
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Au coeur d'un Kurdhistan sauvage et défiguré par la guerre, Mouzzafar sort de vingt-et-une années de réclusion, vingt-et-une années de solitude dans le désert. L'ami qui le recueille tente de le dissuader de ses projets : partir à la recherche de son fils qu'il n'a connu que quelques jours. Cette quête le mène bien plus loin que de simples retrouvailles familiales, cheminant dans un pays qu'il ne reconnaît plus.

C'est sur le ton de la parabole que Bakhtiar Ali nous convie à ce voyage initiatique guidé par trois grenades de verre, fragiles et sacrées. Les récits se mêlent, les mirages altèrent la réalité, les personnages prennent des allures d'allégories, et pourtant c'est le quotidien d'un pays en guerre, absurde et aveugle, qui se dessine sous nos yeux de lecteurs.

La poursuite obstinée du sens conduira le voyageur vers l'Europe,



La lecture est exigeante et nécessite une attention soutenue, mais la mélodie des phrases crée une ambiance onirique, soutenue par le chant envoutant des soeurs vêtues de blanc et liées par un pacte éternel.

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Mouzaffar est un ancien officier des peshmergas (la branche armée du mouvement national kurde en Irak). Emprisonné pendant 21 ans dans le désert, il n'a jamais connu son fils Saryas, né quelques jours avant son arrestation. A sa libération, il n'a de cesse de le retrouver. Mais le pays qu'il connaissait n'existe plus, dévasté par la guerre interminable que se livrent les combattants kurdes et l'armée irakienne. Lors de sa quête, il fait la connaissance de quelques personnages étranges, voire fabuleux, tous plus ou moins prisonniers, qui d'une forteresse ennemie, qui de son corps, d'un désir d'amour, ou d'un pacte d'amitié intangible. Chacun d'eux a quelque chose à révéler à propos de Saryas, l'insaisissable. Mouzzafar découvre aussi l'existence de trois grenades de verre qui, comme les cailloux du Petit Poucet, lui montreront un chemin, ainsi que celle du dernier grenadier du monde, un arbre au sommet d'une montagne, sous lequel sont enfouis des rêves impossibles. Peu à peu, il reconstituera par bribes l'histoire de son fils, cet être multiple, et de ce qui lui est arrivé, ou pas, ou pas encore, et il connaîtra dans sa quête des moments cruels, beaux, et encore plus cruels.

"Le dernier grenadier du monde" est un roman envoûtant qui vous emmène dans sa trame sinueuse au fil d'une imagination digne des Mille et Une Nuits. C'est un conte oriental poétique et puissant, marqué par les souffrances de la guerre et par la folie des hommes qui sépare les pères de leurs enfants. Il faut lâcher prise et se laisser porter par la plume de l'auteur et plonger dans un imaginaire riche, teinté de réalisme magique. Une plongée longue, parfois ardue, mais fascinante et bouleversante, qui explore les récifs où affleurent la vie, la mort, la séparation, la beauté, la trahison, la violence, le pouvoir, le désespoir et la liberté.

En partenariat avec les Editions Métailié.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Avant de donner un ressenti sur ce « Dernier grenadier du monde », je voudrais adresser un grand merci à Booky qui par son billet ne m'a pas laissé d'autre choix que d'avoir ce bouquin entre les mains. Merci Idil.

Quel beau livre. Si riche en impressions, en ressentis.
Quel étrange livre dont je vais avoir du mal à parler tant il remue des choses que l'on sait justes mais que la plupart d'entre nous enfouissent au plus profond de l'oubli.
Un pas vers la résilience en ce qui me concerne? Allez savoir…

