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EAN : 9782266022675
Pocket (09/09/1998)
4.09/5   33 notes
Résumé :

LA TERRE QUI MEURT : roman du malaise paysan ? roman de l'échec de l'autorité paternelle ? ou encore celui d'un amour contrarié par le refus de l'étranger ? Tout cela sans doute, mais surtout un livre qui révéla, voici cent ans, et fait voir encore de nos jours cette partie maritime de la Vendée, le Marais, dans tous ses aspects particuliers : closeries secrètes et fermes entourées d'étiers, coutumes des journées laborieuses et des soirées de détente, ho... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Il est de bon ton pour certains esprits forts de se gausser des écrivains dits "régionalistes" . Tous ces Gilbert Bordes, ces Claude Michelet,ces Yves Viollier, ne parlons pas des Clavel ou Ragon, n'écriraient pas de "vrais" livres . Il ne serait de "vraie" littérature que confectionnée au plus près du 6e arrondissement parisien, et si possible formatée pour atteindre à l'universel ! Marseille, Bordeaux et Lyon pouvant, à la rigueur enfanter quelques passables écrivaillons. Alors , qu'en sus , le roman régionaliste aborde une thématique paysanne, et, cerise sur le Kouign-Amann , que son auteur soit catalogué comme catholique , c'est carrément la mise à l'index du Moônnde des Livres !
Nul doute que "La terre qui meurt" de René Bazin ne réunisse tous ces attributs. Faîtes l'expérience : annoncez à vos amis , " je suis en train de lire "La terre qui meurt" ! (je l'ai tentée avec trois ami (es) dont un est prof des écoles ) les réflexions les plus amènes pointeront le conservatisme de l'auteur (un catho angevin ! ) , insisteront sur : "plus personne lit ça" , remarqueront fielleusement : " ah la terre qui ne ment pas elle ! Pétain et le toutim..." .
Et pourtant ! et pourtant... N'écoutant que mon courage et ayant toujours aimé vivre dangereusement , j'ai quand même bravé les idées reçues et entamé la lecture de "La terre qui meurt" en ayant cependant pris soin de recouvrir le livre d'une jaquette d'un poche de Christine Angot ; il n'était pas question que dans le bus de Challans à Nantes je fusse démasqué et confronté honteusement à mon "passéïsme" . J'habite certes à sept kilomètres de Sallertaine, le village du Marais breton où Bazin situe l'action de son livre, mais que voulez-vous ? la Vendée a bien changé ! on donne même des concerts de rap à Sallertaine aujourd'hui ! Toussaint Lumineau, le vieux Lumineau de la ferme de la Fromentière doit se retourner dans sa tombe :-)
Ce livre à sa parution (1898) a pourtant eu un succès immédiat. Il s'ajustait au plus près des problématiques de l'époque. La France changeait. Nul mieux que le sociologue et historien américain, Eugen Weber, dans "La fin des terroirs" n'a décrit les bouleversements qui ont travaillé le pays à la jointure des deux siècles : exode rural, essor des chemins de fer et de l'industrie, délitement des liens familiaux, déchristianisation, importance du service militaire par son brassage social, abandon des patois et des langues régionales au profit du français.... Tout cela on le retrouve dans "La terre qui meurt". C'est en cela que ce livre est "moderne" et non par son "histoire" qui n'est qu'un décalque "rustique" de Roméo et Juliette.

René Bazin situe donc son roman dans le Marais breton ; une terre plate et ouverte en opposition depuis toujours avec "le bocage" , le pays vendéen situé plus à l'est . Toussaint Lumineau est le métayer de la ferme de la Fromentière. Il n'est plus tout jeune et il voudrait qu' un de ses fils reprenne la ferme. Mais c'est sans compter sur l'attrait de la modernité. Un de ses fils va le quitter pour entrer dans les chemins de fer, et l'autre , revenu du service militaire qu'il a passé en Algérie, va s'exiler en Amérique . Il y a bien sûr encore sa fille , Roussille, qui, si elle se mariait pourrait reprendre l'exploitation, mais son promis est le valet de ferme. Ce n'est pas tant le fait que Jean Nesmy soit valet qui dérange Toussaint Lumineau, mais que ce soit un boquin ! un sacré damnion de boquin du bocage ! où l'on voit que même les guerres civiles de la Révolution, vieilles de cent ans à l'époque, n'ont pas réussi a éteindre les vieux antagonismes alors que ces deux "pays" ont autant souffert l'un que l'autre des excès des "patauds".
