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Citations sur Chamanes - Voyage au coeur de la nature (28)

Appréhender les chamanismes
« Tout parle. Et maintenant. homme, sais-tu pourquoi / Tout parle ? Écoute bien. C'est que vents, ondes, flammes / Arbres, roseaux, rochers, tout vit ! / Tout est plein d'âmes. »
Victor Hugo, « Les Contemplations »
Le chamanisme n'est pas une représentation du monde, ni ne l'explique par ailleurs. Il procède de celle-ci, les notions d'esprits et de pratiques chamaniques pouvant parfaitement être dissociées. Et pourtant, les esprits sont essentiels à la fonction chamanique, à sa nature et à son mode opératoire. Leur évocation constitue à elle seule le décret d'existence d'un monde que mobilisent les chamanes dans leurs pratiques, d'un monde outre-ment différent de celui que nous avons, dans nos sociétés, l'habitude de considérer. En d'autres termes, tout mode d'être et de penser qui considère la réalité de l'existence des esprits lève l'impensé phénoménologique, autorise le recours aux chamanes et leur permet d'agir ou d'être agis. Il leur permet de convoquer et de (se) déplacer (dans) un imaginaire, entendu ici comme lieu d'un possible relationnel. Le chamanisme est en ce sens une pensée de la relation, de celle qu'on en-visage ; raison pour laquelle le rituel se tient la nuit ou dans l'obscurité, raison pour laquelle aussi le regard des chamanes est voilé de bandelettes de tissu ou d'un rideau de perles.
Dans les sociétés à chamanes, la distinction entre ces registres de réalité que sont l'humain et le non-humain, le visible et l'invisible, n'est ni absolue, ni immuable, mais bien une expression instituée de relations entre des collectifs d'existants dont le statut ontologique et la capacité d'action varient selon les positions qu'ils occupent les uns par rapport aux autres (Philippe Descola). Ce qui caractérise les topographies chamaniques est l'idée qu'elles sont formées d'un maillage de chemins reliant entre elles les différentes régions et facilitant la communication entre celles-ci. C'est l'idée qu'elles sont une sorte de réseau ouvert, une combinaison de particules invisibles à l’œil nu mais animées d'une force ...
p. 91
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— Pendant la transe, avez-vous conscience de ce qui vous arrive ?
— Oui.
— Alors pouvez-vous décrire ce que vous ressentez ?
— J'ai beaucoup plus de force que dans un état normal. Je ne ressens pratiquement plus la douleur, et la perception du “moi” se transforme. En loup au début, mais depuis en différents animaux ou personnages. Je perds aussi la notion d'espace et de temps et je peux “voir” les yeux fermés ; des animaux, des visages ou des représentations géométriques. Mais plus étonnant encore, mes sens semblent accéder à un niveau 2. Plus subtil. Mes yeux, toujours fermés, se mettent par exemple à “voir” les corps, mais sans contour précis. Je vois une sorte d'espace, de “nuage” dont le contour s'étend bien au-delà de sa surface habituelle. Il est plus grand. J'y ressens des zones fluides ou bloquées, je vois des formes, des couleurs, des univers plus ou moins harmonieux, sur lesquels je ressens le besoin incontrôlable d'agir. Mon nez se met à renifler, comme celui d'un loup. Pas des odeurs, mais des zones “dissonantes”. Mes mains y répondent par des signes, des danses. Elles entrent dans le nuage, palpent des formes, les modulent, les transforment. Ma bouche aspire ou souffle sur certaines de ces zones, formule des langages ou entonne des chants que je ne connais pas, fait des sons que je suis incapable de reproduire dans un état de conscience ordinaire. Quant à mes oreilles, elles contrôlent la modulation de ces sons et savent à quel moment ils sont “justes”. Sans parler des informations que je me mets à percevoir. Dans cet état le cerveau semble gagner en intelligence perceptive. Il capte des informations qu'il ne voit pas, ou peu, dans un état de conscience ordinaire. Un peu comme si la perception de la réalité était “augmentée”.
