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Citations sur Ulla ou l'effacement (7)

Elle n'avait jamais rien gardé d'elle. Elle, pour posséder, déjà elle aurait dû participer. Elle n'a jamais participé. Elle n'avait jamais pris part. Elle n'avait d'avis sur rien. Elle ne savait pas ce que cela voulait dire, avoir un avis. Les avis, sur elle ça glissait comme de l'eau sur une pierre. Elle souriait quand il était question d'avis. Pour avoir un avis, il aurait fallu avoir des mots, au moins des mots comme ça, des mots sans profondeurs, au moins des mots qui soufflent, glissent, respirent, se disent, au moins ça. Elle n'avait pas ça non plus.
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C’était ça, la petite fille qu’on appelait Ulla. C’était son drôle de prénom jusqu’à la fin de ses jours. C'est ça qu'elle commençait par une voyelle gutturale, une lettre chaude, qui sortait de ses intérieurs d'elle, c’était qu'elle attaquait sa vie comme ça, par cette lettre ouverte vers les hauteurs, vers les rêves, les espérances, cette belle lettre comme un berceau. C’était une lettre qu’on entrait pas facilement dedans, mais elle était des celles qui protègent, qui chauffent, qui illuminent. Mais ça, ça n'allait jamais plus loin.
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À Pâlebourg on mourait toujours seul. Pâlebourg, la mort ça ne s’y disait pas, pas dans une ville qui avait connu des milliers de cadavres en quelques heures de bombardement. Pâlebourg, ça vivait de son port, de ses putes, de ses banques et assurances. De ça, on était fiers jusqu’à l’écoeurement. C’était qu’on avait reconstruit une ville comme un quartier d’affaires. Les immeubles portaient leurs façades clinquantes comme des forteresses, des larges autoroutes urbaines permettaient le drainage en voitures. Il y avait des ascenseurs et des trahisons de bureau, il y avait là, comme des carrières de l’argent et du pouvoir. C’était ça qu’on appelait une ville.
Autour, dans les faubourgs sans nom, ronronnaient les femmes. C’était dans ces campagnes vides que se déroulaient leurs vies vides. Les plus courageuses d’entre elles mouraient d’alcool. C’était des morts lentes, atroces qui se produisaient là, entre les caisses des supermarchés et à la sortie de l’école. Pour que ça meure propre, on avait dressé des haies autour des jardins. La pluie battante c’était ça comme des rideaux devant les fenêtres, sinon on les bouchait avec des plantes vertes. La vue, c’était ça qu’on ne voulait pas voir, surtout pas, comme les mots qu’il ne fallait pas prononcer, les sentiments qu’il ne fallait pas avoir. Les sentiments, c’était ça qui était remplacé par les briques rouges des pavillons, c’était les briques rouges qui contenaient les morts.
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Elle avait vu le médecin, lui avait dit l’eau dans le ventre, l’eau dans les jambes, le lui avait dit, la bouteille de whisky par jour. C’était ça, depuis des années. Maintenant, ça, elle n’en avait plus besoin, c’était condamné. Le foie, c’était irréversible, le ventre bombé, les varices, les hématomes, les saignements. Les reins foutus, les artères bouchées.
Le cœur est bon, c’est ça le drame. Ç’avait dit ça, le médecin. Ça faisait lui rester trois mois. Jusqu’à Noël. Elle, ça elle ne savait pas que ça lui faisait rester trois mois, c’était pas ça qu’avait de l’importance. Autour d’elle, l’important il n’y en avait plus. C’était pas non plus qu’on puisse dire qu’elle attendait. Non, c’était autre chose. C’était autre chose comme rien. Mais elle, ce qu’on ne peut pas dire d’elle c’est que c’était rien. Elle était là encore comme pas là, mais elle était là. C’était elle encore comme d’un corps. Il y avait ça encore en elle qu’on ne sait nommer autrement que ça.
Mais de ça, elle ne manifestait rien. Elle écoutait quand on lui parlait. On lui disait de se lever. Ça il faudrait se le dire toujours, on lui disait de se lever. C’est ça, oui, qu’elle écoutait. Elle ne se levait pas. Elle n’avait pour ce qu’elle écoutait qu’un sourire. Elle, ce qu’elle faisait qu’elle se levait quand elle était seule, c’était la bouteille de whisky. Elle la cachait entre les casseroles. Elle se mettait à genoux, elle buvait une gorgée, elle se couchait. Ce n’était plus qu’elle en avait besoin, c’était par presque comme de l’amour.
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(description du nord de l'Allemagne)

Ça je me souviens qu'il fallait pleurer en silence.
Les campagnes du Nord ça ne supporte pas les pleurs, tant qu'il pleut trop. Les terres c'est gorgé de mers et d'océans, c'est gorgé de nuits et de brumes. Les terres c'est ondulé tant c'est gorgé d'eau, les campagnes c'est bombé d'eau stagnante. La campagne c'est la peau ridée d'alcool, c'est raviné de flots de whisky. La campagne du Nord c'est la mer de pleurs. Mais personne ne le dit. Les vents du Nord ce sont des vents de silences, ce sont des souffles derniers. Mais personne ne l'avoue.
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C’est ça qu’il faudrait dire faux avec des mots fautifs. C’était autour d’elle cette belle lumière du Nord, cette lumière fautive. C’était le pavillon, le salon, la baie vitrée et le jardin, c’était ça, fautif. Il y a sa vie comme une vie fautive, une vie comme pas vécue, une vie pour rien, qui se termine là, dans un souffle, sans effort, c’est là, sa vie comme un malentendu. C’était faux, elle, là, faux comme corps. C’était faux comme ce corps qui allait finissant sans avoir fleuri.
Ce n’est pas qu’elle perdait connaissance, elle n’en avait plus vraiment. Elle allait de plus en plus rarement à la bouteille. Elle oubliait les pilules. Elle oubliait qu’elle voulait se tuer avec l’alcool et les pilules, elle n’a jamais voulu se tuer, c’est faux, ça aussi. Mais elle voulait tuer ses organes, un à un, les reins, le foie, la rate, les poumons, finalement le coeur. C’était ça, comme un plan établi. Elle voulait, par là, tuer le monde. Tuer ses enfants, tuer son mari, tuer son amant, venger son monde. Elle était là, sur le canapé, la vengeresse terrible d’un monde qui n’avait pas voulu d’elle. Elle était la vengeresse souriante, celle qui ne vous oublie pas.
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Elle, elle était allongée sur le canapé, sur le dos, une main sur son ventre bombé d’eau. C’était ça, elle, là. Elle n’était rien d’autre que ça, là, le canapé contre un mur blanc, un mur vide. C’était dans les vapes qu’elle était. Quelque part là, oui, sans doute. Il faudrait dire ça plus exact peut-être, mais on ne peut pas. Ce qu’on ne peut pas, il faudrait l’essayer ici.
Le canapé était bouteille vert, ça je me souviens.
Ça ne disait rien, elle.
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