[Attention, billet d'une longueur interminable, merci d'avance à ceux et celles qui auront le courage de lire jusqu'au bout, vraiment...]
Depuis le temps que je baguenaude sur la toile, en semant de-ci de-là mes critiques, j'ai renforcé mon besoin de me faire ma propre opinion sur les bouquins. Ainsi, certains ouvrages au premier plan médiatique ont pu amèrement me décevoir tandis que d'autres, cibles de tous les reproches, m'ont agréablement surprise. Quand le dernier opus de monsieur
Beigbeder est sorti, sincèrement, je n'étais pas vraiment intéressée. J'ai lu quelques uns de ses bouquins et j'en ai vraiment aimé deux, mais pas au point de suivre sa carrière avec attention... Sauf que
Confessions d'un hétérosexuel légèrement dépassé a fait polémique. Et si j'ai trouvé la défense orale de l'auteur un tantinet ridicule, je me suis dit que je ne pouvais guère avoir d'avis sans lire ledit bouquin, honnêteté intellectuelle oblige. D'autant plus que des avis, sur Babelio, m'ont fait rire et donné envie d'aller y regarder de plus près…
Qu'aborde donc ces fameuses
Confessions d'un hétérosexuel légèrement dépassé ? L'ouvrage est découpé en cinq parties et se révèle d'un genre pas vraiment identifié. Auto-biographique ? Sans doute. Essai ? En théorie. En tout cas, l'auteur évoque les tags agressifs – et illégaux – qui ont souillé la façade de sa maison. Suite, visiblement à son engagement contre la criminalisation des clients des travailleurs/ses du sexe. Qu'importe son opinion – et la mienne – rien ne justifie qu'on insulte quelqu'un que ce soit sur les murs de sa maison ou de vive voix. Oui, qu'importe mes propres idéaux, je défends le droit de l'auteur à se sentir victime, à s'en plaindre, son droit, même, à ne pas comprendre ou accepter la société telle qu'il l'appréhende. Et ce, malgré la condescendance dont il fait preuve :
"Je ne suis pas sur les réseaux sociaux, n'ayant pas de temps à perdre, pourtant j'y suis souvent accusé de tous les maux parce que j'abuse d'une certaine liberté de ton dans la presse papier."
Que je n'ai pas été sensible aux arguments de son discours, cela n'a pas tellement d'importance. du moins, cela n'en aurait eu aucune si l'écriture avait été brillante. Scoop, elle ne l'est pas. Oui, monsieur
Beigbeder est cultivé, oui, il est doué pour servir quelques punchlines, mais cela ne suffit absolument pas quand on se targue de faire de la littérature, et pas du divertissement. Lorsqu'il se plaint, il le fait avec le vocabulaire et la poésie des masculinistes qui sévissent sur les réseaux sociaux :
"Parce que je suis blanc, de sexe masculin, né bourgeois dans les années 1960, j'ai grandi dans le camp des dominants. Je n'ai pas eu l'impression d'en profiter. J'ai été frappé par un prêtre de mon école quand j'avais sept ans. J'ai été la cible d'un exhibitionniste au bois de Boulogne à l'âge de dix ans. J'ai été dragué par un pédophile au sixième étage de la rue de la Planche en 1979." (page 9)
Avec tout ça, j'aurais pu simplement déclarer que le bouquin n'a que peu d'intérêt à mes yeux, et qu'il n'en aura, finalement, que pour ceux qui, comme l'auteur, semble haïr copieusement ce que lui et ses camarades nomment la pensée woke. Sauf… Sauf qu'il va beaucoup plus loin que simplement parler de sa propre expérience, de ses propres traumatismes et désillusions, il égrène les généralités et les conclusions impérieuses sur les femmes, les hommes, le féminisme et toute la société. Il se prend régulièrement pour le porte-parole des hommes blancs hétérosexuels – et qui se chauffe au fuel ? - et, en cela, je ne peux pas juste hausser les épaules en marmonnant qu'il peut penser ce qu'il veut. Oui, il le peut, mais je refuse de ne pas pointer du doigt et du clavier ce qui pose problème dans son ouvrage.
