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Critique de Woland


Edition de René Guise

ISBN : 9782070357369


Il y a, sur ce forum, de bien meilleurs connaisseurs De Balzac que je ne le serai jamais. Néanmoins, parmi les ouvrages de cet auteur que j'ai lus et appréciés, "La Rabouilleuse", qui sortit initialement sous le titre "Un Ménage de Garçon", frise à mes yeux la perfection absolue. Ici, aucune de ces envolées mélodramatiques qui, en le datant irrémédiablement, m'empêchent trop souvent d'entrer dans le texte. La construction, avec ses trois parties bien visibles quoique non formelles - Paris, Issoudun I, Issoudun II - et son épilogue qui revient dans la capitale, donne à l'ensemble une fermeté, une sûreté dans la progression qui ne laisse pas un seul temps mort. Quant aux personnages, peut-être parce que Mme Brideau et la préférence qu'elle porte à Philippe, son aîné, ne sont pas sans évoquer les problèmes familiaux De Balzac lui-même, ils réussissent le tour de force de rester, y compris dans les moments où le drame qu'est "La Rabouilleuse" risque de sombrer dans le mélo, d'un réalisme confondant. A mon avis, plutôt que de contraindre des élèves exaspérés et peu motivés à lire le martyre du Père Goriot ou même le triste destin d'Eugénie Grandet, on devrait leur proposer "La Rabouilleuse" et ce Méchant infâme, ignoble, terrifiant mais fascinant qu'est le capitaine Philippe Brideau.

Même si on ne peut que honnir sa conduite envers les siens et, de façon générale, envers son entourage à partir du moment où il estime que celui-ci lui fait de l'ombre, Philippe Brideau est un méchant royal. Il y a du grandiose, du démesuré en lui - du balzacien dans l'essence la plus pure du terme. N'hésitons pas à le proclamer : il est de la taille des Vautrin mais, pour une raison inconnue - peut-être l'éternelle dictature des programmes scolaires - il a rarement droit à cette reconnaissance. de quoi le faire crier une fois de plus à l'injustice, cette fois littéraire, mais, en ce domaine, le lecteur lui est et lui restera acquis.

Brideau ne pense qu'à lui, ne vit que pour lui. Balzac le dépeint comme un de ces jeunes sous-officiers qui doivent tout à l'Empire et qui, à la chute de Napoléon Ier, se mettent à divaguer, telles des boussoles qui auraient perdu le Nord. L'une des rares qualités que son créateur reconnaisse à Philippe, c'est son courage physique, proche d'ailleurs de l'inconscience. Il n'a pas peur des coups et aime à en donner. (Il meurt en Algérie avec une bravoure exemplaire, préférant se laisser tailler en pièces par des rebelles arabes plutôt que de reculer d'un pas.) Hélas ! A ce courage hors de pair, ne répond, au moral de notre personnage, que la plus absolue, la plus constante canaillerie : le courage moral, Philippe Brideau ne connaît pas. Il ment, trompe, vole, pille, dépouille avant tout ceux qui l'aiment ou s'entêtent à le voir meilleur qu'il n'est. Et tout ça, sans l'ombre d'un seul remords. Cynique, égoïste, monstrueux de narcissisme, il va son chemin, prêt à fouler n'importe qui aux pieds (et, ensuite, à détrousser son cadavre) pourvu que cela arrange ses petites affaires.

Face à un tel personnage, Flore Brazier, la "Rabouilleuse" du titre, ne fait pas le poids. Son amant lui-même, ce Maxence Gilet dont le parcours personnel offre une ressemblance frappante avec celui de Brideau, ne sera pas de taille. A sa façon, Gilet est, lui aussi, un "affreux" mais jusque dans l'abîme, il y a des nuances et Maxence, si criminel, si vicieux qu'il se révèle, reste inférieur à son rival. D'ailleurs, Brideau finira tranquillement par le tuer dans un duel auquel il l'aura plus ou moins acculé.

Comme la lumière répond à l'ombre, Joseph, le fils cadet d'Agathe Brideau, campe, face à son frère dénaturé, la figure du Bon Fils. Aussi laid que Philippe est séduisant, aussi tendre que l'autre est coriace, aussi aimant que l'autre demeure insensible et occupé par sa seule personne, Joseph symbolise en outre l'artiste - en l'occurrence le peintre - tel que le conçoit Balzac. Amoureux du beau et de la création artistique, Joseph ne saurait être mauvais. Bien que se sachant le mal-aimé de la fratrie, il vénère sa mère et la soutient par tous les moyens. Sans lui, Agathe vivrait et mourrait dans la misère la plus noire. Mais Joseph est là et il la protège, la consolant toujours à chaque mauvais coup de Philippe, allant jusqu'à acquiescer aux excuses que cherche à ce dernier sa malheureuse mère, et assurant le pain du ménage avec gaieté et bonhomie. C'est lui qui, avec sa mère, se rend le premier à Issoudun pour tenter de repousser les manoeuvres captatoires de Flore et de son amant. Evidemment, devant le couple infernal d'une part et la faiblesse honteuse de Jean-Jacques Rouget, le frère fortuné d'Agathe, d'autre part, Joseph et sa mère, trop gentils, trop candides, qui ne jugent les autres que sur eux-mêmes, se font tranquillement rouler dans la farine. C'est la raison pour laquelle, après un énième rabibochage avec Philippe, ils délèguent celui-ci à leur place, pour tenter de réparer les dégâts. le capitaine Brideau n'y réussira que trop bien ...

Si vous voulez connaître la suite de ce roman nerveux, captivant, mené pour ainsi dire tambour battant par un Balzac au mieux de sa forme, lisez "La Rabouilleuse". Vous ne serez pas déçus. Notez au passage qu'un film en fut tiré par Louis Daquin en 1960, sous le premier titre de "Les Arrivistes", avec Jean-Claude Pascal dans le rôle de Brideau l'Infâme et Madeleine Robinson dans celui de Flore. Les dialogues sont signés Philippe Hériat. ;o)
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