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Critique de jlvlivres


« Des Milliers de Lunes » de Sebastian Barry, traduit par Laetitia Devaux (2021, Editions Joëlle Losfeld, 240 p.) reprend les thèmes de « Des Jours sans Fin » du même auteur et même traductrice (2018, Joelle Losfeld, 272 p.).
1870, c'est la guerre. Non pas dans l'Est de la France, mais dans le Tennessee, où des groupes font toujours sécession, même après la défaite de Gettysburg en 1863, puis de Richmond en 1864, et a reddition de Robert E. Lee au général Grant à Appomattox en 1965. Ces sudistes ne savent décidément pas admettre la victoire du camp de l'Union, même après la mort de plus de 600000 soldats, autant dans chaque camp. Et comble de malchance, la dernière reddition est celle du général Stand Watie, qui est en même temps chef cherokee et seul général amérindien de la guerre de Sécession. Qu'allait il faire dans cette galère ?
Donc le Tennessee où il y a deux armées qui s'affrontent. L'une, « Army of the Tennessee » est sous les ordres de Ulysse Grant, puis de William Tecumseh Sherman, et fait donc partie de l'Union. La seconde « Army of Tennesse » est avec les Conférés, sous la direction du Général Braxton Bragg, puis de Joseph Johnson. On retrouve tous ces noms dans diverses occasions, dont des noms de rues, aux USA et au Canada anglophone. Entre ces deux armées, les noirs et les indiens, dont quelques-uns ont été affranchis.
On retrouve donc Winona, la jeune orpheline indienne Lakota, qui a été adoptée pat John Cole et Thomas McNulty, les deux frères d'armes de « Des Jours sans fin ». Elle a maintenant dix-huit ans, et un caractère farouche, suite à ce qu'elle a vu et subie. Elle se déplace d'ailleurs avec un poignard et un petit revolver à crosse de nacre. On se souvient que John Cole avait « un curieux costume noir qui devait bien avoir trois cents ans, au vu de ses trous. Il était aéré à l'entrejambe, j'avais vite découvert, on aurait pu y glisser la main pour tâter sa virilité. Alors on s'efforçait de regarder ailleurs ». Là, apparemment, les regards ont été redirigés. La famille cultive le maïs et le tabac à la ferme de Lige Magan, près de Paris, Tennessee. Ils sont aidés par Tennyson Bouguereau et Rosalee, sa soeur, deux esclaves affranchis après la guerre.
Tout pourrait aller bien dans quasiment le meilleur des mondes pour tous ces gens, tous orphelins qui essayent de refaire une vie au calme. C'est cependant oublier que si l'affranchissement a eu lieu pour les esclaves, les indiens sont exclus de cette disposition. Winona n'a donc aucun droit, si ce n'est d'être battue et humiliée sans que cela ait de l'importance. La justice est là pour les Blancs, accessoirement pour les Noirs quand c'est flagrant, et absente pour les Indiens. Mieux vaut ne pas se souvenir de ces moments. « Même quand on a réchappé à un bain de sang et à un désastre, au bout du compte, il faut quand même apprendre à vivre. Il faut ouvrir les yeux, comprendre les choses, les faire pousser ou les acheter, selon les cas ».
Il faut reconnaître qu'elle a déjà vécu bien des évènements perturbants. Fille de « Celui qui Domptait les Chevaux », tuée par Lige Magan, le tireur d'élite de la troupe dans « Des jours sans fin ». Elle a assisté a massacre de toutes celles qui l'entouraient, sa mère, sa soeur, ses tantes et ses cousines alors qu'elle avait six ans. Elle n'oublie pas. On la retrouve plus tard, plus âgée et violée. D'ailleurs on ne sait pas bien quand elle est née. Ce qui est sûr, c'est qu'elle est née par une nuit de lune du cerf. Dans sa nouvelle famille elle assiste aussi au lynchage de Tennyson. « Faire ça non par folie aveugle, mais parce que ma mère m'avait appris à chasser la peur et à avoir un courage de mille lunes ».
Elle grandit ainsi, riche de cette ambiance familiale entre John et Thomas, et Tennyson et Rosalee. La richesse « des hommes bons comme des femmes ». En face, les prémices du Ku Klux Klan sous l'impulsion de Nathan Bedford Forrest, ancien général confédéré qui fédère et structure l'organisation en tant que « Grand Sorcier de l'Empire invisible ».
Cela commence en 1867 comme une « institution chevaleresque, humanitaire, miséricordieuse et patriotique », qui se donne comme « but sacré » le « maintien de la suprématie de la race blanche dans cette république ». Les théories du grand remplacement sont déjà à l'oeuvre sous un autre nom. Puis le mouvement passe à l'action violente. Ceci en réaction aux les lois « Jim Crow » issues des « Black Codes » promulguées à partir de 1877 alors que la nouvelle constitution des Etats favorisait les droits constitutionnels des Noirs après la guerre de Sécession. le 13eme amendement abolit l'esclavage (1865), le 14eme accorde la nationalité par le droit du sol (1868) et le 15eme garanti le droit de vote (1870). On sait ce qu'il en est plus d'un siècle plus tard. Entre temps, il a fallu le « Civil Rights Act », le« Voting Rights Act » et le « Civil Rights Act » entre 1964 et 1968. Mais l'extrême droite est toujours active dans les états du sud, qui revendiquent encore le drapeau des Confédérés.
C'est la période de calme qui précède la tempête. « Pendant un temps, tout avait paru aller mieux pour les esclaves. Ils avaient déposé leurs outils dans les fermes où ils ne désiraient plus travailler. Ils avaient obtenu le droit de vote, les hommes en tout cas. Ils pouvaient soutenir le regard d'un Blanc et lui parler aussi droit que le tir d'une flèche. Ça avait duré un temps. Maintenant, tout allait en sens inverse ». En effet Winona trouve du travail auprès d'un homme de loi Jas Jonski. de par son intelligence elle plait, au point que Jas veut l'épouser. « Je savais qu'il ne me voyait pas comme une chienne d'Indienne. Il savait qui j'étais. Qui nous étions. Des âmes bonnes qui attendaient la lueur d'une aube qui ne surgirait jamais mais des âmes néanmoins ». C'est oublier le racisme ambiant qui fracasse les belles manières.
Heureusement sa sagesse d'indienne, et son entourage, dont Rosalee « une sainte noire » l'aident à se reconstruire. « Il faut ouvrir les yeux, comprendre les choses, les faire pousser ou les acheter, selon les cas ».

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