L'histoire, le Kurdistan Irakien, un homme libéré après 21 ans d'emprisonnement à l'isolement dans une prison au coeur du désert. Un homme, un peshmerga qui s'est perdu au fil des différentes révolutions. Un homme qui part à la recherche de son fils né la veille de son arrestation.
« le dernier grenadier du monde » m'a dès le début fait penser à « Imaginer la pluie » de Santiago Pajares. le ton, le lieu. Si par la suite les histoires vivent leur vie chacune de leur coté, elles ne sont jamais bien loin l'une de l'autre à travers les messages transpirant des métaphores qui peuplent les pages de Bakhtiar Ali. Les allégories suintent de poésie malgré la toile de fond plus que sombre qu'est la guerre.
Quel sens donner à la vie, vivre caché pour être « heureux » ou se mettre à nu pour Exister, oser être envers et contre tout ou se fondre dans la masse, être transparent, fragile, en verre ou bien opaque, figé derrière le masque, vivre ou attendre la mort. Enfin tout un tas de questions à deux balles qui me plaisent bien même si je serai plutôt ascendant feignasse sur certains points du sujet.
Non, pas facile de parler de ce bouquin. Peut être que le ressenti touche un peu trop à l'intime et que certains masques ont du mal à tomber même s'ils se fissurent parfois.
Je ne sais pas pourquoi je suis si sensible aux écritures venant d'Afrique, du proche ou du moyen Orient alors que je suis hermétique à ce qui vient d'Asie ou des Etats Unis.
Avec « le dernier grenadier du monde » nous sommes en présence d'un conte, d'une fable, d'une parabole, d'un genre qui en règle générale m'ennuie profondément. Là, la magie opère sans le moindre effort. Ca ne s'explique pas, c'est.
L'écriture de Bakhtiar Ali est belle, enfin elle me convient. Pour qui est un peu comme moi, c'est-à-dire très basique, la lecture peut parfois se révéler ardue. On oscille entre imaginaire et réalité, on se perd entre l'histoire de l'homme et celle de l'Homme et puis peu à peu (très vite en fait) on devient accro. C'est un peu l'histoire de chacun de nous qui se joue sous nos yeux, une histoire d'amour sensée relier l'humanité.
J'espère que de futurs lecteurs iront chercher un peu de fraicheur à l'ombre du dernier grenadier du monde. Si l'ascension se mérite car le livre n'est pas forcément facile, la récompense est belle.
J'encourage à aller lire les billets de Booky ou de viou 1108 par exemple qui expriment beaucoup plus clairement que moi ce que j'ai ressenti dans ce livre.

https://www.babelio.com/livres/Bakhtiar-Le-dernier-grenadier-du-monde/1147670/critiques/2008153