p. 173
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Devenir chamane, c'est partir en quête des esprits ou répondre à leur appel. Devenir chamane procède d'un profond accablement, d'une meurtrissure du corps ou d'une confrontation à des états émotionnels intenses… comme si la personne se plaçait dans une situation de vulnérabilité et de détresse, afin d'apitoyer les esprits et de solliciter leur compassion ; comme si les esprits tourmentaient la personne, la plaçaient dans une situation intenable, sauf à reconnaitre leur vouloir. Devenir chamane donc, c'est prendre le risque de l'errance, de celle qui a pour finalité, non pas une accumulation d'informations, mais une ouverture de l'esprit (Kenneth White). C'est consentir à un dépaysement radical et effrayant, à un ensauvagement (au sens d'une présence, non plus à soi et au collectif humain, mais au sauvage et aux existants non humains) au dénouement incertain. C'est accéder à l'altérité dans un crescendo initiatique ou à partir d'une expérience brute, inattendue, qui modifie le devenir ordinaire et ouvre la personne sur l'invisible.
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Dans les sociétés à chamanes, où le désordre est imputé à un invisible débordant de vitalité, où l'irruption du malheur appelle la négociation, où l'environnement dans lequel se meuvent les êtres humains est un espace aux limites imprécises, habité de personnes non humaines, où la séparation entre les mondes est floue, voire ignorée, où en somme, écrit Jean-Pierre Chaumeil, les rapports entre nature et culture ne sont pas pensés en termes de rupture mais de continuité, il est indispensable pour les êtres humains, et pour le chamane en particulier, de reconnaître l'authenticité de l'animal ou de la personne rencontrée et d'en percevoir l'intentionnalité. Un chant inhabituel, une plume ou un bec d'une coloration exceptionnelle, suffisent parfois à déjouer l'imposture des esprits. Dans les sociétés à chamanes, le corps n'est donc pas une entité stable, ni une réalité très sûre aux yeux de l'observateur ; d'où l'intérêt bien marqué dans celles-ci pour les récits qui parlent de métamorphoses et d'identités incertaines ...
p. 153
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« CHAMANES» - “Voyage au cœur de la nature”, Corine Sombrun – Sébastien Baud, éditions Michel Lafon © 2020
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« Tout réside, explique “celui qui sait” (sandatia) à Alberto Prohaho, chamane yagua, dans l'esprit des végétaux : leur essence, hamwo. C'est l'unique chemin de la connaissance ». Quant au tabac, « c'est le chemin des âmes, mbayàtu rëpwirnu, la nourriture des esprits, qui doit pénétrer dans ton corps. Tu dois en faire ton allié, car il te conduira où tu voudras, il te fera voir » (Jean-Pierre Chaumeil). C'est dans la mesure, écrit Pierre Déléage, où le chamane devient lui-même un esprit qu'il peut percevoir ce que perçoivent les esprits et chanter ce que chantent les esprits ; c'est cette transformation qui lui permet d'avoir accès à l'univers référentiel des existants non humains. Comprendre, dans l'épistémologie chamanique, c'est se transformer.
p. 151
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La première fois, elle morcelle le corps et arrache la tête ; les termes employés pour désigner l'expérience (tomber brusquement, être saisi...) témoignent d'une absence temporaire à son corps et au collectif humain. La personne est alors introduite dans le sein (ukhupi) d'une montagne (urqu), où elle côtoie les esprits (apu) de la cordillère andine, qui lui font don de capacités nouvelles ; plus haute est la montagne, plus grand est son glacier (la source même de toute fertilité), plus fort sera le chamane. La deuxième fois, le corps est rassemblé. La troisième fois, la personne revient à elle. À présent, elle sait (yachaq) et découvre les objets de pouvoir attestant une relation privilégiée avec les montagnes (cristal de roche, clochette, etc.) qu'elle fera parler dans le rituel. « Être appelé » dit un chamane, c'est « devenir esprit ». Dans cet en-cours, chaque souffle d'air est perçu comme une décharge électrique, chaque battement d'ailes de ses esprits auxiliaires …
p. 150
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Dans cette brève description d'une initiation spirituelle, la métamorphose est condition d'accès à l'apparence humaine des existants non humains. La dévoration et la renaissance consécutive marquent l'adoption par la personne d'une perspective de subjectivité autre. Le chamane est à même de percevoir le monde des esprits, là où la montagne est une tente et les existants des personnes, avec lesquelles il est alors possible d'interagir. Signes et épreuves disent ainsi une réflexivité singulière : l'existence de deux identités relationnelles définies par alliance ou pour le dire autrement, l'idée qu'il puisse y avoir de l'altérité en soi. À condition de dépasser la confrontation avec celle-ci, conçue comme un risque et une menace d'altération — cette autre manière de concevoir la maladie initiatique rapportée dans nombre d'histoires de chamanes —, un dessoulement se produit alors, un ravissement de la personne dans et par sa vision, un « en face » qui regarde dans les yeux. À condition de consentir à ce dépaysement radical et effrayant — un lâcher-prise —, la personne a le sentiment d'être sauvée, soutenue alors qu'elle s'approche dangereusement du fond de l'abîme, cette part de soi non négociable qui autorise toutes sortes de débordements, parfois dévastateurs, souvent salutaires.
