Andreas Becker3.62/5
4 notes
Ulla ou l'effacement
Résumé :
Lentement, une femme s efface devant le monde. Autour d elle, les silences, les absences, une clarté presque insoutenable, les paysages vides du Nord de lAllemagne. Elle s allonge sur un canapé, chez elle, dans son salon; seuls l alcool et les médicaments la font encore bouger. Le médecin est formel, la mort approche par cirrhose du foie. Andréas Becker accompagne la malade d une langue ciselée et tendre, d une langue qui cherche constamment à dire ce qui est encore...
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Difficile pour moi de commenter ce livre, impossible de le noter. Il semble que l'auteur ait fait face à l'impossibilité de l'écrire. En effet, quels mots peuvent exprimer adéquatement l'effacement d'un être, Ulla, un être qui disparaît progressivement et douloureusement du monde, qui se réduit à la transparence, à un souffle transparent ? Aucun. Les mots ne peuvent pas faire ça. Alors il faut trouver un moyen de dire cela malgré eux, malgré les mots. On essaye de les répéter vaguement, de les tordre, de les moudre, de les faire glisser, de leur ôter leur substance, « ce sont des mots qu'on dit comme pas dits ». Que faire de la grammaire en effet, que faire aussi des réductions en magasin et des glaces à la sortie du métro, alors qu'à quelques mètres, un être s'efface du monde ? Comment la grammaire oserait-elle encore contraindre la plume, quand les mots dits ne peuvent pas dire ce qui doit l'être, et que pourtant celui qui tient cette plume leur laisse une dernière chance, une chance terrible, cinquante-cinq pages de dernière chance pour exprimer l'impossible à dire ?
Lecture très difficile, qui ne ressemble à rien de ce que j'ai lu jusqu'à présent, et qui nous montre que c'est le monde entier qui s'efface, quand un être s'efface.
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Heureusement qu'il n'y avait que 55 pages à lire sinon je n'aurais pas voulu en lire davantage.
Il y a malgré tout une certaine poèsie qui nous berce dans l'attente imminente et insignifiante de la mort de cette mère.
La syntaxe laisse transparaître que c'est du français pensé en allemand, il nous reste plus qu'à lire avec l'accent germanique, c'est à mon avis plus amusant.
Le canapé "bouteille vert" répété trop de fois semble avoir une importance capitale pour
Andréas Becker, c'est surement cette couleur qui doit rester indélébile dans les souvenirs qu'il garde d'Ulla.
Le littoral humide du nord allemand accompagne harmonieusement cette curieuse fin de vie.
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De l'agonie silencieuse d'une femme et d'une mère, extraire une signification puissante et une tendresse subtile.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2019/04/27/note-de-lecture-ulla-ou-leffacement-andreas-becker/
Lien :
https://charybde2.wordpress... Commenter  J’apprécie         10
Elle avait vu le médecin, lui avait dit l’eau dans le ventre, l’eau dans les jambes, le lui avait dit, la bouteille de whisky par jour. C’était ça, depuis des années. Maintenant, ça, elle n’en avait plus besoin, c’était condamné. Le foie, c’était irréversible, le ventre bombé, les varices, les hématomes, les saignements. Les reins foutus, les artères bouchées.
Le cœur est bon, c’est ça le drame. Ç’avait dit ça, le médecin. Ça faisait lui rester trois mois. Jusqu’à Noël. Elle, ça elle ne savait pas que ça lui faisait rester trois mois, c’était pas ça qu’avait de l’importance. Autour d’elle, l’important il n’y en avait plus. C’était pas non plus qu’on puisse dire qu’elle attendait. Non, c’était autre chose. C’était autre chose comme rien. Mais elle, ce qu’on ne peut pas dire d’elle c’est que c’était rien. Elle était là encore comme pas là, mais elle était là. C’était elle encore comme d’un corps. Il y avait ça encore en elle qu’on ne sait nommer autrement que ça.
Mais de ça, elle ne manifestait rien. Elle écoutait quand on lui parlait. On lui disait de se lever. Ça il faudrait se le dire toujours, on lui disait de se lever. C’est ça, oui, qu’elle écoutait. Elle ne se levait pas. Elle n’avait pour ce qu’elle écoutait qu’un sourire. Elle, ce qu’elle faisait qu’elle se levait quand elle était seule, c’était la bouteille de whisky. Elle la cachait entre les casseroles. Elle se mettait à genoux, elle buvait une gorgée, elle se couchait. Ce n’était plus qu’elle en avait besoin, c’était par presque comme de l’amour.
