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EAN : 9782365750318
237 pages
Marivole Editions (18/01/2013)
4.15/5   30 notes
Résumé :
Au-delà de l'Alsace, ce drame familial, aux origines culturelles et politiques, n'est-il pas, hélas, vécu encore aujourd'hui par des populations désireuses de rester fidèles à leurs traditions !
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Il existe des rencontres qui marquent une vie de lectrice. J'apparente cette expérience au coup de foudre, ce sentiment immédiat, à l'inattendu qui surgit dès les premières lignes d'un roman. Ce sont des instants émotionnels rares mais inoubliables, des instants que j'ai vécu en découvrant Proust, Bounine, Simon, Zweig et aujourd'hui René Bazin.

René Bazin est le grand-oncle d'Hervé Bazin, l'auteur de Vipère au poing. Elu à l'Académie Française en 1903, plusieurs fois couronné par cette dernière, il connaît un succès grandissant en publiant surtout des romans mais aussi des récits de voyage. Il devient l'un des auteurs les plus lus de sa génération et connait la gloire jusqu'à l'international, Après la Libération, les aspirations des lecteurs changent avec le monde de l'après guerre, il connaît petit à petit la mise au placard.

René Bazin est né le 26 décembre 1853 à Angers. Juriste de formation, professeur de droit criminel en 1882 à la faculté catholique d'Angers, il glisse par la suite, vers le milieu journalistique local, tremplin qui l'amène à suivre des expéditions vers des terres lointaines d'où sont tirés ses récits de voyages qui lui procurent une grande notoriété. Il a dans ses relations des personnalités alsaciennes qui lui parlent du drame que vit l'Alsace. Poussé par la passion de la découverte, il se rend en Alsace. Fin observateur, son séjour va lui inspirer Les Oberlé. Ce roman lui ouvre les portes de l'Académie. Il est considéré comme son chef d'oeuvre.

La famille Oberlé réside dans le village imaginaire d'Alsheim, situé dans les Vosges, pas très loin d'Obernai. Nous sommes fin du 19ème siècle, peut-être début du 20ème. La guerre de 1870 est passée par là avec son humiliante défaite et l'Alsace est passée sous domination allemande. le grand-père Philippe Oberlé, le patriarche, a fondé l'entreprise forestière florissante Oberlé. Grand opposant à la germanisation de l'Alsace, il est nommé député protestataire au Reichstag, à Berlin. Très absorbé par ses fonctions, il laisse les rênes de l'entreprise à son fils Joseph Oberlé qui va tenter, pendant dix ans, de suivre les consignes de son père. le temps aidant, Joseph estime qu'il faut vivre avec son époque. Il va donner de plus en plus de gages de sa loyauté à l'Allemagne. Il va jusqu'à licencier les ouvriers français qui refusent de travailler sur les commandes destinées aux allemands. En lieu et place, Il embauche des ouvriers allemands. Toutes ces garanties lui ouvriront les portes de la députation avec le soutien du préfet de Strasbourg.
Considéré comme un renégat par tout le village et ses alentours, il n'a de cesse de se justifier auprès de son épouse, Monique. Elle est, elle-même, fermement opposée à la domination allemande et est, en cela, un grand soutien pour son beau-père. Quant à l'aïeul, trahit par son propre fils, diminué par l'âge, la maladie, il n'est plus qu'une une ombre qui ne dit plus mot et se désespère de voir ce que sa maison est devenue.
Monique et Joseph Oberlé ont deux enfants, Lucienne qui est l'alliée et la confidente de son père avec qui elle partage les mêmes intérêts, les mêmes objectifs.

Et il y a Jean Oberlé, le fils, de retour à Alsheim, Jean a fait ses études de droit à Berlin. Il revient avec l'idée de reprendre l'exploitation forestière. Il a eu le temps de se forger sa propre opinion et il est avant tout un Alsacien, très attaché à ses racines, fier de son pays qui est et reste la France.

Il faut lire et se représenter le premier repas de famille qui se tient au retour de Jean. La tension est palpable, elle se dégage de l'écriture tant l'auteur sait peindre les divergences, le malaise qui règne autour de la table, le pauvre Philippe Oberlé qui n'est plus qu'une ombre, réduit à écrire maladroitement sur une ardoise, Madame Oberlé qui se tait mais qui n'en pense pas moins, totalement écrasée par son mari, Lucienne qui se demande comment apprivoiser son frère et Jean qui découvre une famille déchirée. C'est saisissant de réalisme !

