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Critique de 4bis


4bis
10 décembre 2023
Kimberley aurait pu s'appeler Anastasia et s'inscrire avec un peu plus de cohérence dans la fratrie. Arrivée en troisième, après Svetlana et Ludmilla, elle précède de quelques années Lorenzo et Estéban. Oui, même si elle s'était appelée Anastasia, la logique n'y aurait qu'à peine gagné. Disons que l'absence de sens aurait paru un peu moins patent. C'est que, dans la famille de Kimberley, foutraque et foldingue ne sont pas des vains mots. Une mère atteinte d'un bec de lièvre au moins aussi massif que son ego, un père bellissime, nain et définitivement infantile, une grand-mère aux abonnés absents la plupart du temps et Charlie, un grand-père pas beaucoup mieux. Tout ce petit monde vit les uns sur les autres dans une grande barraque qui tient par on ne sait quel miracle. Les enfants sont élevés à la va comme je te pousse et si notre Kim développe d'abord une passion pour la gymnastique synchronisée puis, surtout, pour les poèmes de Charles Baudelaire, ce sont des excentricités qui ne déparent pas au tableau global.

On est un peu chez Anna Gavalda, un peu chez Jean-Baptiste Andrea, chez Kusturica aussi, il y a quelque chose chez les personnages qui rappelle les contes, une définition à gros traits permettant la mise en place de forces et le déploiement d'un récit plein d'adversité et de péripéties. On aura donc un abricotier d'abord adoré puis honni, la folie, celle dont on rit avec incrédulité et fascination quand on en contemple les effets bien à l'abri et celle qui tue, un gala de gym, un amant insatiable, une maquerelle sur le retour, une « bizarre déité, brune comme les nuits (…) Sorcière au flanc d'ébène, enfant des noirs minuits » (« Sed non satiata »), bref tout un attirail pour jalonner le chemin initiatique de Kimberley, de sa naissance à ses 18 ans. Ah oui, et une bande son digne du meilleur dancefloor.

Forcément, avec tout ça, ma lecture de Si tout n'a pas péri avec mon innocence m'a fait penser à un après-midi à la fête foraine. le goût sucré des pommes dégoulinantes de sirop rouge cachant à peine l'acidité de leur chair et le malaise jamais loin à la lecture de cruautés familiales traités avec une apparente légèreté qui n'en souligne que mieux le scandale. Des moments d'exaltation, petit train qui escalade les pentes ardues de l'adversité, force du personnage qui déplace des montagnes, se bat, lutte et parvient souvent à tirer les marrons du feu. Et puis la redescente, celle de la souffrance bien sûr, des drames qui se nouent et de l'histoire de Lorenzo, centrale pour les trois quart du roman. Mais aussi la descente qui vous fait voir l'envers du décor : les arches métalliques pour tenir les paysages peints à la gouache, le bruit des machineries à envoyer du rêve et des bulles. C'est le problème avec les personnages de contes modernes, ils servent souvent une démonstration et j'ai trouvé, surtout dans le dernier tiers du livre, cette dernière outrée. Pas mal de sujets de société y passent, bien trop pour un seul roman, dans une invraisemblance qui n'a plus rien de drôle ou d'efficace mais confine au didactique. Charonne est à ce titre l'emblème d'un personnage sacrifié à la caricature.

Je ressors de cette histoire un peu écoeurée et pas tout à fait convaincue. Reste que la peinture de cette famille complètement déglinguée touche quelque chose et que, sous une écriture parfois racoleuse, on saisit l'intensité d'une douleur qui sonne juste, l'énergie mise en branle pour lui résister, la force vitale qui lui est opposée. Et ça, pour le coup, c'est réussi. Merci à Anna d'avoir mis ce roman sur mon chemin.
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