Et, au-delà même de cette relecture, c’est l’ensemble des outils critiques que l’on se donne pour lire - et jusqu’à la question de savoir ce que signifie l’acte de lire - qui est-ce à repenser. Car il apparaît que le même texte, sans qu’on en change la lettre peut donner lieu à une lecture totalement différente, qui le transforme en un tout autre texte, racontant une autre histoire vécue par d’autres personnages.
Prologue: Le train de Sunderland, p. 19
Il n'y a pas incompatibilité entre la communauté du texte matériel et la diversité des textes singuliers. C'est qu'entre le premier et les seconds est intervenu le sujet de l'inconscient, celui par lequel l’œuvre commune produit des textes singuliers. Si l'existence de cette œuvre commune n'est pas discutable, elle n'en est pas pour autant accessible, faute d'un accès vers le texte qui ne soit pas marqué par la vie psychique du lecteur.
Car tel est bien le sens psychanalytique de la formule sur l'inexistence du texte. En profondeur, et malgré toutes les formulations de compromis visant à laisser croire en une communauté du référent, mon texte n'est pas ton texte, nous ne parlons pas de la même chose. C'est en ce sens précis qu'il n'existe pas un texte mais une multitude, et que l'unicité du texte n'est pas une donnée de fait, mais une fiction à construire.
Car le principe fondateur de la notion de paradigme est de penser le geste critique comme une traversée de l’œuvre, mise au service d'une réflexion du critique sur soi. Comme parlé par l’œuvre – réaménagée en fonction de ses fantasmes et de sa langue personnelle –, devenu l'un de ses personnages, le critique peut travailler, au delà de l'objet textuel oublié, avec le référent majeur de sa recherche : lui-même.
Le propre de la lecture, et a fortiori de la lecture critique, est d'ouvrir des espaces supplémentaires autour de l'œuvre, en jouant de son incomplétude.