Citations sur Beaux Arts Magazine, n°407 (19)
Engagé, le trompe-l’oeil révèle, dénonce. Il s’émancipe de sa fonction décorative pour revêtir une dimension critique. Il fait corps avec la satire sociale. Les sculptures à taille humaine de Mark Jenkins, disséminées dans l’espace public, inquiétantes et dérangeantes, trahissent la solitude produite par la société moderne, cette effroyable machine à broyer du noir. Le street artist décrit lui-même son travail comme «une expérience sociale où la réalité de la ville peut être modifiée afin d’obliger les gens à ne pas tenir pour acquis ce qu’ils ont sous les yeux». À mi-chemin entre photographie et performance, Liu Bolin se sert quant à lui de son propre corps pour traduire ses engagements. Tel un caméléon, il se fond dans les rayons d’un supermarché ou se camoufle dans le drapeau chinois, dénonçant ainsi la dilution de l’individu dans l’identité collective et la soumission aux diktats du consumérisme. Aux mains des street artists, l’orfèvrerie du bluff devient un acte de rébellion, une arme de réflexion massive, aux possibilités infinies.
En France, on retiendra surtout les illusions oniriques de Fabio Rieti. À Paris, à l’angle des rues Étienne Marcel et Pierre Lescot, il imagine en 1982 un escalier abrupt gravi par un homme. Sur l’ancien mur des Halles, un marcheur solitaire défiant la gravité. Fabio Rieti insuffle vie et poésie à ses créations en incorporant des personnages dans ses compositions sans toujours respecter les proportions. Il ne cherche pas à «égayer» les rues, mais à construire des «images pensées», comme pour contrer la photographie qui a couvert le monde de clichés. En confident de la ville, il se fait son porte-parole : « Aurait-elle ressenti le manque d’une image qui soit le fruit de l’imaginaire plutôt que le compte rendu de l’objectif ?»
Thalès jette les bases de la perspective – qui permettront aux artistes de peindre des volumes sur une surface plane –, il envisage l’idée que la Terre, plate en apparence, est en fait une immense sphère. Sans hésitation, le trompe-l’oeil est avant tout une géométrie de la pensée. C’est dans les profondeurs de la Grèce antique qu’il faut aller repêcher ses origines. Pline l’Ancien rapporte que Zeuxis avait peint des grappes de raisin d’une telle vraisemblance que les oiseaux se jetaient dessus pour tenter de les picorer. Cette anecdote, restée célèbre, résume toute l’intelligence d’un art de la délectation et de la duperie, qui bluffe à la fois le regard et l’esprit.
Sous ses airs roublards, le trompe-l’oeil ouvre une brèche vers d’infinies possibilités. De JR à Felice Varini et Liu Bolin, les artistes ont réinventé et adapté à l’échelle de la ville cette technique très ancienne pour pièger notre regard et l’amener vers des dimensions plus spectaculaires, voire très profondes. Bluffant.
Jacques Franck, Historien de l’art
Moins la Joconde bouge, mieux elle se porte !
Ensorcelé depuis l’enfance par Mona Lisa, cet expert de Léonard de Vinci réagit aux propos de Françoise Nyssen : déplacer ce
chef-d’œuvre à Lens, sous prétexte de lutter contre la «ségrégation culturelle», serait l’exposer à un danger de mort.
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Quand on a 100 ans, et a fortiori cinq fois plus, qui n’a pas envie de rester chez soi bien au chaud pour soigner ses rhumatismes ?
On ne se lasse pas de leur imaginaire affolant. Les dessins de Petra Mrzyk & Jean-François Moriceau ressemblent à d’inavouables cauchemars, à des croquis d’enfant tordu. Une licorne, clope au bec, dont la corne défaille soudain en s’amollissant ; une main munie de ciseaux qui s’apprête
à couper la houppe de Tintin, surpris en plein sommeil ; une salle de cinéma qui donne sur la Lune ; deux mains qui tricotent les entrelacs d’un cerveau…
Entre poésie picaresque et blague potache, vision stupéfiante et iconoclasme tranquille, le duo développe une ligne pas si claire, qui provoque de grands rires, mais aussi de légers frissons.
«Mrzyk & Moriceau ‘ Never Dream of Dying» Galerie Air de Paris jusqu’au 19 mai
PARIS - MUSÉE MAILLOL jusqu’au 15 juillet
Foujita, emblème des Années folles
Coupe au bol, lunettes rondes, oeil dandy, Léonard Tsuguharu Foujita est
resté l’une des icônes du Montparnasse des Années folles. Mais son oeuvre
demeure mal connue, comme son parcours. Fils d’un général de l’armée
impériale japonaise, il débarque à Paris en 1913. «On me prédisait que je
serais le premier peintre du Japon, mais c’était le premier peintre de Paris
que je rêvais d’être. Il me fallait aller aux sources», écrit-il alors. On ne peut
dire qu’il y parvint, restant toujours dans l’ombre de ses comparses, Modigliani ou Zadkine. Mais il ajouta une jolie note d’empire du Soleil-Levant à cette bohème internationale, préservant jusqu’à la fin sa singularité nippone.
Enfant des estampes et du Douanier Rousseau, passionné de kabbale
et d’astrologie, il a réalisé ses plus belles toiles en peignant son second amour, rencontré à la Rotonde, Lucie Badoud, dite Youki («neige», en japonais).
PARIS - MUSÉE JACQUEMART-ANDRÉ JUSQU’AU 23 JUILLET - Mary Cassatt fait bonne impression.
C’était la seule femme, ou presque, dans un cercle d’hommes. Repérée par Degas au Salon de 1874, Mary Cassatt fut acceptée dans le cénacle impressionniste avec pour seule consœur Berthe Morisot. Si elle resta dans les mémoires françaises comme une figure mineure du mouvement, elle fut vénérée dans sa patrie comme l’un des meilleurs peintres de son temps.
Comment cette fille de riche banquier américain s’est-elle invitée dans la bohème montmartroise ? À travers une série de prêts prestigieux, le musée Jacquemart-André retrace l’univers, essentiellement domestique, de cette descendante de huguenots aux racines françaises, qui passa
près de soixante ans de sa vie dans notre pays.
Engagé, le trompe-l’œil révèle, dénonce. Il s'émancipe de sa fonction décorative pour revêtir une dimension critique. Il fait corps avec la satire sociale. Les sculptures à taille humaine de Mark Jenkins, disséminées dans l'espace public, inquiétantes et dérangeantes, trahissent la solitude produite par la société moderne, celle effroyable machine à broyer du noir.
Le street artiste décrit lui-même son travail comme "une expérience sociale où la réalité de la vielle peut être modifiée afin d'obliger les gens à ne pas tenir pour acquis ce qu'ils ont sous les yeux"..
Avec l’arrivée des nouvelles technologies, réaliser une œuvre en trompe-l’œil s’offre à la portée du plus grand nombre. Nul besoin d’avoir les talents d’un Véronèse ou de maîtriser les lois complexes de la perspective, la photographie se charge de l’imitation. Il n’est pas rare d’ailleurs de voir les monuments historiques recouverts de bâches imprimées lors de travaux de rénovation. Ce cache misère ou subterfuge, selon les sensibilités, permet de dissimuler les échafaudages tout en donnant l’illusion d’un bâtiment intact. Et certains plasticiens détournent de façon judicieuse ce procédé à des fins artistiques.