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Critique de Thrinecis


J'avais laissé Lucien Chardon au bord du chemin, désillusionné, accablé de remords, déterminé à se suicider mais miraculeusement sauvé par un mystérieux abbé espagnol nommé Carlos Herrera. Je l'ai retrouvé quelques mois plus tard, arpentant le foyer de l'Opéra de Paris au bras d'une belle femme, élégamment vêtu et d'une beauté suscitant la jalousie des hommes et faisant chavirer le coeur des femmes. Lucien semble s'être enrichi et a réussi à anoblir son nom d'une particule. La Fortune lui sourit, mais la femme dont Lucien s'est épris est une ancienne prostituée, Esther, surnommée la Torpille, qui vient d'être identifiée par les camarades de Lucien, anciens clients de la courtisane. Pour l'abbé Carlos Herrera, ce coup du sort peut mettre un terme à l'ascension sociale qu'il est en train de bâtir brique après brique pour son protégé. Esther doit être sacrifiée pour préserver la réputation et les intérêts de Lucien.

Cette suite des Illusions perdues se lit beaucoup plus aisément : d'une facture peut-être moins classique mais bien plus feuilletonesque, Splendeurs et misères des courtisanes se dévore, Balzac prenant plaisir à enchaîner les rebondissements et les retournements de situation pour nous accrocher jusqu'à la fin du roman. Le roman se divise en 4 parties dont les deux premières sont consacrées à Esther et à Lucien et les deux dernières sont centrées sur le véritable personnage principal du roman, l'abbé Carlos Herrera, dont on découvrira la véritable identité et les multiples avatars au cours du roman. Au fil des pages, on retrouvera bon nombre de personnages de la Comédie Humaine, comme Rastignac, Delphine de Nucingen (l'une des filles du Père Goriot), le baron de Nucingen, et bien d'autres, certains juste esquissés comme Joseph Bridau (La Rabouilleuse) dont on apprend avec plaisir qu'il est devenu un peintre reconnu...

Dans la première partie qui nous raconte l'histoire tragique d'Esther, Balzac ne peut s'empêcher d'y mêler des scènes de théâtre et même de pur vaudeville avec tromperie, farce et substitution de personne dont la victime est le baron de Nucingen. Avec la prononciation et l'accent ridicules du baron (d'ailleurs assez pénibles à lire et à comprendre parfois), cette partie serait presque du registre de la comédie si elle n'était pas si dramatique sur le fond.

La dernière partie se veut plus policière et se consacre à la figure magistrale de Carlos Herrera, réincarnation de Vautrin, ex-locataire de la Maison Vauquer dans le Père Goriot, mais aussi plus connu de la police sous le nom de Jacques Collin. Balzac s'est inspiré de Vidocq et de ses lectures sur le bagne pour décrire cet homme terrible, d'une dimension hugolienne, qui gouverne les bas-fonds de Paris, celui des voleurs et des assassins, aidé par des comparses experts dans l'art du déguisement. Il y a du Eugène Sue et du Adolphe d'Ennery dans ces pages-là ! Tout au long du roman, l'abbé manipule son monde : la pauvre Esther, Lucien - cet être lâche capable de trahir son amour et ses principes pour la fortune et un titre -, mais aussi les grands seigneurs, les hommes de loi et de la police, les voleurs, les prisonniers et les condamnés à mort. J'ai beaucoup aimé ce jeu du chat et de la souris auquel se livre l'abbé avec la Sureté, même si les retournements de situation flirtent avec une invraisemblance assumée par le romancier qui la justifie en arguant que la réalité dépasse souvent la fiction. Avec l'exemple du fabuleux parcours de Vidocq, on ne peut guère le lui reprocher ! Cette dernière partie est l'occasion pour Balzac de nous décrire si minutieusement la Conciergerie qu'il arrive à nous la faire voir et qu'il m'a donné l'envie de la visiter dès que possible.

Mais les passages les plus délectables du roman sont peut-être les belles études psychologiques de l'âme féminine que Balzac brosse à travers les portraits d'Esther bien sûr mais aussi de Mme de Sérizy, de la duchesse de Maufrigneuse, de la marquise d'Espard et de Mme Camusot. Le romancier excelle à analyser finement les remous de l'esprit qui agitent ces dames par l'interprétation d'un soupir, d'une contraction de la bouche, d'une syllabe accentuée ou d'un regard éperdu. A cet égard, toutes ces figures féminines peuvent paraître secondaires mais c'est bien elles qui seront la cause involontaire de l'inflexion étonnante du parcours de Carlos Herrera. Alors feront-elle triompher la morale et la vertu ? Vous ne le saurez qu'à la dernière page du roman...

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