https://www.babelio.com/livres/Bakhtiar-Le-dernier-grenadier-du-monde/1147670/critiques/1998742
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Lire le dernier grenadier du monde de Bakhtiar Ali demande de lâcher prise et d'entrer dans le monde d'un conte oriental, guidé par la grâce et l'élégance de la plume de son auteur. Un baume, je dirais presque un philtre magique qui permet de traverser les épreuves douloureuses et tragiques dont il est question dans ce long récit labyrinthique conviant de nombreuses mythologies et dans lequel l'auteur, empruntant à la tradition du conte oral, nous tend parfois la main pour mieux nous perdre à la page suivante.
Heureusement, des fils conducteurs nous permettent de traverser ce long récit sans être perdus par les changements de temporalité, de lieux et de personnages. le premier est celui représenté par les soeurs Spi, deux créatures à l'étrange gémellité. A la fois sirène par leur voix et gorgone par leur regard, elles sont un lien essentiel avec les autres personnages. Elles évoluent dans le roman, telles de grandes prêtresse, dans des scènes de déploration, fascinantes par leur densité poétique.
Deuxième fil conducteur du roman : trois grenades de verre, celles que détiennent les trois Saryas Boubhdam, et qui vont, durant tout le roman être à la fois des talismans et des objets d'une quête identitaire douloureuse pour ces trois héros, nés sans père connu dans une guerre qui les dépasse. le thème de l'identité et de sa quête est central dans le roman, car il concerne tous les personnages, à commencer par le narrateur , Mouzaffar Boubdham, détenu en prison pendant vingt et un ans après avoir été fait prisonnier à l'issue d'une révolution dont on ne connaîtra jamais explicitement ni la date ni le lieu. La quête initiatique dans laquelle il va se lancer est fascinante par tous les questionnements qu'elle suscite, car comme dans tous les contes l'imaginaire et le merveilleux n'occultent en rien une réalité parfois cruelle. Celles des atrocités commises durant une guerre civile (celle de 1994/97 dans l'Irak de Saddam Hussein ?), non seulement entre soldats mais aussi sur des enfants innocents. J'en réfère à une scène absolument cauchemardesque, celle où l'auteur décrit avec un réalisme cru presque insoutenable les blessures irréparables causées aux enfants par les bombes. L'Histoire est donc très présente et à travers le filtre de la fiction, la violence déchaînée et aveugle n'en est que plus impressionnantes car elle revêt un caractère universel.
C'est d'autant plus horrible, qu'à travers le personnage de Yakub Snawbat, un ancien chef révolutionnaire devenu président, l'auteur met à mal l'auréole qui entoure et idéalise le combat révolutionnaire car ce vieil homme désespéré, qui ne paraît attendre que la mort a ces paroles complètement désabusées et glaçantes lorsqu'il évoque son combat en présence de son ami Mouzaffar Boubhdam : "parfois être victorieux, c'est la même chose qu'être mort". Heureusement que face à Yakub et son désespoir sans fond, s'oppose Mouzaffar, son double inversé, qui va, après bien des épreuves, accéder à une forme d'humanisme transcendant la simple quête paternelle dans laquelle il s'était lancé depuis sa sortie de prison. Il va continuer son parcours de vie, y compris celui de l'exil sur un bateau de réfugiés, en renonçant farouchement à se laisser aller au désespoir et en acceptant d'emprunter "un chemin plus long et plus imprévisible" pour continuer à perpétrer la chaîne des vivants...
Ce long récit souvent très noir est aussi porté par la grâce des moments d'onirisme et de douceur, à commencer par toutes les scènes qui se passent sous le fameux "dernier grenadier du monde". Elles relèvent d'une poésie cosmique et extatique à couper le souffle. Espace fortement symbolique, c'est un lieu de paix, de rêves prémonitoires, d'inspiration et de communication avec le transcendant ou le divin.
Je pourrais poursuivre ma critique beaucoup plus avant tant je me suis laissé porter par ce roman mais je préfère vous inviter à vous asseoir sous ce "dernier grenadier du monde" pour rêver, réfléchir ou méditer en compagnie des héros de cette longue histoire...
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Ce que j'ai ressenti:

▪️L'émotion à l'état brut.

J'ai beaucoup hésité à faire cette chronique, parce que ce livre a été réveiller des émotions profondes à l'intérieur de moi et de mon imaginaire. C'est tellement puissant que ça me laisse un peu confuse pour raconter cette sensation. Ce livre t'envoie en méditation intense, dans un espace de solitude où pousse le dernier grenadier du monde, et où la poésie éblouit tout le paysage. C'est de l'émotion à l'état brut. Un voyage à l'intérieur de soi, dans une intimité épurée, un temps d'arrêt pour repenser à notre place, maintenant, dans cet instant si court entre la vie et la mort. Un vide nécessaire, apaisant et riche. Un néant à atteindre. C'est vertigineux comme sensation, parce que tu te délestes de tout, comme Mouzaffar. Tu deviens Tout et Rien. L'infini et le néant. Et juste là, tu vois à travers les yeux de ce personnage, le dernier grenadier du monde, qui lui même, voit venir auprès de son ombre, les tourments des gamins de « rien », des enfants avec tout l'avenir devant eux, et une grenade de verre dans leurs mains…C'est sublime.