Je peux vous dévoiler la fin. Elle ne surprendra personne : Roussille épousera Jean, ils reprendront la métairie, et ils auront beaucoup d'enfants. Non j'extrapole , René Bazin arrête son roman juste avant le mariage ..!
Ce livre est l'illustration accomplie des difficultés que rencontre le monde paysan a l'aube du XXe siècle. Tout ce que le vieux Lumineau considérait comme immuable s'écroule et se délite. A cet égard ,symbolique est la vente aux enchères des biens du château qui occupe un chapitre entier. le marquis de la Fromentière, propriétaire de la ferme du même nom, est ruiné. Ses bien sont dispersés, achetés par les gens des villes : " Il était venu du monde de très loin, des marchands de curiosités de Nantes, de la Rochelle, de Paris ". C'est bien un monde qui meurt , le "Monde d'hier". le monde paysan . Un monde rétif au changement qui puisait sa force dans la réitération de gestes et de fidélités renouvelés à chaque génération. Désormais la ville règne sans partage, et c'est elle qui dictera sa loi.
Cette lutte finale est bientôt terminée. Aujourd'hui le monde paysan est à l'agonie. Les villes plus imposantes que jamais règnent sur des "hinterland" désertés. Un paysan se suicide tous les jours. Ceux qui restent meurent empoisonnés par leurs épandages....
René Bazin, ce bourgeois catho, ce prof de droit à la Faculté Catholique d'Angers, cet académicien ...Quel visionnaire quand même :-)
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La Terre qui meurt /René Bazin
Tandis qu'il s'active dans son champ, Toussaint Lumineau, métayer maraîchin, voit venir à lui le garde régisseur du marquis de Fromentière. Il dit venir suite à l'insistance du marquis pour percevoir deux mois de retard de redevances de fermage qui lui sont dus. Pour Lumineau, dans ce marais vendéen, la vie est dure. Veuf depuis trois années, il a élevé cinq enfants dont l'aîné âgé de trente ans, Mathurin, est devenu infirme accidentellement alors qu'il allait se marier avec Félicité Gauvrit d'une closerie voisine. Il sait que le marquis qui a toujours été compréhensif avec lui est parti vivre à Paris et ne revient que rarement à la Fromentière.
Et le garde ajoute qu'il a vu Jean Nesmy, le valet de Lumineau, un braconnier avéré issu d'une misérable closerie, traîner sur les voyettes en compagnie de Marie-Rose, sa dernière fille, une jolie sauvageonne de vingt ans. Il le met en garde contre cette mauvaise fréquentation.
Toussaint pense demander à son fils cadet François de lui prêter de quoi payer le dû. Devant le refus de François, c'est Marie-Rose qui propose à son père sa part d'héritage que gère sa vieille tante Adélaïde.
Pour Toussaint, un mariage entre Marie-Rose et Jean Nesmy est absolument inenvisageable et il le lui fait savoir sèchement et le chasse de la ferme. Jean Nesmy promet de revenir. Marie-Rose fait ses confidences à sa tante Adélaïde.
À quelques temps de là, François annonce à son père qu'il veut être son maître et gagner pour lui. Il a reçu un avis favorable pour être embauché dans les chemins de fer. le départ de François avec Éléonore pour La Roche sur Yon laisse Toussaint abasourdi. Heureusement le retour d'Algérie d'André lui apporte un peu de baume au coeur.
Mais André voit bien que les temps ont changé. Il explique à ceux qui l'entourent que s'ils lisaient les journaux comme il le fait , ils sauraient que maintenant tout est apporté de l'étranger , à meilleur compte qu'on ne peut le produire , le blé , l'avoine , les chevaux , les boeufs , et qu'il y a , contre eux , les Américains , les Australiens , et qu'il y aura bientôt les Japonais , les Chinois …Visionnaire André ! Ce qui paraissait immuable pour le vieux Toussaint est en train de s'écrouler.
Dans ce magnifique roman paru en 1898 et qui connut un succès immédiat, René Bazin, vendéen de naissance et écrivain régionaliste, met en lumière le malaise paysan et célèbre la paysannerie de façon magistrale tout en faisant le constat d'une mutation irréversible. Peut-on parler vraiment d'échec de l'autorité paternelle ou bien plutôt de clairvoyance filiale ? L'esprit de caste séparant maraichins (ceux du marais) et boquins (ceux du bocage) est omniprésent, créant des rancoeurs et contrariant des amours d'adolescents. Les descriptions émouvantes du Marais vendéen avec ses closeries vivant en autarcie et ses fermes entourées d'étiers, la valorisation du travail de la terre et l'entrée dans la vie intime de la famille Lumineau sont particulièrement évocatrices. Violence et générosité, joies simples et peines irrépressibles alternent dans ce roman du terroir pour un dénouement fatal. Une véritable saga de la condition paysanne avec en filigrane le changement d'époque, le délitement des liens familiaux et la désertion des campagnes au siècle dernier, le tout dans un très beau style poétique, et avec des personnages forts, charismatiques et vrais.
