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Citations sur La lanterne magique (4)

III. — MADAME LA LUNE

Pâle et grasse, et montrant des traits charmants, assez pareils à ceux du divin Théophile Gautier, madame la Lune, à demi couchée en arc dans une barque en ébène, ornée de plaques d’étain, de plomb et de cuivre jaune et d’incrustations de nacre et d’argent, avec une proue et une poupe très relevées, se promène sur le lac du Bourget, entourée des derniers poètes lunaires, chimériques petits-fils des bousingots et des Jeunes-France. Aussi extraordinaires que s’ils se promenaient sur le boulevard en habit d’Arlequins, ces lyriques blêmes sont rigoureusement vêtus à la mode de dix-huit cent trente, et il y en a même deux ou trois qui portent des bottes à glands et des manteaux où le vent s’engouffre !

Ils se recueillent en des poses fatales, et vaguement parmi eux apparaissent, avec des manches à gigots et des bandeaux moyen âge, quelques dames de la même époque, minces comme des saules, s’efforçant un peu d’avoir lieu, mais évidemment reléguées, par la nature même des choses, dans la flottante pénombre des rêves.

Au contraire, leur céleste Maîtresse, qui n’est restée étrangère ni à la modernité, ni au mouvement impressionniste, s’est habillée en Japonaise, pour flatter les idées récentes ; car son esprit est un peu attardé, mais sa coquetterie, non. Les cheveux très relevés par devant, elle est coiffée d’une tiare où le cuivre jaune, l’étain, le plomb, les perles, l’argent, et l’opale aux feux langoureux ont été mêlés dans les combinaisons les plus variées et les plus ingénieuses, et d’où s’échappent ses longs cheveux très noirs, poudrés de mica et de poudre bleue. Derrière la tiare, d’où tombent deux grandes pendeloques en jayet blanc et en or pâle, descend un long voile de gaze noir bleu, avec des dessins formant des méandres compliqués et longs en perles d’acier bleu.

Couchée sur une grande peau de chien noir, madame la Lune porte les unes par-dessus les autres plusieurs robes de satin, dont la plus intime est gris-perle, et dont les autres deviennent de plus en plus claires, jusqu’à celle de dessus, qui est d’un blanc bleuâtre, et que serre une large ceinture gorge-de-pigeon, ornée de plaques de métaux pâles. À son cou brille un collier fait avec des yeux de hiboux, et elle est chaussée de petits souliers recourbés en cuir blanc, aux semelles d’argent, ornés de croissants en cuivre jaune.

— « Ah ! messieurs et chers poètes, dit-elle d’une voix endormie, l’aimable lac, avec son château féodal sur une roche, et son couvent de moines : il n’y manque rien ! C’est là que Lamartine a chanté Elvire. Qu’elle devait être mince et aérienne pour avoir inspiré de tels vers mélancoliques, pareils au gémissement du vent dans les plaintives cordes de fer d’une harpe éolienne !

— Madame, dit un Oswald un peu entaché de réalisme, il ne faut rien exagérer. On assure qu’Elvire était une blanchisseuse…

— Ah ! soupire avec une petite moue la dame au front d’argent, ne m’enlevez pas vos illusions ! »

Et tout de suite, pour montrer que cela lui est parfaitement indifférent, elle rit en découvrant ses petites dents d’opale brillantes ; elle s’évente avec son éventail en plumes de jeune cygne, et le reflet de son céleste visage de Pierrot jette sur les flots doucement agités mille et mille paillettes d’argent, qui les ourlent de délicates et capricieuses broderies.
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II. — MONSIEUR LE SOLEIL

Au milieu d’un éblouissement de rayonnante fournaise, monsieur le Soleil s’apprête à monter dans son carrosse de topaze dont la portière est déjà ouverte, et dont les chevaux orangés, toujours cabrés, jettent par les naseaux des fusées de lumière et de perles. Il est vêtu en général romain, avec la fauve cuirasse aux ornements gaufrés, la ceinture au large nœud, les flamboyants lambrequins à franges au haut desquels brille une figurine d’Hercule, l’épée, le coutelas, et les chaussures de peau de lion à semelles épaisses, qui laissent passer le bout de ses pieds nus.

Sur sa flottante perruque de flamme est posé très haut un laurier de rubis d’où tombent de longs rubans de braise rose, et son visage d’or que coupe au-dessus de la lèvre la toute petite moustache droite, comme dessinée à la plume, s’encadre dans une cravate en dentelle de feu.

À quelques pas, dans un autre carrosse, on voit vaguement le profil de la vieille dame. Autour de monsieur le Soleil s’empressent les Astres princes et ducs, et à l’écart, un vieux courtisan, rougi à blanc et écrivant sur ses genoux, prend des notes. Cependant le Victorieux, le Porte-foudre a vu quelques-uns des rutilants seigneurs de sa suite réprimer un rapide sourire ; il veut en savoir la cause, et les interroge.

— « Eh bien ! dit-il à l’un d’eux, parlez franchement, je vous l’ordonne. Que dit-on de moi dans les gazettes ?

— Sire, murmure le seigneur incandescent, je n’oserais. Le respect…

— J’ai dit : je veux.

— Eh bien ! Sire, des esprits chagrins pensent qu’à force de tout éclairer trop nettement, votre aveuglante lumière rend les objets vulgaires et mesquins, en montre l’infirmité et la laideur, et que celle de la Nuit, avec ses tendres mollesses bleues, donne aux choses un charme plus pénétrant et plus intime.

