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Critique de Polomarco


Le pouvoir ne se partage pas : un titre, au goût de conclusion, qui résume donc à lui seul le contenu de cet ouvrage. le sous-titre, lui, ("Conversations avec François Mitterrand") est réducteur ; sans doute eût-il mieux valu qu'il soit plus explicite : en effet, plus que ses conversations avec François Mitterrand, Edouard Balladur nous livre ici son journal de la cohabitation 1993-1995. Un récit chronologique et factuel, agrémenté de portraits, notamment de Mitterrand, Chirac et Bayrou (page 407), et de réflexions sur le pouvoir et sur la politique : "la politique est un domaine où la méchanceté gratuite se donne libre cours aux dépens de la froideur du raisonnement ou de la simple équité" (page 10); les rivalités visant le pouvoir "abîment les relations personnelles" (page 43). Un témoignage de premier ordre sur la cohabitation, cette "situation exceptionnelle et incommode de partage du pouvoir" (page 10), par l'un des deux protagonistes qui l'ont vécue.
Si les journalistes ont qualifiée de "cohabitation de velours" cette période, Édouard Balladur revient néanmoins sur les hauts et les bas de la relation avec le Président de la République qui ont jalonné ces deux années. Un Mitterrand soufflant le chaud et le froid, tantôt charmeur et séducteur, voulant instaurer une relation de connivence, se disant prêt à lui faciliter la tâche, tantôt hautain et méprisant (à François Léotard : "Parlez-en au Premier ministre, qui m'en parlera" - page 70), tantôt s'opposant à sa volonté de reprendre les essais nucléaires, le Chef d'Etat-Major des Armées indiquant à Édouard Balladur qu'il n'obéirait qu'au président. Il évoque aussi une autre forme de cohabitation : avec les figures tutélaires de la droite, Giscard d'Estaing et Chirac, qu'il inquiète par son indépendance d'esprit et dont il trouble les habitudes.
Le pouvoir ne se partage pas. Edouard Balladur se souvient avoir, le premier, théorisé la cohabitation, plus comme un expédient provisoire que comme un système durable. Après l'exercice pratique, il reconnaît qu'il faut "changer nos institutions pour mettre la France à l'abri de cette confusion" (page 13). Il illustre son propos avec une expression très forte de François Mitterrand, évoquant 1988, lorsqu'il est redevenu président de la République "de plein exercice" (page 82).
On apprend aussi dans ce livre que sa nomination à Matignon a résulté de la seule décision de François Mitterrand, que François Mitterrand a d'ailleurs innové dans la forme, en annonçant lui-même à la télévision la nomination du Premier ministre, qu'en aucun cas il n'y a eu de "pacte" de partage des rôles entre Chirac et Balladur, et que François Mitterrand associait à Michel Rocard le terme "charabia" !
Avec une grande humilité, qui incite d'ailleurs à lui donner crédit sur la véracité du reste de son récit, Édouard Balladur revient aussi sur les raisons de son échec à l'élection présidentielle : le soutien de la seule opinion, son indépendance par rapport aux partis et l'absence de soutien de la part d'un grand parti structuré, le manque d'organisation de sa campagne, sa tendance à parler à la raison plus qu'au coeur ("Il ne suffisait pas de chercher à convaincre, il fallait séduire" - page 308), sa naïveté à croire que la vérité finit toujours par l'emporter, le calme et l'indifférence qu'il affichait en réponse à la violence des attaques, etc.
Françoise Giroud avait intitulé ses mémoires "la comédie du pouvoir". L'intérêt du livre d'Édouard Balladur, c'est de nous montrer ce qui s'est passé en dehors de la scène, à l'abri du regard des journalistes, dans les coulisses du pouvoir. Pour Georges Pompidou, dont il avait accompagné en 1974 la fin de mandat en qualité de Secrétaire général de l'Élysée, Édouard Balladur avait parlé de "la tragédie du pouvoir". Pour son cas personnel, en refermant son livre, je suis tenté de parler de la solitude du pouvoir, voire de sa cruauté.
Un témoignage passionnant.
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