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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Le livre d'Oya Baydar aborde des thèmes qui traversent de nombreux romans contemporains : l'usure du couple, la destinée des enfants, la capacité d'un individu à faire face à un drame personnel. Trois voix distinctes s'élèvent dans ce roman, chacune donnant sa lecture de la ruine de l'édifice familial. Ömer et Elif Eren incarnent la réussite d'un couple d'intellectuels. Lui est un écrivain de renom, dont les livres se vendent bien et que la célébrité a presque statufié. Elle est une scientifique connue internationalement et ses travaux font l'objet de communications dans les colloques de biochimie. Cependant l'un et l'autre s'éloignent car ils perdent chaque jour un peu plus de leur goût de vivre et se confrontent au vide intérieur qui grignote lentement leur existence. Quant à Deniz, le fils du couple, il vit presque reclus sur une île norvégienne, refusant le monde et sa cohorte de malheurs et de cruautés. Trois voix brisées qui s'épuisent dans le silence, la parole vraie, profonde s'est depuis longtemps perdue entre ces êtres.
Ömer sent que ce qu'il écrit relève de plus en plus de la recette à succès. Où est l'écrivain engagé d'autrefois ? Où sont la conviction et la sincérité qui donnaient de la force à son oeuvre ? Un soir, dans une gare routière d'Ankara, une jeune femme est blessée et, sans qu'il sache pourquoi, Ömer va apporter son aide à Mahmut et Zelal, un couple de jeunes Kurdes en fuite. Zelal fuit pour échapper à un crime d'honneur et Mahmut tente d'échapper à la vengeance de la guérilla depuis qu'il a déserté. L'écrivain accepte de partir à l'est pour transmettre un message à la famille de Mahmut. Il arrive dans un bourg morne où règne une fausse paix avec la présence armée de la garnison turque. Là, Ömer rencontre Jihan, la pharmacienne, figure de la dignité ancestrale des Kurdes. À son contact, il retrouve une sorte d'acuité qui lui permet de sortir de son apathie et de s'ouvrir à un univers différent du sien.
Elif a trouvé refuge dans ses activités de laboratoire. Expliquer la complexité des mécanismes biologiques est parfois plus facile que de s'interroger sur ce qui grippe les rouages familiaux. Elle s'est imposée par ses travaux scientifiques, mais ne parvient pas à donner une image convenable, lisse de la petite cellule familiale. Son fils Deniz ne suit pas le parcours prestigieux de ses parents. Timide, maladroit en société, peu doué pour les études, il ne sait que faire de sa vie jusqu'au jour où on lui met un appareil photo entre les mains. La question qui taraude Elif et qu'elle ne se pose pas ouvertement est : pourquoi a-t-elle échoué dans son rôle de mère ? Comment a-t-elle élevé un enfant qui ne montre aucun goût pour ce qui est si important pour ses parents ? Chaque fois qu'elle quitte son pays, elle voudrait renouer le dialogue avec son fils, lui rendre visite dans son île lointaine, mais les mots ne franchissent pas ses lèvres. Pourtant, il lui faudra surmonter cet obstacle si elle veut rencontrer son petit-fils.
Deniz Eren est le fils déconstruit du couple. Quand le succès le rattrape enfin, il quitte tout pour aller se réfugier en Norvège, refusant une réussite professionnelle bâtie sur le malheur des autres. Photographe de guerre, il se met à haïr ce métier qui le reconnaît quand il étale la souffrance et les drames d'autrui. Il revient à Istanbul avec sa jeune femme norvégienne dont la simplicité, le naturel heurtent ses parents, membres de la bourgeoisie éclairée d'Istanbul. Voilà donc la femme que s'est choisie leur fils, une étrangère sans culture et sans éducation. Un attentat se produit au coeur d'Istanbul et la lumineuse Ulla est tuée. La parole se tarit chez Deniz puisque son pays le prive à jamais de ce qu'il avait de plus cher en dehors de son fils Björn qu'il va élever seul dans l'île, ultime rempart contre la violence et la cruauté du monde.
Oya Baydar tisse l'intime et l'universel, les trajectoires personnelles et les heurts de l'histoire. En écho à la question kurde qui ensanglante la Turquie depuis près d'un siècle, il y a les vies brisées de Mahmut, Zelal et Jihan, mais aussi de Deniz. À leur manière, Ömer et Elif sont des combattants, ils ont milité pour la démocratie, l'émancipation des femmes, la modernisation de la société. Leur combat a été victorieux, mais bien d'autres combats ont été perdus et leur succès ne peut cacher la vulnérabilité et l'impuissance de beaucoup de leurs semblables. Il faudra la générosité de Jihan pour qu' Ömer comprenne qu'il a encore un rôle à jouer en tant qu'écrivain, que sa parole peut donner une nouvelle voix à son pays. Il faudra le pardon de Deniz pour qu'Elif comprenne qu'une grand-mère peut faire ce qu'une mère n'a pu assumer.
Ce livre, remarquable dans ce qu'il nous conte, l'est aussi dans sa construction et dans son style. Une oeuvre forte, envoûtante et pleine d'espoir.
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Un livre exceptionnel. D'une intensité remarquable. Tout est dans ce livre : l'Etat d'un pays et de ses multiples contradictions, sa culture, son histoire, sa politique et notamment envers les Kurdes, la violence, les attentats, les révoltes, les engagements politiques avec les déceptions qui en découlent. La beauté de ses paysages, mais l'âpreté d'y vivre parfois tant par la géographie, le climat que le poids des traditions et des différentes communautés.
La relation homme femme dans un couple qui se connait si bien, se perd, se retrouve et s'aime au delà de toutes querelles, trahisons et douleurs. La relation filiale des ambitions projetées, des pudeurs déplacées, des non-dits, de l'amour trop en retenue et intellectualisé. La quête de soi que l'on soit adulte ou enfant et adolescent. L'envie d'assouvir ses passions au risque de perdre les siens et sa personnalité profonde.
Tout est là et tout est si fabuleusement dit. Un qualité d'écrit si délicat et forte.
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Waw. Il y avait une éternité que je n'avais pas lu un livre aussi... puissant. C'est certain : Parole perdue est une lecture dont on ne ressort pas indemne. Les thèmes qui y sont abordés sont nombreux, graves et universels - c'est sans doute pourquoi j'ai entrecoupé ma lecture d'autres romans plus légers, histoire de reprendre mon souffle.