— Bon ! dit monsieur le Soleil, en mettant le pied sur le marchepied du carrosse, ce sont là de simples idées romantiques, dont le législateur du Parnasse fera bonne justice. Et tout cela ne serait pas arrivé, si on avait continué à représenter régulièrement les excellentes pièces de théâtre de monsieur Racine ! »

À ces mots le carrosse se referme. Les Astres princes et ducs montent à cheval, et bientôt, carrosses et cavaliers et l’escorte de soldats, tout s’envole dans la clarté furieuse, et le cortège n’est plus que flamme et incendie, sauf les larges bottes à entonnoir des cochers, qui apparaissent toutes noires dans la gloire triomphale de l’universel embrasement.
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LA LANTERNE MAGIQUE

TABLEAUX RAPIDES


Trahi, deri, traderi, dère ; la, la, la, traderi, tradère ! Demandez la Curiosité ! Faites monter chez vous la belle Lanterne Magique ; il ne vous en coûtera pas plus que cinquante-cinq sols. Jusque-là c’était le plaisir des tout petits êtres ; mais, moi, j’ai inventé une Lanterne Magique à l’usage des grandes personnes, qui vous montrera mille tableaux ingénieux et divers, pour l’amusement des parents et la tranquillité des enfants.

Attachez un drap blanc sur votre mur, et cependant appelez-moi par la fenêtre, et mettez-vous en rang bien sagement, comme les spectateurs du mardi à la Comédie Française. Moi, je viendrai avec mon appareil, et alors vous aurez du plaisir pour votre argent. Vous verrez le Bon Dieu, et monsieur le Soleil, madame la Lune, mesdemoiselles les Étoiles, le Roi, la Reine, le Gendarme, le Bourreau, le Matin, le Midi, le Soir, les sept Péchés Capitaux, les Éléments, et beaucoup de figures d’une alléchante modernité.

Mes Tableaux rapides vous apparaîtront, groupés méthodiquement par douzaines, en l’honneur des douze Apôtres, et aussi du nombre de syllabes contenu dans le vers alexandrin, auquel je m’étais fort adonné du temps que j’étais poète, avant d’embrasser une profession honorable.

Mais je vous les expliquerai en prose, tout naïvement, sans économiser mes plus flambants adjectifs, non plus qu’un honnête ouvrier peintre n’épargne son outremer lapis, son jaune d’antimoine et sa laque de garance rose dorée, lorsqu’il s’agit de satisfaire de bonnes pratiques.
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I. — LE BON DIEU

Sous le portique dont les pierres sont de la lumière extasiée, brûlée d’amour, et dont le moindre atome, s’il pouvait s’enfuir, aveuglerait le troupeau fou des Soleils, le bon Dieu, en habit d’empereur, voit et contemple les Infinis, assis sur son trône. Sous ses pieds se déroule l’éther frémissant, avivé d’imperceptibles points étincelants, qui sont les Univers. Près de lui sont les Anges terribles, qui s’émeuvent parce qu’ils entendent venir jusqu’à eux des plaintes, des sanglots et des râles.

— « Oh ! Seigneur, écoutez, dit Ananiel. Ce sont des monde innombrables qui, refroidis et glacés, meurent de vieillesse. Voyez leurs cadavres se roidir, et pendre désespérément leurs chevelures inertes ! »

Mais à peine a-t-il parlé que des milliers de mondes nouveaux naissent, s’éveillent, grandissent et, semblables à des enfants joyeux, s’enfuient emportés dans l’ardente musique du Rhythme universel.

— « Mon serviteur, dit le bon Dieu à l’ange, pourquoi t’affligeais-tu sur ce que peut renouveler et réparer l’inépuisable Vie ? Mais dites, quel est ce cri plaintif et doux, que j’entends comme un faible murmure ?

— Seigneur, dit Zadakiel, prenant la parole à son tour, il vient de l’humble planète à jamais bénie où a été versé le sang divin. C’est un petit enfant de Moulins (Allier) qui voudrait avoir un polichinelle.

— Mais, dit Raziel, voyez, Seigneur ! Voici que sur cette même terre un féroce conquérant a dévasté les royaumes, détruit les villes, teint les fleuves de sang rouge. Il a lui-même égorgé des tas d’hommes qu’il a fait manger à son lion, et il a écrasé les cohortes sous les pieds de ses éléphants. Derrière lui il laisse des femmes éventrées aux lèvres blanches, des pyramides faites de têtes coupées, des champs où l’herbe ne repoussera plus, des squelettes de hameaux calcinés, et des chemins nus où il n’y a plus que de la cendre noire.

À ces paroles, les Anges baissent tristement leurs têtes. Mais comme la pensée de Dieu a pitié de leur tristesse, et comme le Temps n’existe pas pour eux, en levant les yeux de nouveau ils voient les temples rebâtis, les villes relevées, les jardins en fleurs, les champs pleins d’épis mûrs, et près des fleuves tranquilles, des mères au beau sein allaitant leurs enfants nouveau-nés, tandis que le soleil de midi baise les fronts des moissonneurs.

— « Messager, dit le bon Dieu à Raziel, tu vois que les maux et les désastres seront guéris, et que nulle douleur n’aura crié en vain. Mais va-t’en vite inspirer de bonnes pensées à la mère du pauvre être ingénu qui se plaignait tout à l’heure. Je tiens beaucoup à ce que ce petit enfant de Moulins ait son polichinelle ? »
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