Quand on y pense, chaque fois qu'on prépare quelque chose à manger, on interrompt un cycle vital. On arrache une carotte, on tue un crabe, ou tout simplement on arrête le développement d'une moisissure sur un morceau de fromage. On mitonne des repas avec ces ingrédients et, ce faisant, on donne vie à autre chose.
Pour la mère de Lillian, chaque élément du livre était magique, mais ce qui la ravissait le plus, c'étaient les mots eux-mêmes. Elle recherchait les phrases exquises et les rythmes compliqués, les descriptions qui coulaient en ondulant sur la page comme de la pâte à gâteau dans le moule ; elle lisait à voix haute pour poser les mots dans l'air, où elle pouvait les entendre mais aussi les voir.
Lillian ne tarda pas à comprendre que les couvertures pouvaient annoncer une humeur au même titre que les expressions du visage : sa mère s'enfonçait à tel point dans les profondeurs de ses lectures que la personnalité du personnage principal la nimbait comme un parfum appliqué sans discernement.
Elle prit un morceau de melon entre ses doigts, le roula dans une tranche de viande rose translucide et fit signe à Tom d'ouvrir la bouche. La viande était un murmure de sel contre le fruit dense et sucré. Elle avait le goût d'un été dans un pays chaud, de la peau de Charlie, dans l'arrondi tendre qui reliait son index et son pouce vigoureux. Le vin, par dessus, était vif, comme lorsqu'on remonte prendre de l'air à la surface. Ils mangèrent lentement, de plus en plus lentement, jusqu'à ce que le saladier soit vide.
A la dernière minute, la mère de Margaret éloignait de la casserole la tasse de lait et Lilian regardait la sauce pareille à un champ de neige vierge, dégageant une odeur qui ressemblait à la sensation paisible de fin de maladie, quand le monde redevient doux et accueillant.
- Je veux juste savoir si je dois attendre jusqu'à Thanksgiving pour manger comme ça de nouveau. Et, dans le cas contraire, Thanksgiving sera-t-il toujours aussi exceptionnel ?
Antonia se joignit à eux.
- Non, dit-elle. Et oui.
Il y a de nombreuses formes d'amour. Elles ne sont pas toutes évidentes. Certaines attendent, comme des cadeaux au fond d'un placard, qu'on soit capable de les ouvrir
Les évènements de la vie sont une brindille de plus dans le nid d'instants et de promesses qu'ils avaient construit et les brindilles d'un nid ne sont pas droites
Tu sais, commenta-t-elle en buvant sa dernière goutte de café, j'ai rencontré beaucoup de mecs pour qui faire l'amour c'est comme un dessert : la récompense qu'on reçoit après avoir mangé tous les légumes qui rendent les femmes heureuses. Je crois que je vois les choses un peu différemment, poursuivit-elle sur un ton pensif. Pour moi, faire l'amour, ça devrait être comme un repas. Et voilà comment j'aime manger.
Vous savez - dit Lilian - je me dis toujours qu'une fête ressemble beaucoup à une cuisine. L'important c'est ce qui en sort.