Selon
Félicien Marceau, à qui l'on doit la préface de mon exemplaire (trouvé sur une poussiéreuse étagère de la maison achetée par mon arrière-arrière-grand-père à l'époque où le roman paraissait en librairie),
le père Goriot est le roman idéal pour entrer dans La comédie humaine car, selon lui, il s'agit d'un « roman-carrefour » qui place d'entrée le nouveau lecteur « au coeur même de l'univers
De Balzac » et lui permet d'être « immédiatement confronté avec quelques-uns de ses personnages capitaux, avec ses thèmes, ses obsessions, sa démarche ». Il est vrai que les personnages qui réapparaissent le plus souvent dans La Comédie humaine (Nucingen, Rastignac, Bianchon, Marsay, de Trailles, etc.) y sont déjà tous présents. Il est vrai aussi que l'on y rencontre des personnages qui mènent plus ou moins directement à des personnages d'autres romans.
le père Goriot, bien qu'il ne soit pas le premier roman de la comédie humaine, est donc en quelque sorte un roman séminal.
Après
le père Goriot,
Félicien Marceau conseille d'enchaîner sur
Illusions perdues et
Splendeurs et misères des courtisanes. Moi, j'ai fait l'inverse : je suis entré dans
Balzac le mois dernier avec
Illusions perdues et
Splendeurs et misères des courtisanes et ce n'est qu'après avoir été définitivement converti à l'auteur par ces deux chefs-d'oeuvre que je suis revenu à ce père Goriot sur lequel j'avais lamentablement buté dans ma jeunesse.
L'homme déjà un peu fripé que je suis devenu se demande d'ailleurs comment et pourquoi le jeune homme lisse que je fus a bien pu buter sur ce roman en particulier et sur l'auteur en général. Est-ce son style désuet qui m'a dérouté ? Sont-ce les thèmes qu'il aborde qui m'étaient alors trop étrangers ? Ses études de moeurs étaient-elles trop sombres et moi encore trop optimiste ? Est-ce « son goût prodigieux du détail » (dixit
Baudelaire), sa propension à tout montrer, tout décrire et tout expliquer, qui a fait obstacle ? Son réalisme exacerbé, son enracinement dans le réel, est-il entré en contradiction avec le caractère exagérément rêveur, la nature de songe-creux du jeune homme frais et glabre que j'étais en ce temps-là ? Étais-je trop léger bien que je fusse déjà un lecteur compulsif ? Faut-il un certain kilométrage au compteur pour lire, entendre et aimer un auteur aussi « excessif » que
Balzac ? Je ne sais pas. Et, en définitive, il m'importe maintenant peu : il n'y a aucune raison de regretter de n'avoir pu lire hier les livres qu'on lit finalement aujourd'hui avec un enthousiasme, une foi, qui nous aurait peut-être fait défaut si nous les avions lus plus tôt.
Bon,
le père Goriot a été dévoré en trois soirées sous la couette. Déjà un autre
Balzac (Histoire de la grandeur et de la décadence de
César Birotteau) a pris sa place. Ensuite viendra
La Maison Nucingen (indissociable de
César Birotteau). Après, on verra : sept autres titres de la comédie humaine attendent sur l'étagère et quinze sont en route vers ma boîte aux lettres.
Existe-il en ce monde quelque chose d'aussi parfait et d'aussi gratifiant que l'accouplement heureux d'un livre et d'un lecteur ?