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Critique de Dionysos89


Après bonheur[tm], Jean Baret nous propose une nouvelle vision d'avenir et d'effroi avec vie[tm], une autre société futuriste fondée sur les trademarks, ces marques déposées qui régissent nos vies.

Citoyen, à vos temps de loisirs !
vie[tm] met en scène le citoyen X23T800S13E616, alias Sylvester Staline comme il s'est lui-même nommé. Comme tous les autres humains, semble-t-il, il s'éveille, travaille, se divertit, se couche chaque jour dans sa cellule de quelques mètres carrés. Il y possède uniquement un « TED », cocon qui le nourrit et le restructure chaque nuit, un fauteuil, des oreillettes et des lentilles. Ces derniers lui permettent d'accéder à l'immense réseau de hubs, de portails, de forums que la société lui propose. Ainsi, chaque jour, Sylvester possède un temps de travail à vendre, un temps de repos à acheter et des temps d'amour, d'amitié et de travail à dépenser. Or, X23T800S1E616 a pris l'étrange habitude de se suicider tous les soirs. Certes, il revient à la vie grâce à son Ted[TM], mais tout de même, le lecteur risque de se dire : « peut-être qu'il ne va pas bien, tout simplement ». « Peut-être qu'il ne va pas bien » ?? le lecteur a un oeil de lynx (voire un oeil de taupe, mais c'est une autre histoire). Heureusement, les algorithmes du bonheur sont là pour veiller sur la santé, le bien-être et le bien-consommer de notre héros. D'ailleurs, à chaque fois qu'il a besoin de quelque chose et qu'il le fait savoir (une simple recherche, une envie sexuelle, un nouvel objet à construire, etc.), un nouvel algorithme est à son service ; et même quand il ne le fait pas savoir, des formulaires sont auto-remplis pour contenter des besoins dont il n'avait pas conscience.

L'aliénation algorithmique
Jean Baret a pris le pli de mettre son lecteur en condition pour ressentir lui-même l'abrutissement et l'aliénation que l'auteur compte mettre en scène dans son roman. Cela se voit dans le style, volontairement répétitif et lancinant, et c'est au lecteur de bien faire attention aux changements, parfois infimes, qui surviennent de jour en jour. Dans vie[tm], c'est dans un monde où il n'y a plus aucune création que nous sommes conviés : le narrateur a accès à quantité de portails dédiés à toute la culture des siècles précédents, mais sans jamais avoir la possibilité de faire vraiment oeuvre de création, d'imaginer de nouveaux futurs possibles. Ainsi, les références sont constantes, il suffit de voir les noms détournés que se choisissent les citoyens, jusqu'au matricule du narrateur : X23T800S13E616 renvoie à X-23, clone de Wolverine dans l'univers Marvel Comics, au T-800, marque du Terminator de la série de films du même nom, à la E-616, pour Earth (Terre) 616, c'est-à-dire la continuité principale de l'univers Marvel Comics, par contre, S-13 est plus flou pour moi, peut-être une référence aux sous-marins soviétiques du temps de Staline justement. C'est donc un monde qui tourne en rond, où les algorithmes sont censés être nos serviteurs dociles, mais où ce sont eux qui nous aliènent. le style va un peu plus loin encore quand certaines habitudes d'écriture émergent, parfois proches de celles prises par Alain Damasio quand il invente des mots-valises comme « infomercials ». le but est de montrer que ce monde assez vide ne fait que des resucées constantes de ce qui a déjà été fait, sans aucune surprise, sans plus aucune attente.

Qu'est-ce que la vie[tm] ?
Quand absolument tout est marketé, compilé et géré par des algorithmes qui sont censés être à notre total service, que signifie être en vie ? C'est évidemment la question centrale de l'ouvrage. le héros questionne le sens de sa vie : au fond, n'est-il qu'un sourd-aveugle au monde payé à ne rien créer afin que rien ne change ? Sa quête personnelle le rapproche, par pur hasard, du nihilisme et d'une certaine forme d'anarchisme politique, on l'informe sur ces mots et sur leur histoire, mais au fond il n'écoute et ne comprend pas, tellement habitué à zapper sur des « infomercials », à faire un travail abrutissant ou à dépenser du temps d'amour, d'amitié ou de loisirs. C'est au hasard d'un séminaire instructif imposé par un algorithme envoyé via un formulaire auto-rempli, qu'il se surprend à imaginer autre chose, à s'imaginer une vie. Toutefois, là où dans bonheur[tm], Jean Baret commettait probablement une erreur en essayant de pousser l'intrigue un poil trop loin par rapport à ce qu'il avait choisi comme personnage principal, ici au contraire il s'arrête net au risque de ne rien révéler du tout. L'effet à la toute fin de la lecture est poignant : comment quitter ce livre ? Personnellement, j'ai badé un bon moment.

Jean Baret nous assène donc encore un coup de poing littéraire, alternant brins d'humour et passages trash, et nous laissant sur une terrible fin sans explication certaine : la lecture a fait son oeuvre.

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