Malgré les quelques pincettes qu'il tente de prendre,
Frédéric Beigbeder se montre anti-féministe. Surtout, il semble ne pas saisir qu'il existe un multitude de féminismes et qu'il n'y a pas, et qu'il n'y aura jamais, un discours homogène féministe. Or ce qu'il décrit – avec des généralités grandioses -, ce n'est pas le féminisme dont je me réclame. Et puis, quand même, il ne semble se revendiquer victime que pour prétendre que les femmes et les hommes le seraient tout autant, et de la même façon :
"Toutes les femmes ont été draguées, droguées, harcelées, abusées, voire pire. Mais les hommes aussi." (page 10)
Oui, des hommes sont victimes. de viol, d'agression, de harcèlement, de violence intrafamiliale. Oui, nous devons les aider à prendre la parole, à changer les choses pour qu'ils soient reconnus et aidés. Sauf que les violences faites aux hommes ne sont pas systémiques. Et, souvent, leur mauvaise prise en charge, relève justement du patriarcat – pour le confirmer, il suffit de lire les commentaire sous les articles qui abordent les cas d'hommes victimes de viol quand la coupable sont des femmes -.
En fait, l'auteur ne semble souhaiter la libération des femmes que si ces dernières adoptent dés lors un comportement qui lui conviendrait, à lui :
"La véritable hétérosexualité enfin équilibrée naîtra le jour où une femme sifflera un homme dans la rue." (page 84)
Sur cette question du combat féministe, monsieur
Beigbeder dit tout et son contraire. D'abord que le patriarcat n'existe pas :
"Quel patriarcat ?? Ma génération ne sait pas ce que c'est. Les papas sont tous partis de chez eux. Il n'y a pas de pères non divorcés dans les années 1970. Il est où, le fameux patriarcat dont les féministes me rebattent les oreilles ? J'ai été éduqué par une mère célibataire qui travaillait pour nourrir ses deux fils. Je n'ai d'autre modèle familial qu'une femme seule, et on m'explique qu'il faut vaincre le patriarcat ? Non, mais je rêve ! Heureusement que les femmes avaient du pouvoir dans mon enfance, sinon j'aurais fini à la rue." (page 10)
D'ailleurs, je me demande comment l'existence de mères célibataires pourrait bien prouver l'inexistence du patriarcat. Non, parce que des mères célibataires, il y avait dans les années soixante aussi. Donc avant qu'une femme mariée puisse ouvrir un compte en banque sans l'autorisation de son mari (la loi date de 1965)…
Plus loin, l'auteur a changé d'avis et parle d'éliminer le patriarcat. Oui, oui, celui-là même qui, selon lui, n'existe pas 74 pages avant :
"On peut éliminer le patriarcat sans stigmatiser les dragueurs, même s'ils sont pitoyables avec leurs chemises ouvertes, leurs 4 × 4 polluants et leurs lunettes de soleil en hiver." (page 84)
Passons sur le fait que drague et le harcèlement de rue, ça n'a rien à voir, je ne suis pas là pour faire de la pédagogie.
Ouais, l'auteur se montre anti-féministe. Et alors ? me demanderas-tu ami-lecteur… Ben rien, il a le droit d'être un Jean-Mascu, comme j'ai le droit de combattre cette idéologie. Surtout, j'ai le droit de dénoncer les inepties qu'il écrit. Genre :
"Ce qui cesse de protéger les violeurs, c'est le séquençage du génome humain. J'ai davantage foi en la police scientifique qu'en la délation numérique. Mais là encore, je peux me tromper, et cette opinion banale ne justifie pas une attaque de terrorisme pictural, merci pour votre compréhension. Si vous êtes agressée, il faut porter plainte tout de suite et effectuer tous les prélèvements nécessaires à une identification génétique."
