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Critique de Nastie92


Voici, comme le titre l'indique, l'histoire d'un naufrage.
Les naufragés sont deux jeunes alpinistes : Jean Vincendon, 24 ans et François Henry, 22 ans.
Mais le naufrage n'est pas leur naufrage : c'est celui des secours.
Des secours qui ont hésité, tergiversé, tardé, oeuvré en dépit du bon sens, tant et si bien qu'ils ont condamné les deux grimpeurs à une mort atroce.

Durant plus de deux ans, Yves Ballu a mené un énorme travail d'enquête. Il a recueilli des témoignages, et mis au jour un nombre impressionnant de documents.
Fort de tout ce matériel, il entreprend d'écrire l'histoire, de la façon la plus factuelle et complète possible. Il explique dans l'avertissement préliminaire : "Ni procureur, ni hagiographe, je me suis appliqué à reconstituer les faits."
Ni voyeurisme déplacé, ni sensationnalisme écoeurant, Naufrage au mont Blanc raconte et restitue les faits et gestes de tous ceux qui ont été, de près ou de loin, impliqués dans ce drame. Afin que le lecteur comprenne l'enchaînement des événements qui a conduit à cette fin tragique.
Afin, aussi, d'honorer la mémoire des deux victimes.

Qui n'a jamais vu d'images saisissantes de secours en montagne ?
Un gros plan sur le largage d'un secouriste suivi de l'évacuation impressionnante d'une victime suspendue au bout d'un filin ?
De telles scènes, nous en avons tous vu. À tel point que, trop souvent, elles nous semblent banales.
Et pourtant, il n'en n'a pas toujours été ainsi, et à une époque pas si lointaine, les secours ne disposaient pas de toutes les possibilités techniques et humaines utilisées aujourd'hui.

Henry et Vincendon ont eu la malchance d'avoir leur accident en 1956.

Les deux jeunes alpinistes ne sont pas très expérimentés, mais ne sont pas des écervelés pour autant, du genre de ceux qui partent sans rien y connaître et sous-estiment les dangers.
Jean Vincendon avait son diplôme d'aspirant-guide, François Henry avait tout méticuleusement préparé, comme en témoigne la longue liste prévisionnelle du matériel à emporter qu'il envoie à son compagnon de cordée, assortie d'un grand nombre de questions qui prouvent que tout a été soigneusement réfléchi.
La véhémence de certains propos tenus à leur encontre est effrayante. Certains Chamoniards voient d'un très mauvais oeil ces deux "Parisiens" comme ils les appellent, venus tenter une grande première hivernale. Les guides rechignent :
"− Nous ne voulons plus risquer notre vie pour chercher ces trompe-la-mort. Ils arrivent ici, prêts à tout, n'écoutent personne et comptent sur nous pour les sortir d'un mauvais pas. [...]
− Si vous le vouliez, vous pourriez les sortir de là !
− Ils n'avaient rien à y faire."
Le grand Lionel Terray propose d'organiser une caravane de secours. Les "responsables" désapprouvent et préfèrent envoyer un hélicoptère, qui, déstabilisé par les mauvaises conditions météo, tombe, engendrant un suraccident : il faut secourir désormais Henry et Vincendon, mais aussi les quatre occupants de l'hélicoptère, dont certains ne sont pas du tout équipés pour la haute montagne.
À partir de là, tout s'enchaîne. Mal. Entre malchance et désorganisation.
Que de tergiversations ! Que de palabres ! Que de temps perdu !
Il fait mauvais ? On ne se prépare pas à partir. Il y a une fenêtre de beau temps ? Eh bien, on n'est pas prêt puisque l'on ne s'est pas préparé. le temps que l'on se prépare, les conditions sont redevenues mauvaises.
C'est grotesque, et cela ferait rire, s'il n'y avait pas deux vies en jeu ! Deux jeunes vies qui vont être perdues !
Profondément écoeuré, Lionel Terray déclare : " J'admets très volontiers que Vincendon et Henry se sont volontairement exposés à des risques considérables, et je trouve normal que beaucoup de guides n'aient manifesté aucun enthousiasme à exposer leur vie pour se porter au secours de jeunes gens aussi téméraires. Mais ce que je n'admets pas, c'est que l'on cherche à empêcher les volontaires d'agir et que, si l'on décide des opérations de secours, on les mène avec incohérence, que l'on accumule faute sur faute." (Le Dauphiné libéré, 4 janvier 1957)

Je connaissais un peu cette affaire, en particulier à travers ce que Walter Bonatti a écrit dans son livre Montagnes d'une vie (Il était avec un compagnon de cordée et a croisé la route des deux jeunes grimpeurs). J'avais vu quelques photos, en particulier de l'hélicoptère accidenté. Mais je ne savais pas grand-chose, presque rien.
Le livre d'Yves Ballu a le mérite d'être très complet, et de présenter toutes les facettes, tous les points de vue. Il permet de vraiment bien comprendre cette affaire tragique.
Le lecteur ne peut qu'éprouver une empathie terrible pour ces deux jeunes qui ont vécu un véritable calvaire. Il ne peut que s'indigner devant l'inertie et l'inorganisation des secours, entravés par les égos des uns et des autres. Il ne peut qu'être écoeuré par le manque de scrupules et l'absence totale d'humanité des journalistes qui sont à l'affut d'une "bonne" photo à faire, sont avides de sensationnel, et harcèlent les parents qui se sont rendus à Chamonix et assistent impuissants et dévastés au désastre, sachant que le temps qui passe condamne de plus en plus sûrement leurs enfants.
Bien que connaissant la fin, le lecteur ne peut s'empêcher d'espérer, en un espoir fou. Comme lorsque l'on vous annonce le décès d'une personne que vous connaissez, et que l'on vous raconte comment cela s'est passé : tout au long du récit, vous espérez de toutes vos forces que l'issue ne sera pas fatale. C'est irrationnel, mais fréquent.

Voilà un ouvrage très instructif, fruit d'un travail minutieux et colossal. Une lecture poignante, qui rappelle que la montagne, si magnifique et attractive soit-elle, n'est pas sans danger.
Naufrage au mont-Blanc vaut le coup d'être lu par tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'alpinisme.

De cette terrible histoire, de ces deux morts qui auraient pu (auraient dû) être évitées, ressort un point positif : c'est le naufrage des secours dans cette affaire qui a conduit à la création des PGHM, unités spécialisées dans les secours en montagne, composées de professionnels spécialement formés et dotées du matériel le plus performant existant. Les PGHM ont a leur actif de très nombreux sauvetages. Bravo et merci !
Toutefois, ne partez jamais en montagne de façon imprudente.
Moi qui ne fais pas de haute montagne mais de la randonnée, je suis effarée de voir l'équipement ou plutôt le non-équipement de certaines personnes que je croise : chaussures clairement non adaptées (une fois, j'ai même vu quelqu'un en tongs...), pas de pull dans le sac ni de protection contre la pluie, eau en quantité insuffisante, etc. Sans compter un itinéraire non préparé et étudié. C'est irresponsable !
En ville, une entorse de la cheville n'a rien de bien grave : vous trouverez facilement un moyen de transport pour vous rendre chez un médecin. En altitude, c'est une autre affaire. Sans compter que là-haut, le temps peut très vite changer, et transformer une banale randonnée en événement dangereux.
Alors, prudence !
Et si un jour on doit vous porter assistance, ayez une pensée pour Jean Vincendon et François Henry : c'est un peu grâce à eux que vous êtes si efficacement secourus.
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