Je ne comprends pas la mer. Ni rien d'autre. Je n'avais jamais voyagé. Ni sur mer ni dans les airs. Je n'avais jamais quitté mon pays, ma vie petite, réduite. Qui a enflé comme une tumeur maligne. Comme le ballon des cauchemars qui m'effrayaient.
J'arrose l'espace de coups de feu. Je m'enorgueillis de ma force, de la splendeur de mon corps. J'éprouve une immense gratitude tandis que mon regard erre parmi les cadavres. Je ne ressens aucune fatigue; ni lassitude, ni abattement. La route s'étire toujours jusqu'à l'horizon. Les gens ne cessent de sortir des petites maisons et des immeubles bas, bien qu'ils sachent ce qui les attend et me craignent. Ils sortent comme s'ils me demandaient la grâce de les tuer. Juste un instant d'épouvante dans leurs yeux, comme un éclair furtif avant que je tire.
Une musique divine, énorme, remplit l'espace. Une musique descendue de la coupole céleste se répand sur moi comme pour me bénir tandis que je les abats un à un. Le chant des bourreaux entre dans le corps des tués par leur tête éclatée, par les orifices rouge et noir... Le chant des bourreaux ? Je ne suis pas un bourreau. Dieu n'est pas un bourreau quand il anéantit les hommes, purifie la création. Dieu n'est pas un bourreau lorsqu'il envoie les déluges, fait entrer en irruption les volcans, secoue la terre comme un arbre dont les fruits ont mûri jusqu'à la pourriture ultime. La pourriture ultime.
Il m'arrive de songer que je suis pour Samia un objet cabossé, ou un papier froissé, qu'il suffirait de lisser. Ou bien un ballon flasque, et il suffirait d'un peu d'air pour le regonfler, pour qu'il retrouve sa rondeur et ses couleurs. Ou une plante d'appartement que ses propriétaires ont oubliée, et un peu d'eau ou d'attention suffirait pour qu'elle retrouve son éclat, sa verdeur, qu'elle reprenne vie, splendeur, et même félicité.
L'aveuglement, la vie te l'accorde parfois. Ne pas voir de guide. La vie parfois te dit : "Dors. Ferme les yeux. Inutile de les ouvrir, tu ne verras rien". La vie parfois te dit : "Ferme les yeux. Dors".
D'où me viennent ces sautes d'humeur ? D'où me viennent ces emportements soudains ? Je ne sais. J'entre, comme on trébuche, dans des colères subites. Une petite boule de feu monte en moi et se met à tournoyer dans mes organes, y provocant un étrange désordre. il faut que je contrôle davantage mes nerfs... C'est un des traits que je déteste en moi, j'y vois un handicap qu'il me faut dominer, apprivoiser, ou...
Il est temps que cette femme comprenne l'absurdité de sa fidélité, de son dévouement envers un homme absent, inexistant.
Je veux être un scélérat, le plus professionnel des scélérats, sans perdre mon âme.
Dieu n'est pas un bourreau quand il envoie les déluges, fait entrer en éruption les volcans, secoue la terre comme un arbre dont les fruits ont mûri jusqu'à la pourriture ultime. La pourriture ultime.