L'auteur fait preuve d'une grande empathie avec ses personnages, de sa prose se dégage son acuité sensorielle qu'il sait nous communiquer pour mieux nous entraîner dans cette atmosphère délétère.

Chaque personnage joue sa partition, jour après jour, avec ses convictions, s'opposant les uns aux autres jusqu'à ce que l'amour vienne compliquer et accentuer un peu plus l'aspect dramatique de la situation. Les regards s'affrontent, se déchirent entre les Alsaciens pro- français, les Alsaciens opportunistes et les Allemands, une peinture tout à fait réaliste de cette Alsace blessée. Pour bien saisir l'essence même de ce conflit, les passions exacerbées, il est important de se reporter à la défaite de 1870 et de replacer le roman dans cette période qui annonce 14/18.

Je ne saurais expliquer pourquoi mais « le silence de la mer » de Vercors (seconde guerre mondiale) est venu s'imposer à moi.

Dès les premières lignes, j'ai éprouvé un immense plaisir de découvrir l'écriture de René Bazin. Il possède ce style si élégant de cette fin de siècle que j'apprécie chez Flaubert et Maupassant ; une syntaxe impeccable qui rend la lecture fluide et qui donne une compréhension immédiate, une richesse du vocabulaire, une précision dans les détails, une analyse psychologique d'une grande finesse à la Zweig. J'ai été subjuguée par la façon dont les personnalités, les états d'âme sont parfaitement dessinés, disséqués, y compris pour les personnes du voisinage. Nonobstant la beauté du style, ce récit prend valeur de témoignage. le roman s'inscrit bien dans l'atmosphère de l'époque, il décrit magistralement, avec toutes les nuances nécessaires, l'Alsace sous l'occupation allemande au début du 20ème siècle.
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Je connaissais bien sûr Hervé Bazin, auteur, entre autres, du célèbre Vipère au poing. J'ai découvert avec ce livre, son grand-oncle René. Cette découverte, je la dois à Martine (enjie77) qui a su me convaincre par son retour magnifique.

Nous sommes en Alsace, dans cette période sombre pour cette région, où elle est devenue allemande. Quelque part entre la fin du XIXème siècle et le début du XXème. Jean, après ses années d'étude en Allemagne, rentre dans son village, Alsheim, non loin d'Obernai. Il y retrouve une famille déchirée, dont les membres cohabitent dans une tension pesante, entre pro et anti-allemands, entre nostalgiques de la France et partisans du futur, qu'ils pensent incarné par l'Allemagne. On trouve d'un coté le grand-père, jadis député contestataire au Reichstag, la mère qui n'a cependant pas le droit à la parole, contrainte à l'obéissance et à l'effacement par son mari et de l'autre le père, tout puissant dans sa maison, même devant son propre père, qui rêve lui aussi de députation, mais pas dans les rangs des réfractaires… Et puis la fille, la soeur de Jean, ralliée aux opinions de son père, par facilité je dirais, par gout pour les brillantes réceptions et bientôt par amour.

Le village est lui aussi divisé et la reprise de la vie au sein de cette communauté n'est pas facile pour Jean qui découvre que les opinions et agissements de son père y ont creusé bien des inimitiés, le rendant indésirable au sein de familles jadis amies.

René Bazin excelle à montrer les tensions, expliquant dans une description pleine de nuances les enjeux qui dictent à chacun ses actions, son comportement. Pour certains vivre au mieux avec les allemands, commercer avec eux c'est aller vers l'avenir, permettre à la région de se développer. Pour les autres, c'est se renier, oublier qui ils sont, leur appartenance profonde à la terre de France qu'ils ne peuvent oublier. Cette tension s'exacerbe au sein de cette famille quand les désirs du frère et de la soeur pour leur vie future deviendront inconciliables. Et des choix, difficiles devront être faits.

J'ai beaucoup aimé ce texte que j'ai écouté. le ton du narrateur met bien en valeur l'écriture fluide, élégante de l'auteur. Claire, limpide (au contraire de l'autre lecture que j'avais en parallèle, mes compagnons de LC me comprendront), elle m'a séduite aussi bien dans l'aspect psychologique, l'analyse des personnages, de leurs sentiments, de leurs réactions, que dans la description de la nature, magnifique de l'Alsace. Ces paysages, ces atmosphères sont merveilleusement bien évoqués par les mots de l'auteur. Des phrases qui paraissent toutes simples, mais sont si belles et font naitre les images dans notre esprit et des étoiles au fond de nos yeux.
Une merveilleuse surprise. Merci Martine :-)