Ce discours révèle l'ignorance crasse de l'auteur sur la question. Que les choses soient claires, sur le plan médico-légal, il n'existe pas de preuve absolue d'un viol. Lors de l'examen clinique, le médecin légiste pourra trouver des preuves qu'il y a eu pénétration – et éventuellement, de l'ADN -, et chercher des lésions attestant d'une pénétration traumatique. Sauf qu'une pénétration, même traumatique, n'est pas une preuve absolue de viol. Ben nan. Je le répète, il n'y a pas de preuve absolue, pas de baguette scientifique magique pour prouver le viol. de plus, ce n'est pas seulement une question de porter plainte et que le coupable soit condamné. On peut aussi s'interroger sur la multiplicités des peines avec sursis quand il s'agit de violences faites aux femmes. On peut aussi se poser des questions simples, comme pourquoi si peu de victimes de viol portent plainte ou de quelle manière la culture du viol complique les poursuites judiciaires.
Si la simple ignorance est dangereuse, elle ne me met pas grandement en colère. Contrairement à certains propos de monsieur
Beigbeder... Propos imbibés de culture du viol et qui, hélas, nourrissent cette dernière. Car l'auteur parle des hommes comme de créatures seulement préoccupées par la baise, et soumises à des pulsions intolérables.
"Tous des salauds ? Non, mais nous sommes des bêtes, c'est vrai, et nous en souffrons autant que les femmes." ( page 70)
"Dès que je rencontre une femme, je l'imagine en train de faire l'amour. C'est la vérité de l'homme. Quand on ne vous touche pas, c'est uniquement parce que la loi l'interdit." (page 71)
Des animaux qui n'agressent pas, mais pas parce qu'ils voient les femmes comme des êtres humains, des individus dont il faut le consentement, ben nan :
"Oui : la peur de la prison ferme retient les hommes d'agresser sexuellement toutes les femmes qui leur plaisent."
Pour lui, les pulsions des violeurs ne sont pas des pulsions de violence, mais des pulsions de désir :
"La criminalisation des clients de prostituées fut à cet égard une erreur politique, car elle augmente le nombre de frustrés sexuels, tout en précarisant les travailleuses du sexe. le but de la société devrait être de réduire les risques de la masculinité, pas de les décupler." P76
Il va même plus loin quand il semble dire que s'il ne viole pas les femmes, c'est juste que le « non » le fait débander :
"J'ai une chance, c'est que mon désir est incompatible avec le viol. En effet, depuis toujours et sans doute par instinct de survie, une jolie fille qui me dit non devient laide. La non-réciprocité de mon désir est si vexante qu'elle abolit mon envie. Je préfère bouder qu'insister." (page 81)
Monsieur
Beigbeder tient un discours masculiniste qui semble vouloir minimiser les violences faites aux femmes. Plus que cela, il utilise la souffrance des hommes, non pas pour les défendre, mais pour mieux attaquer les femmes.
Soyons franc, ami-lecteur, oui, monsieur Beigbeider a le droit d'être anti-féministe, masculiniste et de tenir des propos sexistes. Il a le droit de dire et d'écrire tout cela. Comme j'ai le droit de combattre ces idéologies. Sauf que l'auteur semble vouloir plaire à tout le monde et, par conséquent, ne se montre courageux face à personne. Au terme de ma lecture, ma vision de cet homme n'est guère reluisante… Celle d'un bon écrivain, à la jeunesse flamboyante et noyée dans la cocaïne, qui se réveille à la cinquantaine, angoissé par la vieillesse et terrifié de bander mou. Certains achètent du Viagra, d'autres écrivent des bouquins. Quoiqu'il en soit, pour moi, c'est juste un mec qui préfère trouver un ennemi plutôt que de son confronter à ses peurs. Un vieux cynique recroquevillé dans le confort de ses souvenirs, terrorisé par l'évolution des mentalités. Une évolution qui ne peut que lui rappeler que son heure de gloire a sonné dans une autre décennie...
Lien :
http://altervorace.canalblog..