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Critique de CDemassieux


Cela fait quelques années déjà que je m'intéresse à 1914-1918 ; pas comme un assoiffé de stratégie dont je me fous éperdument. Car ce n'est pas d'un jeu de guerre dont on parle là, mais du suicide de la vieille Europe, entamé ce bel été 1914…

En plus de ce suicide, je reste convaincu que ce fut aussi une guerre de discrimination sociale, à savoir que les humbles – des deux camps – furent les esclaves de volontés tyranniques qui se souciaient fort peu de leurs conditions de survie au front et les envoyaient dans des offensives aussi inutiles que meurtrières.

Les officiers supérieurs, les majors méprisants, les embusqués de l'arrière, les politiciens voyaient sans doute « dans le soldat un être inférieur qu'on traite sans égards, comme un berger traite ses moutons, un piqueur sa meute de chiens. » Plusieurs fois, d'ailleurs, Barthas montre sa compassion pour les bêtes au front –sauf les poux et les rats, évidemment ! Par-delà les espèces, c'était une communion de souffrance…

Certes, dans mes lectures, j'ai découvert des plumes sublimes comme celles de Barbusse, Céline, Giono, Jünger, Remarque, etc. Mais aucun livre, fût-il écrit par historien ne raconte 1914-1918 comme Louis Barthas dans ses Carnets de guerre.

Louis Barthas, pourtant très instruit, ne verse pas dans le style : il écrit ce qu'il voit, ce qu'il ressent avec une fulgurance touchante, parfois déchirante. Surtout, loin des poncifs – qu'on déplore, hélas, sur beaucoup de monuments qui parlent de gloire quand il faudrait parler de tragédie collective –, il raconte une guerre dans sa vérité la plus sordide.

Et Rémy Cazals d'écrire si justement dans sa postface de 1997 : « Il me semble que le talent de Barthas se caractérise par l'absence d'effets et d'artifices littéraires. »

Quant à l'exagération des faits que certains imputent à Barthas – comme on pourrait trouver exagéré son opinion catégorique sur celui qu'il appelle « le dictateur Clemenceau » –, il reste que lorsqu'il écrit ceci, et à la lumière de tout ce que l'on sait maintenant, il ne révèle qu'une horrible vérité : « de part et d'autre on se battait en cannibales, avec une cruauté plus grande peut-être qu'aux temps reculés des invasions barbares. »

Il est vrai que Barthas – socialiste et pacifiste convaincu – écorne sérieusement la propagande – encore tenace aujourd'hui chez certains – prétendant que les hommes étaient choyés par leurs supérieurs : « Que de souffrances, de fatigues, de maladies, infirmités et morts on eût épargnées avec des chefs pourvus du simple bon sens ! » Faire dormir des soldats épuisés par les combats dans des granges vétustes qui empestent le purin, on ne peut effectivement pas parler de compassion…

Moi, je n'y étais pas et devant tant de souffrances, je me tais. Ces hommes-là ont des droits imprescriptibles que j'espère ne jamais avoir, car cela impliquerai que je fasse connaissance avec un nouveau secteur de Lorette, une autre côte 304 ou un autre mont Cornillet, et j'en passe.

Alors oui, il faut lire ces Carnets avec toute l'humilité et le recueillement qu'ils exigent. J'oserai presque parler de document sacré. Et Barthas, de conclure par une sentence terrible mais combien vraie sur ce carnage dont il a été l'un des acteurs malheureux : « On a menti… mais je renonce à écrire tous les mensonge sortis de la bouche ou sous la plume de nos gouvernants ou journalistes »…
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