« Heure après heure, son coeur se fracture davantage. Entre les éclats de verre de son coeur, les failles se creusent. Au lever du soleil, il s'endort au milieu du sang, de la pluie et des larmes et, dans son sommeil, il rêve d'un arbre qui a pour nom « le dernier grenadier du monde ». «

▪️A travers le verre…

Ce roman extraordinaire, c'est l'histoire d'un homme qui cherche son fils après 21 ans de captivité, qui se cherche aussi, parce qu'il a tout laissé au désert et dans les murs de sa prison. C'est la seule chose qui lui reste de cet enfermement, l'espoir de trouver son fils. Toute l'ingéniosité de ce roman noir, c'est de ressentir un climat étouffant de guerre civile, de massacres et de violences extrêmes mais de ne jamais en voir la couleur, parce que Bakhtiar Ali, en mettant une telle force dans ces mots, une telle fantaisie dans ces métaphores, une telle magie dans son histoire, arrive avec délicatesse à t'épargner des scènes ignobles, pour ne garder que l'essentiel: la beauté. C'est renversant. Tu n'as que la grâce d'une plume brillante et l'élégance d'une poésie envoûtante pendant 300 pages. Ce livre, c'est la beauté.

« Il existe deux sortes de secrets, ceux qui assombrissent le monde et nous aveuglent et ceux qui nous emmènent plus loin et plus profond. »

▪️Plus qu'un coup de coeur…

Parce que cette lecture apporte une poésie venue d'ailleurs, une puissance de sérénité et la magie d'une belle histoire, ce livre va me marquer longtemps et je sais qu'il sera lu et relu…Parce que on ne peut se passer de beauté. Il y a parfois des coups de foudres, comme ça qui viennent te surprendre…Ça fait des étincelles en toi, des feux d'artifices même, et c'est juste incroyable. Que de richesse comma ça, à aller découvrir les lectures du monde. Mon premier essai avec la littérature kurde est un coup de coeur fulgurant! J'aimerai maintenant m'abriter auprès du dernier grenadier du monde, enfiler une robe blanche et chanter comme les soeurs Spi envers et contre tout, méditer et me réinventer en grain de sable, tenter de connaître les secrets de l'univers, perdre mon nom et le retrouver dans des légendes, jouer avec les clefs de Mohammad Delchoucha, ressentir l'énergie de la nature. C'est cela, oui, aller m'asseoir près de cet arbre extraordinaire, et essayer de saisir toute la beauté que Bakhtiar Ali nous fait passer dans ce roman très dense.

« Oui, c'était le dernier grenadier du monde, sur ce sommet où la terre prenait fin et où commencer les vastes contrées magiques de Dieu. C'était un endroit qui faisait naître en toi une sensation infiniment étrange de finitude et d'infinitude à la fois. Ce grenadier avait poussé à la lisière de deux royaumes, le royaume de la vérité et le royaume de l'imagination, la terre de la réalité et le ciel des contes. »