Aujourd'hui, on assiste un peu à la suite de ce que Bazin, visionnaire, a bien su mettre en lumière ici et la lutte des paysans semble désespérée : le monde rural est à l'agonie Un paysan se suicide tous les deux jours…
Un chef d'oeuvre.
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« La Terre Qui Meurt » est indéniablement un chef d'oeuvre, d'abord de par une intrigue quasiment shakespearienne, d'un académisme flamboyant, qui se trouve transposée avec un étonnant réalisme dans un terroir vendéen. Les personnages y sont forts, intenses, crédibles, et nous parlent encore bien des années plus tard.
C'est aussi le récit d'une terre qui meurt de sa belle mort, à l'image de Mathurin, l'enfant du terroir aussi handicapé que sa ruralité d'un autre âge, qui meurt d'avoir couru après un rêve impossible. Bazin célèbre la paysannerie, mais ne s'illusionne pas sur la fin effective d'une certaine ruralité française somme tout assez égoïste, très centrée sur elle-même et trop préoccupée de son image et de sa postérité. On se serait attendu à une oeuvre plus militante, mais il faut croire que le maréchal Pétain lui-même n'a rien compris à ce livre. En effet, il n'est pas question ici d'un retour à la terre, mais du désespoir d'en vivre et de la difficulté même d'y survivre. René Bazin ne juge pas ses personnages, auxquels il trouve à tous d'assez tendres circonstances atténuantes. Il se contente de faire le constat d'un monde en mutation, tout en attribuant la principale responsabilité de cette mutation à la terre elle-même, à laquelle on a peut-être trop demandé et trop longtemps.
Au-delà de sa narration, « La Terre Qui Meurt » est surtout une merveilleuse évocation d'une paysannerie aujourd'hui révolue, qui vivait en autarcie fusionnelle avec la nature. René Bazin déploie d'ailleurs sa plus belle plume pour décrire la nature environnante, dans ce qu'elle a de plus magnifique. Ce roman n'est pas seulement une histoire, c'est aussi une peinture, celle d'un village, d'une ferme, d'une région que l'auteur décrit avec joliesse et poésie.
Avec le temps « La Terre Qui Meurt » est devenu un roman emblématique de la Vendée, ce qui lui a plutôt nui qu'autre chose, car le roman ne porte pas forcément les valeurs de son auteur ou de cette région. L'action ou les personnages auraient pu être transposés dans n'importe quelle autre campagne rurale de France. le roman plaide même pour l'acceptation soumise à ce que les générations se succèdent sans forcément se ressembler. Ni progressiste ni réactionnaire militant, ce roman ne se veut rien d'autre que le constat d'un inéluctable changement d'époque, et des extrêmes difficultés de ceux qui le traversent, tant les vieillards qui s'accrochent à leurs valeurs traditionnelles que les jeunes gens qui aspirent à d'autres modes de vie. Sur ce plan-là, c'est un roman universel, sans réel message politique, âpre et réaliste comme la vie rurale elle-même, parfois nostalgique et attendri comme nous le sommes tous un peu…
Lien : https://mortefontaine.wordpr..
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Bazin René
La terre qui meurt
Un livre sur la France profonde, la terre qui disparaît.
Une famille les Luminaux, qui sont attachés à leur terre depuis plusieurs générations. Mais faute de bonnes récoltes ils sont presque à la ruine.
Il compte sur ses enfants mais un qui est handicapé, un qui est paresseux, un parti au loin et une fille Rousille qui a donné son coeur à Nesmy mais que le père a chassé.
Il compte sur ce fils qui doit revenir.
Mais ce roman montre les difficultés de gens de la terre, de l'attrait des villes, c'est même triste car si même ce n'était pas de ce jour, il faut bien se dire que c'est encore le cas ; l'épuisement, le manque de bras et toutes les normes demandées aux agriculteurs aujourd'hui. On pourrait refaire ce livre avec e qui se passe à l'heure actuelle.
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Les romans de René Bazin ont le plus souvent pour cadre le milieu rural et paysan de l'ouest de la France, qu'ils évoquent avec une grande richesse de vocabulaire.