À Pâlebourg on mourait toujours seul. Pâlebourg, la mort ça ne s’y disait pas, pas dans une ville qui avait connu des milliers de cadavres en quelques heures de bombardement. Pâlebourg, ça vivait de son port, de ses putes, de ses banques et assurances. De ça, on était fiers jusqu’à l’écoeurement. C’était qu’on avait reconstruit une ville comme un quartier d’affaires. Les immeubles portaient leurs façades clinquantes comme des forteresses, des larges autoroutes urbaines permettaient le drainage en voitures. Il y avait des ascenseurs et des trahisons de bureau, il y avait là, comme des carrières de l’argent et du pouvoir. C’était ça qu’on appelait une ville.
Autour, dans les faubourgs sans nom, ronronnaient les femmes. C’était dans ces campagnes vides que se déroulaient leurs vies vides. Les plus courageuses d’entre elles mouraient d’alcool. C’était des morts lentes, atroces qui se produisaient là, entre les caisses des supermarchés et à la sortie de l’école. Pour que ça meure propre, on avait dressé des haies autour des jardins. La pluie battante c’était ça comme des rideaux devant les fenêtres, sinon on les bouchait avec des plantes vertes. La vue, c’était ça qu’on ne voulait pas voir, surtout pas, comme les mots qu’il ne fallait pas prononcer, les sentiments qu’il ne fallait pas avoir. Les sentiments, c’était ça qui était remplacé par les briques rouges des pavillons, c’était les briques rouges qui contenaient les morts.
C’est ça qu’il faudrait dire faux avec des mots fautifs. C’était autour d’elle cette belle lumière du Nord, cette lumière fautive. C’était le pavillon, le salon, la baie vitrée et le jardin, c’était ça, fautif. Il y a sa vie comme une vie fautive, une vie comme pas vécue, une vie pour rien, qui se termine là, dans un souffle, sans effort, c’est là, sa vie comme un malentendu. C’était faux, elle, là, faux comme corps. C’était faux comme ce corps qui allait finissant sans avoir fleuri.
Ce n’est pas qu’elle perdait connaissance, elle n’en avait plus vraiment. Elle allait de plus en plus rarement à la bouteille. Elle oubliait les pilules. Elle oubliait qu’elle voulait se tuer avec l’alcool et les pilules, elle n’a jamais voulu se tuer, c’est faux, ça aussi. Mais elle voulait tuer ses organes, un à un, les reins, le foie, la rate, les poumons, finalement le coeur. C’était ça, comme un plan établi. Elle voulait, par là, tuer le monde. Tuer ses enfants, tuer son mari, tuer son amant, venger son monde. Elle était là, sur le canapé, la vengeresse terrible d’un monde qui n’avait pas voulu d’elle. Elle était la vengeresse souriante, celle qui ne vous oublie pas.
Elle n'avait jamais rien gardé d'elle. Elle, pour posséder, déjà elle aurait dû participer. Elle n'a jamais participé. Elle n'avait jamais pris part. Elle n'avait d'avis sur rien. Elle ne savait pas ce que cela voulait dire, avoir un avis. Les avis, sur elle ça glissait comme de l'eau sur une pierre. Elle souriait quand il était question d'avis. Pour avoir un avis, il aurait fallu avoir des mots, au moins des mots comme ça, des mots sans profondeurs, au moins des mots qui soufflent, glissent, respirent, se disent, au moins ça. Elle n'avait pas ça non plus.
C’était ça, la petite fille qu’on appelait Ulla. C’était son drôle de prénom jusqu’à la fin de ses jours. C'est ça qu'elle commençait par une voyelle gutturale, une lettre chaude, qui sortait de ses intérieurs d'elle, c’était qu'elle attaquait sa vie comme ça, par cette lettre ouverte vers les hauteurs, vers les rêves, les espérances, cette belle lettre comme un berceau. C’était une lettre qu’on entrait pas facilement dedans, mais elle était des celles qui protègent, qui chauffent, qui illuminent. Mais ça, ça n'allait jamais plus loin.
Le mardi 13 novembre 2018, la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris - www.charybde.fr ) avait la joie d'accueillir Andreas Becker, Denis Lavant et Brigitte Mougin pour une lecture exceptionnelle d'extraits de "L'effrayable", de "Nébuleuses" et de "Les invécus", les trois romans d'Andreas Becker tout récemment réédités aux éditions d'En Bas.
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