Ma note Plaisir de Lecture 10/10
Lien : https://fairystelphique.word..
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Élégance ! Mot qui me vient en pensant à la prose de cet écrivain découvert, une fois de plus, grâce à Bookycooky. Pas évident d'en parler, au risque d'en dévoiler les surprises. L'histoire d'un homme qui, après vingt-et-un ans de prison dans le désert et qui administrativement n'existe plus, part à la recherche de son fils. Quelques petits cailloux semés pour le retrouver : grenadier, trois grenades de verre, sable, pactes, secrets, deux soeurs énigmatiques, la guerre et ses conséquences, prisonniers politiques, estropiés des bombes. Un effort est à faire au début. C'est comme une ascension difficile. Mais, atteindre le sommet est vertigineux et merveilleux ! Comment une telle écriture puisse exister ? Exemple : soyez attentifs, notre histoire change de direction. A une autre page, il s'excuse presque d'enlever un personnage, fort intéressant, mais qui n'a plus rien à faire ici. La sensation d'être en apesanteur dans la dernière partie, d'en sortir plus intelligent, que l'auteur nous a ouvert son monde, haut en spiritualité. Chère Bookycooky, je me permets de prendre ton coup de coeur partagé, comme ton cadeau de Noël. Et quel cadeau !
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« Je sus dès l'aube qu'il avait fait de moi son prisonnier. Dans un palais au milieu d'une forêt cachée » Dès la première phrase, le ton de ce livre étrange est donné. L'histoire oscille entre réalité et conte, mêlant l'histoire politique du pays de l'auteur, le Kurdistan Irakien, et le récit métaphorique d'une quête, celle du fils.
Mouzaffar Soubhdam est le narrateur de cette étrange histoire. Après 21 ans d'emprisonnement au milieu du désert, le voilà à nouveau l'otage d'un homme étrange qui a été son officier dans l'armée. Pourtant, il n'aura de cesse de retrouver son fils, Saryas Soubhdam, né juste avant son emprisonnement et qu'il n'a pas connu. Cette quête va nous mener à de nombreuses rencontres dans tout le pays et nous fera découvrir cet étrange arbre au sommet d'une montagne, le dernier grenadier du monde Alors que certains personnages sont bien réels, d'autres semblent tout droit sortis de contes orientaux comme les mystérieuses soeurs Spi, toujours vêtues de blanc, et qui ont fait le voeu de ne jamais se marier et de chanter ensemble jusqu'à leur mort. le chemin de chacun des personnages finit tôt ou tard, par croiser celui des soeurs à la voix enchanteresse. Elles sont là pour consoler, et pleurer les morts.
D'autres personnages curieux traversent ce récit onirique comme Mohammad Delchoucha, le jeune homme au coeur de verre, amoureux des soeurs Spi et qui voulut vivre dans une maison de verre. II incarne la fragilité dans un monde violent.
Plus réels sont les petits marchands de rue avec leurs charrettes, et que fédère Saryas Soubhdam.
Dans le registre du merveilleux, trois grenades de verre émaillent le récit. le verre, symbole de fragilité, de pureté dans un pays corrompu, est omniprésent dans le récit qui parle de “ garçons de verre, dans un pays de verre, qui vécurent à une époque de verre”.
On retrouve à plusieurs reprises le dernier grenadier du monde qui a donné son titre au roman. On lui prête des pouvoirs magiques, il guérirait même de la cécité croit l'un des personnages, aveugle de naissance. « C'est un arbre divin…divin » « le soir où je vis le dernier grenadier du monde, il me fut ensuite impossible de parler pendant un long moment »
Le grenadier ainsi que son fruit sont omniprésents dans l'histoire, peut-être faut-il y voir la symbolique de ce fruit qui symbolise la fécondité, la richesse et même l'immortalité.

Il est parfois difficile de suivre ce récit, très long, sinueux et aux personnages nombreux, lorsque, comme moi, on connait peu l'histoire sanglante et répressive du Kurdistan Irakien qui a connu plusieurs guerres civiles.
L'écriture est belle, empreinte d'une poésie parfois ésotérique. Je pense qu'il y a plusieurs niveaux de lecture, on peut chercher à comprendre ce qui se cache derrière chaque métaphore ou bien, ce que j'ai fait, se laisser porter par le flot envoûtant de ce conte cruel. Parfois, j'ai eu du mal à rester dans l'histoire, et certaines longueurs et redondances m'ont gênées.
Malgré une lecture qui peut se révéler ardue, ce roman est un conte allégorique d'une grande puissance.


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Écoutons le conteur oriental sur le bateau qui l'emmène de l'autre côté de la mer. Avec lui, feuilletons le livre orné de miniatures précieuses qui représentent des personnages fantomatiques et contradictoires : deux soeurs Spi, à la fois glaciales, le coeur fermé, et pourtant tout amour pour leur prochain. Belles, toujours vêtues de longues robes blanches, elles chantent ensemble et se tressent mutuellement les cheveux. mi-anges mi démons, effrayantes et attirantes.