L'auteur y décrit, le plus souvent, la lutte du catholicisme et des valeurs traditionnelles contre la ville, le progrès, l'athéisme.

La Terre qui meurt, publié en 1898, évoque le drame d'un domaine agricole doublement abandonné : d'une part par le grand propriétaire parti s'installer à Paris, et d'autre part par les fils du métayer chargé de l'exploitation agricole.

Ce livre connut un grand succès et fut, en 1936, l'un des tous premiers à être filmé en couleurs.

(Source : article Wikipédia.)
> Écouter un extrait : Chapitre 01.
Lien : http://www.litteratureaudio...
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Une nouvelle année commença. L’hiver était pluvieux, mais il gelait toutes les nuits. On voyait, au matin, les fils d’araignée, tendus d’une motte à l’autre et couverts de brume glacée, remuer au vent comme des ailes blanches. La glèbe fumait au soleil tardif, et les ailes blanches devenaient grises. Les plus gros travaux de la campagne étaient suspendus. Les hommes des terres hautes abattaient quelques souches ou remplaçaient des barrières. Ceux du Marais ne faisaient plus rien. Pour eux, les vacances étaient venues. Les fossés et les étiers débordaient. la plupart des fermes, enveloppées par les eaux et comme flottantes au-dessus d’elles, n’avaient de communication avec les bourgs ou entre elles qu’au moyen des yoles remises à neuf, qui couraient en tous sens sur les prés inondés. C’était le temps joyeux des veillées et des chasses.
Le sol n’était cependant pas si dur qu’on ne pût le défoncer, et Toussaint Lumineau avait résolu, selon le conseil donné par Mathurin, d’arracher la vigne qui dépendait de la Fromentière, et que le phylloxéra avait détruite.
Le métayer et André montèrent donc jusqu’au petit champ bien exposé au midi, sur la hauteur dénudée que coupe la route de Challans à Fromentine. Ils avaient devant eux, et ne voyaient pas autre chose, sept planches de vieille vigne entre quatre haies d’ajonc, un sol caillouteux, et les ailes de deux moulins qui tournaient.
- Attaque une des planches, dit le métayer; moi, j’attaquerai celle d’à côté.
Et enlevant leur veste, malgré le froid, car le travail allait être rude, ils se mirent à arracher la vigne. L’un et l’autre, ils avaient causé d’assez belle humeur en faisant la route. Mais, dès qu’ils eurent commencé à bêcher, ils devinrent tristes et ils se turent pour ne pas se communiquer les idées que leur inspiraient leur œuvre de mort et cette fin de la vigne.
Lorsqu’une racine résistait par trop, le père essaya deux ou trois fois de plaisanter et de dire : « Elle se trouvait bien là, vois-tu; elle a du mal à s’en aller », ou quelque chose d’approchant. Il y renonça bientôt. Il ne réussissait point à écarter de lui-même, ni de l’enfant qui travaillait près de lui, la pensée pénible du temps où la vigne prospérait, où elle donnait abondamment un vin blanc, aigrelet et mousseux, qu’on buvait dans la joie les jours de fête passés. La comparaison de l’état ancien de ses affaires avec la médiocre fortune d’aujourd’hui l’importunait. Elle pesait plus lourdement encore, et il s’en doutait bien, sur l’esprit de son fils André. Silencieux, ils levaient donc et ils abattaient sur le sol leur pioche d’ancien modèle, forgée pour des géants. La terre volait en éclats; la souche frémissait; quelques feuilles recroquevillées, restées sur les sarments, tombaient et fuyaient au vent, avec des craquements de verre brisé; le pied de l’arbuste apparaissait tout entier, vigoureux et difforme, vêtu en haut de la mousse verte où l’eau des rosées et des pluies s’était conservée pendant les étés lointains, tordu en bas et mince comme une vrille. Les cicatrices des branches coupées par les vignerons ne se comptaient plus. Cette vigne avait un âge dont nul ne se souvenait. Chaque année, depuis qu’il avait conscience des choses, Driot avait taillé la vigne, biné la vigne, cueilli le raisin de la vigne, bu le vin de la vigne. et elle mourait. Chaque fois que, sur le pivot d’une racine, il donnait le coup de grâce, qui tranchait la vie définitivement, il éprouvait une peine; chaque fois que, par la chevelure depuis deux ans inculte, il empoignait ce bois inutile et le jetait sur le tas que formaient les autres souches arrachées, il haussait les épaules, de dépit et de rage. Mortes les veines cachées par où montait pour tous la joie du vin nouveau ! Mortes les branches mères que le poids des grappes inclinait, dont le pampre ruisselait à terre et traînait comme une robe d’or ! Jamais plus la fleur de la vigne, avec ses étoiles pâles et ses gouttes de miel, n’attirerait les moucherons d’été, et ne répandrait dans la campagne et jusqu’à la Fromentière son parfum de réséda ! Jamais les enfants de la métairie, ceux qui viendraient, ne passeraient la main par les trous de la haie pour saisir les grappes du bord ! Jamais plus les femmes n’emporteraient les hottées de vendange ! Le vin, d’ici longtemps, serait plus rare à la ferme, et ne serait plus de « chez nous ». Quelque chose de familial, une richesse héréditaire et sacrée, périssait avec la vigne, servante ancienne et fidèle des Lumineau.