Rene_Bazin_-_Les_Oberle.zip
Daniel Luttringer
https://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/rene-bazin-les-oberle.html
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Après Donatienne, je poursuis ma découverte de René Bazin, et suis là encore éblouie par sa plume.
"Les Oberlé" met en lumière, à l'aube naissante du 20ème siècle, les déchirements de la population alsacienne annexée depuis trente ans par l'Allemagne. Symbole de ces déchirements, la famille Oberlé vit le drame intestin d'un clan dont les membres ont choisi des camps divergents : Jospeh Oberlé, le père, tout puissant industriel qui règne en maître sur son foyer, a pris avec sa fille le parti de l'Allemagne et ourdit avec elle le projet de la marier à un prometteur lieutenant allemand bien né qui leur assurera la position sociale dans ce nouveau monde. Reclus dans sa chambre de malade, le grand-père fulmine et jette ses dernières forces dans le refus de cette trahison pendant que sa belle-fille, épouse soumise de Joseph, pleure en silence son attachement sali à la terre alsacienne. Ecartelé entre ces oppositions, Jean, le fils, tout juste rentré du service militaire en Allemagne, regarde vers la France...
Trois positions qui s'opposent dans ce roman tout en tensions intimes : l'Allemagne, la France et l'Alsace, cette dernière étant le véritable personnage central, évoquée avec une sensibilité émouvante dans tous ses paysages et ses saveurs.
Beau et lourd roman certes daté mais qui évoque avec finesse une page d'histoire douloureuse qu ne peut que laisser des traces.
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Famille, honneur, patrie.
Voilà les trois mots clés de ce livre, toute l'histoire s'articule autour de ces trois valeurs, et ce sont elles qui vont déchirer la famille Oberlé.
Nous sommes à la fin du XIXe siècle dans une Alsace conquise et annexée par l'ennemi Allemand depuis plusieurs années déjà. Les habitants de ces hautes terres cohabitent tant bien que mal avec l'occupant, mais aussi entre eux car tous les alsaciens n'ont pas tous choisi le même camp ; certains sont restés fidèle à la France, d'autre ont prêté allégeance à l'Allemagne.

C'est le cas des Oberlé ; Joseph le père est un industriel fortuné (héritage de la scierie de son père) tout à la solde des Prussiens et n'ayant comme vue que son ascension politique et financière, la fille Lucienne à l'image de son père s'est totalement accommodé de ce joug et considère l'Allemagne comme l'avenir, puis il y a la mère, le grand père paternel et le fils Jean, tout trois révoltés et profondément affligés par ce déracinement.
L'atmosphère dans la maison des Oberlé est tendue, l'incompréhension règne et les disputes sont de plus en plus fréquentes. Même dans le village les relations sont tendues depuis que le père a décidé de travailler ouvertement avec l'occupant.
Lorsque Jean formera le projet d'épouser une jeune alsacienne du village, tandis que sa soeur est promise à un officier Prussien, la situation deviendra sans issue...
Famille déchirée, pays divisé, honneur en jeu.. Tout y est.

Je ne connaissais absolument pas René Bazin avant de tomber sur ce livre dans ma bibliothèque numérique. J'ai adoré sa plume très fluide et vivante, et surtout cette histoire. Moi qui avait justement envie de lire des livres en lien direct avec la guerre franco-prussienne depuis un moment sans jamais trouver, j'ai été absolument ravie. Plus encore, moi qui aime tant les sagas familiales (même si celle si se déroule une très courte période) !
Mais le plus marquant dans ce livre ça été les descriptions de l'Alsace. L'auteur nous fait littéralement voyager à travers les forêts, les plaines, les montagnes et les villages de cette belle région avec une incroyable poésie.
Absolument superbe et dépaysant.

Et puis l'histoire de cette famille m'a touchée bien sûr. Mais surtout à travers eux on apprend ce que furent les dilemmes des Alsaciens durant cette période trouble. Aucun des personnages c'est ni tout noir ni tout blanc, chacun est plein de nuances et de complexité quelque soit son camp et c'est un point très appréciable.
Une vraie belle découverte.
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Ce roman m'a permis de découvrir que, dans la famille Bazin ,il n'y avait pas qu' Hervé comme écrivain puisque René Bazin est son oncle ( c'était la minute "Gala"!)

