– Ils me demandent pour être nourrice !
Louarn devint sombre. Ses joues plates, couleur de la mauvaise terre blanche qu’il remuait, se creusèrent :
– Qui donc ? fit-il.
– Des gens ; je ne sais pas : leur nom est là. Mais le médecin, c’est celui de Saint-Brieuc.
– Et quand donc tu partirais ?
Elle baissa le front vers la table, voyant combien Louarn était troublé.
– Demain matin. Ils me disent de prendre le premier train... Vrai, je ne m’y attendais plus, mon homme !...
L’idée leur était venue, en effet, avant la naissance de Joël, que Donatienne pourrait trouver une place de nourrice, comme tant d’autres parentes ou voisines du pays, et la jeune femme était allée voir le médecin de Saint-Brieuc, qui avait pris le nom et l’adresse. Mais, depuis huit mois, n’ayant pas eu de réponse, ils croyaient la demande oubliée. Le mari seul en avait reparlé, une ou deux fois, pour dire, au temps de la moisson : « C’est bien heureux qu’ils n’aient pas voulu de toi, Donatienne ! Comment aurais-je fait, tout seul ! »
– Je ne m’y attendais plus ! répétait la petite Bretonne, le visage éclairé en dessous par la chandelle. Non, vraiment, cela me fait une surprise !...
Et voilà que, malgré elle, son cœur s’était mis à battre. Le sang lui montait aux joues. Une joie confuse, dont elle avait honte, lui venait de ce papier blanc qu’elle regardait maintenant sans rien lire : c’était comme une trêve à sa misère, qui lui était offerte, une délivrance des soucis de sa vie de paysanne obligée de nourrir l’homme, de s’occuper sans repos des enfants et des bêtes.