Ils avaient, l’un et l’autre, le sentiment si profond de cette perte, que le père ne put s’empêcher de dire, à la nuit tombante, en relevant une dernière fois sa pioche pour la mettre sur son épaule :
- Vilain métier, Driot, que nous avons fait aujourd’hui !
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La porte du jardin s'ouvrit ; un homme s'avança, de haute taille lui aussi, trop gros, vêtu d'un complet de flanelle blanche et coiffé d'une casquette de même étoffe. Dans sa figure rasée ses petits yeux papillotaient , gênés sans doute par la brusque diminution de la lumière. C'était M. Meffray, le grand électeur de Challans, demi-bourgeois ambitieux, animé d'une haine secrète contre les paysans, et qui, sorti de leur race, vivant à côté d'eux dans un bourg, n'avait cependant plus que l'intelligence de leurs défauts , dont il usait . Averti de la façon dont Lumineau s'était présenté, redoutant des scènes violentes, il s'arrêta près de la première marche de l'escalier, posa le coude sur la rampe, porta trois doigts à sa casquette, et dit négligemment :
-On aurait dû vous faire entrer métayer. Mais enfin, puisque vous êtes pressé , parait-il, nous pouvons causer ici. J'ai rendu service à votre fils : est-ce à cause de cela que vous venez ?
-Justement dit Lumineau.
-Si je peux vous servir à quelque chose ?
-Je veux garder mon gars , monsieur Meffray
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La maison n'avait qu'un étage et une fenêtre, comme ses voisines. Toussaint Lumineau poussa la porte, et entra dans une salle de café meublée de tables de bois blanc, de tabourets de paille et d'une armoire vitrée, où étaient rangées des bouteilles de liqueurs entamées et, en bas, des assiettes de viandes froides entre deux boites de gâteaux secs. Il n'y avait là personne. Lumineau se planta droit au milieu de l'appartement. Une sonnette, mise en mouvement par l'entrée du métayer, continuait de s'agiter, fêlée, de plus en plus faible. Avant que le carillon eût cessé, une seconde porte s'ouvrit en face de la première, le long du buffet ; un coup de vent souffla des odeurs de cuisine , et une femme coiffée en cheveux s'avança, clignant des yeux et se balançant sur ses hanches. Bien qu'il se trouvât à contre-jour, elle reconnut aussitôt le visiteur, rougit beaucoup, laissa tomber le coin de son tablier qu'elle tenait de ses deux mains croisées, appliqué sur son ventre, et s'arrêta net.

-Oh ! dit-elle, le père ! En voilà une surprise ! Depuis le temps qu'on ne s'est vu !
-Oui, c'est vrai : il y a longtemps.
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C'étaient quatre boeufs superbes, précédés par une jument grise : Noblet,Cavalier,Paladin et Matelot, tous de même robe fauve, avec des cornes évasées, l'échine haute, l'allure lente et souple. Trainant la charrue, dont le soc était relevé, ils gravissaient la pente, et quand une pousse de ronce, tendue en travers de la route, tentait leur mufle baveux, ils ralentissaient ensemble l'effort, et la chaîne de fer, qui liait le premier couple au timon, touchait terre et sonnait. François , le long de leurs flancs, s'en allait , tout sombre. Une pensée l'occupait, qui n'était point celle du travail quotidien.
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Un parfum de forêt mouillée s'élevait vers le ciel calme et laiteux. Il ne faisait pas de brise ;aucun oiseau ne chantait ; la campagne semblait uniquement attentive aux dernières gouttes, formées pendant la nuit , et qui s'écrasaient au pied des arbres avec des vibrations de métal. Quelque chose avait dû mourir , dont le monde demeurait accablé. Et , en effet, sur les collines de Challans, au large de la Fromentière, le grincement lointain d'une charrue, les appels d'un toucheur de boeufs, disaient le commencement des labours d'automne.
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