Et puis arrive un jeune garçon au coeur de verre, au corps de verre, qui exige une petite maison tout en verre où on le verrait vivre. Son coeur trop fragile est prêt à se briser d'amour pour la belle orientale Lawlaw. Il s'appelle Muhammad Delchoucha. Il a sur lui une grenade de verre, qui contient le secret, empruntée à son ami Saryas Soubhdam.

Les pactes concrétisent les relations entre les êtres, pactes déposés sous le dernier grenadier du monde, tout en haut de la montagne. D'abord entre les soeurs qui jurent de ne jamais se marier, puis avec le jeune Saryas, Saryas le Maréchal, organisateur du bazar, Saryas le secret, le pur, qui jure de ne jamais les considérer autrement que comme des soeurs.

Enfin, il y a Muzzafar Soubhdam, personnage énigmatique retenu prisonnier dans le désert depuis vingt et un ans.Au fil des années, il a fini par se sentir libre dans sa tête au milieu de tout ce sable. Tout le monde le croit mort, lui, l'officier des peshmergas, qui a voulu sauver son chef, le révolutionnaire kurde. Finalement ce dernier le ramène vers la ville, dans un « palais vert » d'où il veut partir également.
Muzzafar aussi semble fantomatique, mort-vivant, libéré finalement parce qu'il veut savoir ce qui est arrivé à son fils Saryas né quelques jours à peine avant son arrestation. Et quand les Saryas se multiplient, le lecteur est pris d'un vertige....

Au bazar de la capitale, la « guerre des charrettes » fait rage : le jeune Saryas Soubhdam est une sorte d'organisateur du commerce ambulant illicite exercé par les jeunes du bazar. Jusqu'au jour où il est entaillé au visage par un coup de truelle. Et la police, brutale et injuste, s'en prend à lui.

Soudain apparaît un autre Saryas Soubhdam, violent mais qui pleure aussi, révolutionnaire toujours armé d'un fusil de guerre. Celui-là est emprisonné et échange avec son « père » (peut-être), Muzzafar Soubhdam, via des cassettes enregistrées en secret.

Et enfin apparaîtra le dernier Saryas, brûlé par une bombe à l'acide nitrique pendant le soulèvement, ombre des ombres, ultime enfant du conteur. Lui aussi porteur d'une grenade de verre.

Pactes et secrets sont deux thèmes récurrents, tout comme le verre et toute sa symbolique, comme l'eau, omniprésente également. de la violence matérielle de la guerre nous passons à un monde onirique, presque indéchiffrable.


On aime ce conte à la portée philosophique, cette réflexion sur la vérité, la liberté, l'aboutissement d'une vie, la quête de Lumière et de pureté. On aime aussi ce regard posé sur la société kurde au travers des petits moments de la vie quotidienne dans le bazar, au travers de l'évocation des relations avec les femmes, du monde des rebelles armés. On aime sentir toute la sensibilité de l'auteur, entre douleur de voir son pays ravagé et espérance en l'Homme, multiple et unique à la fois.

Comme souvent quand je lis un texte venu d'Orient ou d'Asie, je crains le contresens, la métaphore trop facilement interprétée à partir de la culture occidentale. L'approche erronée d'un symbolisme nouveau. Inquiétude de manquer quelque chose d'important, de sur-interpréter, de plaquer des éléments culturels inappropriés sur le sens onirique du texte.

Ce texte ne se donne pas. Il demande du temps, des retours, des moments de réflexion ou de rêve et des pauses pour aller vérifier certains aspects. Quel regret de ne pas pouvoir le lire en sorani, la langue des Kurdes ! Quel désir de l'entendre lu par un Kurde dans sa langue natale !

A lire la beauté de certains passages, pourquoi ai-je la sensation de deviner, derrière les lettres romanes, la calligraphie élégante d'un Hassan Massoudy ? Subitement, je regarde ces calligraphies ottomanes et ces firmans anciens présents chez moi et dont parfois j'oublie d'apprécier la beauté...





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