p. 144/45
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En Sibérie, chez les Iakoutes, à la veille d'un rituel chamanique, des hommes taillent rapidement des oiseaux dans du bois mort (celui d'un arbre abattu par le vent ou foudroyé) et les accrochent au sommet de perches appelées bylyttar oloxtor, « nuages-sièges » (bylyt, le nuage, est le mouvement, l'errance, l'esprit de la folie aussi).
p.138
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Devenir chamane, c'est partir en quête des esprits ou répondre à leur appel. Devenir chamane procède d'un profond accablement, d'une meurtrissure du corps ou d'une confrontation à des états émotionnels intenses... comme si la personne se plaçait dans une situation de vulnérabilité et de détresse, afin d'apitoyer les esprits et de solliciter leur compassion ; comme si les esprits tourmentaient la personne, la plaçaient dans une situation intenable, sauf à reconnaître leur vouloir. Devenir chamane donc, c'est prendre le risque de l'errance, de celle qui a pour finalité, non pas une accumulation d'informations, mais une ouverture de l'esprit (Kenneth White). C'est consentir à un dépaysement radical et effrayant, à un ensauvagement (au sens d'une présence, non plus à soi et au collectif humain, mais au sauvage et aux existants non humains) au dénouement incertain. C'est accéder à l'altérité dans un crescendo initiatique ou à partir d'une expérience brute, inattendue, qui modifie le devenir ordinaire et ouvre la personne sur l'invisible. Dans ce devenir, il y a l'idée d'un anéantissement suivi d'une recomposition, d'une mort-renaissance, davantage soulignée encore quand l'expérience spirituelle et initiatique s'inscrit dans une logique de construction progressive du corps ; quand la personne est dévorée par les esprits, son corps démembré, puis forgé au feu pour en faire un corps autre...
p. 132
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Trois moments donc constituent et définissent le processus qui mène à la fonction chamanique, différent selon les sociétés, les histoires personnelles aussi. Ces moments, qui coexistent dans l'expérience initiale ou peuvent être clairement déterminés dans leur succession, sont : la vocation, le désir individuel d'être chamane ou la conformité à un choix collectif ; l'élection spirituelle, l'énonciation du devenir ; et l'apprentissage auprès d'un chamane confirmé. Trois modalités d'accès à la fonction chamanique ou vocations, indépendantes de la structure sociale et économique de la société d'appartenance de la personne, peuvent de même être distinguées : par héritage de la fonction, condition insuffisante cependant puisque devenir chamane demeure de l'ordre de l'alliance (il ne suffit pas d'être fils de chamane pour être chamane, c'est la rencontre avec l'aïeul, dépositaire de l'alliance originelle, ou l'esprit transmis par filiation, qui opère la transformation, et c'est l'apprentissage qui prépare à cette rencontre) ; par choix personnel, par attrait pour la fonction et le prestige qui lui est associé, par souci aussi de préserver les siens du malheur ; à travers enfin un ensemble de signes, qu'un chamane ou un parent averti attribuera à la volonté d'un esprit d'entrer en relation avec la personne (à nouer une alliance) et qui l'amènera à énoncer la vocation. Il n'est pas rare, pour devancer (ou encourager) une possible vocation, que l'enfant soit très tôt mis en contact avec les objets et substances chamaniques, puis initié aux techniques rituelles.
p. 126
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