On est au début des années 1900, en Alsace, une Alsace meurtrie et divisée depuis que les Allemands l'ont conquise à la suite de la guerre de 1870. La population se scinde en deux groupes ceux qui refusent l' Allemand et ceux qui s'en accommodent .

La famille Oberlé est une famille bourgeoise, installée dans les Vosges. le grand-père a monté une entreprise de bois que son fils a agrandi. le petit- fils est de retour après un long moment passé en Allemagne pour être éduquer et instruit, un choix du père qui a fortement contrarié l'aïeul et la mère, l'un étant trop vieux pour s'opposer, l'autre n'ayant pas le droit à la parole. le père en patriarche de l'époque est le pilier de la famille et des décisions, si sa fille lui est acquise il ne sait trop de quel côté balance son fils. Les fiançailles de la demoiselle vont être l'occasion pour chacun d'affirmer son opinion.

J'ai lu ce roman avec facilité et plaisir alors que le sujet est quand même daté mais la plume est belle et les paysages d''Alsace somptueux . Par certains côté , il me fait penser à " le silence de la mer" de Vercors en plus vivant car là, l'auteur nous promène joyeusement sur les terres et les coutumes de la région.

Une belle découverte .

Lien : http://theetlivres.eklablog...
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Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
Alsheim - Alsace sous domination allemande, avant 1900

L'homme qui dormait ou veillait là était un impotent. Chez lui, la vie se retirait de plus en plus à l'intérieur. Il marchait et remuait difficilement. Il ne parlait plus. Au-dessous des joues épaisses et pâles, la bouche ne s'agitait plus que pour manger et pour dire trois mots, trois cris, toujours les mêmes : "Faim ! Soif ! Va-t'en!". Une sorte de paresse sénile laissait pendre cette mâchoire puissante qui avait commandé à beaucoup d'hommes. M. Ulrich et Jean s'approchèrent jusqu'au milieu de la chambre, sans qu'il eût donné le moindre signe révélant qu'il avait conscience de leur présence. Cette pauvre ruine humaine était cependant le même homme qui avait fondé l'usine à Alsheim, qui s'était élevé au-dessus de la condition de petit propriétaire campagnard, qu'on avait élu député protestataire, qu'on avait vu et entendu au Reichstag, revendiquer les droits méconnus de l'Alsace et demander justice pour elle au prince de Bismarck. L'intelligence veillait, prisonnière, comme la flamme qui éclairait la chambre cette nuit : elle ne s'exprimait plus. Dans ce songe ininterrompu, que d'hommes et que de choses devaient passer devant celui qui connaissait l'Alsace entière, qui l'avait parcourue en tous sens, qui avait bu ses vins blancs à toutes les tables de riches et de pauvres, voyageur, marchand, forestier, patriote !... Et c'était lui, cette tête chauve et ridée, ce visage tombant, ces paupières appesanties, entre lesquelles glissait, semblable à une bille dans la fente immobile d'un grelot, un œil lent et triste!

Cependant, les deux visiteurs eurent l'impression que le regard s'arrêtait sur eux avec une complaisance inaccoutumée. Ils se turent, pour laisser l'ancien à la douceur d'une pensée qu'ils ignoreraient éternellement. Puis l'oncle Ulrich s'approcha du lit, et posant la main sur le bras de Philippe Oberlé, se baissant un peu, pour être plus près de l'oreille, pour mieux rencontrer aussi les yeux qui se levaient avec effort :

- Nous venons de causer longuement, monsieur Oberlé, votre petit-fils et moi...... C'est un brave garçon, votre Jean!

Un mouvement de tout le buste, lentement, déplaça la tête de l'ancien qui cherchait à voir son petit-fils :

- Un brave garçon, reprit le forestier, que le séjour à Berlin n'a pas gâté. Il est demeuré digne de vous, un Alsacien, un patriote. Il vous fait honneur.

pages 21 et 22
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l'Alsace sous domination allemande toute fin du 19ème siècle :

- J'ai l'intention, reprit Jean, comme s'il déclarait une résolution grave, j'ai l'intention de monter après-demain à Sainte-Odile... J'irai entendre les cloches annoncer Pâques ... Si vous demandiez la permission d'y venir, de votre côté...

Vous avez donc fait un vœu ?

Il répondit :

- A peu près Odile : il faut que je vous parle, à vous seule...