A travers ses nombreux personnages, Oya Baydar dresse le portrait d'une Turquie déchirée par un véritable clivage est/ouest, axé autour de la minorité kurde opprimée par l'Etat. L'auteur relève le double défi d'expliquer la situation d'un point de vue politique et global, mais aussi de nous la faire vivre de l'intérieur : elle nous emmène dans les montagnes où vivent et meurent les Kurdes, dans les villages où l'armée a instauré un couvre-feu, dans les maisons du deuil qui ne désemplissent jamais, à la table d'un père qui a perdu son fils. Comme toujours au fil de ces 450 pages, elle mêle l'intime et le public.

Oya Baydar excelle dans l'art de s'insinuer au plus profond des sentiments et des pensées de ses personnages, qui sont éminemment humains, vrais. En se glissant dans leur peau, au détour d'une phrase, elle leur donne un passé, une histoire, des blessures, des forces et des faiblesses : ils existent, peut-être au-delà de ces feuilles de papier. Il est difficile pour moi de vous les décrire en quelques mots car je risquerais de ne pas rendre hommage à leur complexité. Je vais essayer...


Ömer Eren est l'écrivain qui a perdu la parole, qui n'arrive plus à écrire depuis qu'il est l'auteur de best-sellers sans fond. Il a aussi perdu son fils Deniz, qui vit retiré du monde, fatigué d'en affronter la violence, sans même l'avoir combattue. Ömer fait la rencontre de Zelal et Mahmut, un couple de Kurdes qui fuient la montagne en feu et sont victimes d'une balle perdue (beaucoup de choses sont perdues, dans ce roman). Puis de Jiyan, une sorte de déesse de l'Ouest, en révolte permanente. Elif Eren est la femme de l'écrivain, une scientifique de renom qui tue des souris de laboratoire au nom de l'ambition. Les villes aussi ont une voix, qui parfois est un cri. Ces quelques mots sont dérisoires en comparaison avec la richesse des créatures d'Oya Baydar - cette description est tellement restrictive que j'ai envie de vous demander de l'oublier.

En plus du thème dramatique du terrorisme et de l'oppression, Oya Baydar veut nous parler des difficiles relations parents-enfants : les célèbres Ömer et Elif Eren auraient voulu que leur Deniz soit à leur hauteur, devienne un Prix Nobel, un médecin sans frontières, un reporter de guerre, qu'il mène des combats dans notre monde à feu et à sang. Pour eux, il n'est que déception car il a choisi de mener une vie simple, de chercher le bonheur dans le refuge d'une île norvégienne. Voila pourquoi il est un fils perdu. Mais le frère de Zelal, habité par le diable depuis qu'il a rejoint les rangs de la guerilla, n'est-il pas lui aussi un fils perdu ? le frère de Mahmut, tué dans la montagne, n'est-il pas un fils perdu ?

Ömer Eren, poursuivant sa quête de la parole dans l'est de la Turquie, est un étranger dans son propre pays, comme il l'était en voyageant en Suède ou en Chine. Voila un autre fil rouge de ce roman : la peur de l'étranger, le sentiment de rejet, mais aussi le pendant de ces sentiments avec la confiance qui peut naître entre deux inconnus quand on arrive à toucher le coeur de l'autre.

Oya Baydar est envoûtante dans sa manière originale de quitter son rôle de narrateur extérieur pour tout à coup se glisser dans la peau d'un personnage ou l'autre - si cela peut être déstabilisant les premiers instants, ça devient rapidement un atout. Je voudrais encore souligner que chaque dialogue est d'une profondeur incroyable : il n'y a pas un mot inutile, chaque parole est mesurée et atteint une cible.

Il me faut bien vous quitter, alors que ce livre époustouflant pourrait faire parler de lui des heures et des heures. Il soulève tant de questions, tant de débats, il met en lumière une situation - qui d'ailleurs dépasse les frontièrs de la Turquie, loin d'être le seul pays où règne l'oppression - qui devrait nous préoccuper. Il montre ce que c'est que de vivre dans un pays où chaque jour est un combat : peut-on seulement l'imaginer ?

Cette découverte inoubliable, je la dois aux éditions Phébus et à Babelio dans le cadre de son opération Masse Critique : merci à eux !

Lien : http://livraison.over-blog.c..
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Dès le début il faut prêter une grande attention aux personnages: un couple d'intellectuels turcs qui s'éloignent l'un de l'autre un vers l'Est l'autre vers l'Ouest, leur fils parti en Norvège pour les fuir, un jeune couple kurde en rupture de famille. Chacun de ces protagonistes se cherche et cherche une vérité, mais laquelle? L'écrivain, qui a connu elle-même l'exil pour avoir défendu le peuple Kurde durant les années 80, nous emmène dans un voyage initiatique et poétique à la fois. C'est merveilleusement bien écrit et si, comme moi, vous vous laissez bercer par cette musique littéraire vous aurez du mal à le lâcher avant la fin. Un très beau livre!
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