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Critique de SophieChalandre


Au-delà de la biographie admirative volontairement mythifiée du dandy anglais de la première moitié du 19ème siècle George Brummell, c'est bien au service de sa propre cause que s'emploie le talent de Barbey d'Aurevilly, proposant une véritable théorie du dandysme comme modèle d'indépendance d'esprit et d'existence, défiant le pouvoir et les hautes classes sociales, avec un art raffiné de l'artifice, du signe, du langage, du double-sens et un opportunisme de l'instant présent, singulièrement capable de juger le bon moment pour le bon mot et la bonne victime.
Personnage conceptuel échappant à L Histoire, Brummell devient sous la plume de l'auteur normand si anglophile un mythique et rebelle dandy flamboyant, reprenant le "il y a un je ne sais quoi chez le dandy" décrit par Montesquieu, le spécifiant par une sorte de grâce qui le différencie des simples mortels.
Avec une écriture exquise sertie dans un génie narratif propre à Barbey d'Aurevilly, ce récit biographique s'affranchit des faits réels de la vie de Brummell, le dandy anglais devenant un personnage littéraire idéalisé incarnant entre les lignes Barbey d'Aurevilly lui-même et son dandysme normand puis parisien (Paris étant un passage obligé du dandysme et le territoire naturel de tous les bouffons des puissants), même si l'auteur restera singulièrement solitaire et souvent à l'écart des cercles de courtisans.

Volontairement chargée d'approximations, cette biographie de Brummell filtre tout ce qui gênerait le mythe du dandy parfait. Brummell, jeune hussard, proche du prince de Galles, séduit la Cour britannique et devient une institution du dandysme anglais puis s'exilera en France où il mourra en dandy. On l'aura compris : avec le grand Brummell de Barbey d'Aurevilly, c'est sa vie qui est son oeuvre.
Rien sur ses revers de fortune, alors que Brummell a vécu dandy moins de temps qu'il n'a été dans la déchéance et la médiocrité, devenu dans son exil un perdant endetté, revanchard et oublié. Rien sur le petit Brummell escroc, maître-chanteur, grossier, prétentieux, voleur, menteur et manipulateur.
L'intérêt de cette oeuvre réside surtout dans la capacité que l'auteur a à défendre la fatuité anglaise : la vanité des hommes, sentiment négatif mais sincère, étant incontournable, autant l'assumer et la mettre en scène pour construire une vie indépendante et moqueuse des pouvoirs. Mais c'est oublier de la part de l'auteur que le dandy est une fragile apparence, un porteur de masques qui ne vit que dans la considération d'autrui et dépendant des subventions des dominants.

Très éloigné de la théorie du dandysme surstoïcien de Baudelaire dans le peintre de la vie moderne où le dandy est un personnage typique des périodes intermédiaires où les pouvoirs migrent des vieilles classes possédantes vers les nouvelles dominantes, le Brummell de Barbey d'Aurevilly fait silence à dessein sur certaines évidences : Brummell n'a fait personne, c'est la couronne britannique et les classes dominantes qui l'ont fait dandy puis l'ont défait. Entretenu par les riches tant qu'il était à la mode, l'éphémère Brummell et ses savants noeuds de lavallière ont été une illusion d'indépendance.
Car la rébellion du dandy tourne toujours à vide puisqu'il se rebelle pour lui-même et son miroir, éternellement incapable de dépassement de soi. Obsédé par sa posture, Brummell en oublia d'être lui-même, donc il ne fut rien et mourut comme tel, laissant derrière lui une ou deux anecdotes mondaines, un ouvrage de mode et quelques fort malveillants mots d'esprit.
Ainsi, le mythe forgé par Barbey d'Aurevilly se révèle aussi fragile, assujetti aux puissants et vain que le furent Brummell et sa collection de porcelaines de Saxe.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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