Odile se recula d'un pas. Avec une sorte d'effroi dans le regard, elle chercha à voir sur le visage de Jean s'il disait vrai, si elle devinait bien. Lui aussi, il la considérait avec angoisse. Ils étaient immobiles, frémissants, et si près et si loin l'un de l'autre à la fois, qu'on eût dit qu'ils se menaçaient. Et, en effet, chacun d'eux avait le sentiment qu'il jouait le repos de sa vie. Ce n'étaient point des enfants, mais un homme et une femme de race forte et passionnée. Toutes les puissances de leur être se déclaraient et rompaient avec la banalité des usages, parce que, dans ces simples mots : "Il faut que je vous parle", Odile avait entendu passer le souffle d'une âme qui se donnait et qui demandait un retour.

page 101
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La lune se levait au-dessus des brumes du Rhin. Un homme qui descendait, en ce moment, par un sentier des Vosges, grand chasseur, grand promeneur, à qui rien n'échappait, venait de l'apercevoir dans l'échancrure des futaies. Il était aussitôt rentré dans l'ombre des sapinières. Mais ce simple coup d'oeil jeté, au passage d'une clairière, sur la nuit qui devenait lumineuse, avait suffi pour lui rappeler la beauté de cette nature où il vivait. L;homme tressaillit de plaisir. Le temps était froid et calme. Un peu de brume montait aussi des ravins. Elle ne portait point encore le parfum des jonquilles et des fraisiers sauvages, mais l'autre seulement qui n'a pas de nom et pas de saison : le parfum des résines, des feuilles mortes, des gazons reverdis, des écorces soulevées sur la peau neuve des arbres, et l'haleine de cette fleur éternelle qu'est la mousse des bois. Le voyageur respira profondément cette senteur qu'il aimait : il la but à grands traits, la bouche ouverte, pendant plus de dix pas, et, si habitué qu'il fût à cette fête nocturne de la forêt, lueurs du ciel, parfums de la terre, frémissements de la vie silencieuse, il dit à demi-voix : "Bravo, l'hiver! Bravo, les Vosges! Ils n'ont pas pu vous gâter!" Et il mit sa canne sous son bras, afin de faire moins de bruit encore sur le sable et sur les aiguilles de sapin du sentier en lacet, puis, détournant la tête :
"Trotte avec précaution, Fidèle, mon bon ami : c'est trop beau!"
A trois pas derrière, trottait un épagneul haut sur pattes, efflanqué, fin de museau comme un lévrier, qui paraissait tout gris, mais qui était, en plein jour, feu et café au lait, avec des franges de poils souples dessinant la ligne de ses pattes, de son ventre, de sa queue. La bonne bête eut l'air de comprendre son maître, car elle continua de le suivre, sans faire plus de bruit que la lune, qui glissait sur les aigrettes des sapins.
Bientôt la lumière pénétra entre les branches, émietta l'ombre ou la balaya par larges places, s'allongea sur les pentes, enveloppa les troncs d'arbres ou les étoila, et, toute froide, imprécise et bleue, créa, avec les mêmes arbres, un forêt nouvelle que le jour ne connaissait pas. Création immense, enchanteresse et rapide. Dix minutes y suffirent. Pas un frisson ne l'annonça. M. Ulrich continua de descendre, saisi d'une émotion grandissante, se baissant quelquefois pour mieux voir les sous-bois, se penchant au-dessus des ravins, le coeur battant, la tête aux aguets, comme les chevreuils qui devaient, à cette heure-là, quitter les combes et gagner le pacage.
Ce voyageur enthousiaste et jeune encore d'esprit n'était cependant plus un homme jeune. M. Ulrich Biehler - qu'on appelait partout, dans la contrée, M. Ulrich - avait soixante ans, et ses cheveux et sa barbe, d'un gris presque blanc, en témoignaient; mais il avait eu plus de jeunesse que d'autres, comme on a plus de bravoure ou de beauté, et il en avait gardé quelque chose.
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Les oiseaux de nuit, hiboux, orfraies, grands-ducs et moyens-ducs, mêlant leurs cris, descendaient de futaie en futaie. Pendant un quart d’heure, le temps de leur chemin qu’ils faisaient par grands vols, leurs appels retentirent sur les flancs de la montagne. Puis le silence complet s’établit. La paix monta enfin, avec le parfum des forêts endormies
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La nuit avait une moiteur singulière. Pas un nuage. Un croissant de lune, des étoiles par milliers ; mais, entre ciel et terre, un voile de brume était tendu, qui n’arrêtait pas la lumière, mais la dispersait, de telle sorte qu’il n’y avait aucun objet qui fût vraiment dans l’ombre et aucun qui fût brillant. Une atmosphère nacrée enveloppait les choses.
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