Citations sur Un roman français (250)
Je ne comprends pas les gens qui considèrent la famille comme un refuge alors qu’elle ravive les plus profondes paniques. Pour moi, la vie commençait quand on quittait sa famille. Alors seulement l’on se décidait à naître. Je voyais la vie divisée en deux parties : la première était un esclavage, et l’on employait la seconde à essayer d’oublier la première.
La drôle de guerre l’attendait, où la ligne Maginot se révéla aussi peu fiable que la méthode Ogino.
J’aimerais faire le récit d’une demi-part supplémentaire sur la déclaration de revenus de mes parents.
Mes parents étaient débordés, trop jeunes, trop occupés à s’aimer, se désaimer, réussir ou rater leur vie. Seuls les grands-parents peuvent s’offrir le luxe de s’occuper d’autres qu’eux-mêmes.
L’aquarelle de mon visage à neuf ans est reproduite en couverture de ce livre : j’ai aussi été ce petit angelot innocent. Mon nez et mon menton n’avaient pas encore bosselé mon visage, je n’avais pas encore les cernes qui creusent désormais mes yeux, ni la barbe pour cacher mon goitre de pélican. La seule chose qui n’a pas changé, ce sont mes yeux, et encore, mon regard est aujourd’hui moins franc que sur ce tableau qui trône à présent dans l’escalier de ma petite maison parisienne. Parfois il me regarde, quand je rentre tard, et semble me juger. Le garçonnet angélique contemple sa propre déchéance avec effarement. Il m’arrive, lorsque je suis vraiment aviné, d’insulter le petit garçon sage qui plastronne sur mon mur, fier de son âge, méprisant ce que j’ai fait de son avenir :
Depuis je n’ai cessé d’utiliser la lecture comme un moyen de faire disparaître le temps, et l’écriture comme un moyen de le retenir.
Nous habitions le seul quartier fréquentable : du côté du Bois. Il y a deux Neuilly-sur-Seine ; quand vous descendez l’avenue Charles-de-Gaulle vers la Défense, le Neuilly chic est sur votre gauche, le Neuilly plouc sur votre droite, côté mairie. Vers le bois de Boulogne, les résidences gagnent un cachet, la bourgeoisie un charme discret, pourquoi se lamenter d’y être né ? Parce que ce monde a disparu, parce que cette vie a volé en éclats, parce que nous ignorions notre chance, parce que ce conte de fées ne pouvait pas durer. Si je conspue a posteriori ce luxe, c’est peut-être pour ne pas regretter ce qui a été effacé.
Une grande avocate pénaliste, Maître Caroline Toby, appelée à la rescousse par un témoin de mon interpellation, vint me sortir de cellule pour m’expliquer la situation très clairement : le moindre geste qui ne reviendrait pas au vice-procureur, haussement de sourcil, raclement de gorge, ironie légère, et cette dame inconnue pouvait continuer de me briser à sa guise sans aucun recours possible, ni débat contradictoire, en me déférant en comparution immédiate devant un tribunal correctionnel pour lequel j’aurais symbolisé un sale gâchis méritant une bonne leçon, un insolent scribouillard junky passible d’un an de prison ferme (article L. 3421-1 du code de la santé publique).
Voici son mensonge inutile et pardonné qui a fait tant de dégâts. Au lieu de nous dire : — Je quitte votre père parce que je suis tombée amoureuse d’un autre homme. Elle a préféré dire : — Votre père travaille beaucoup, en ce moment il est à New York. Je ne reproche pas à ma mère de nous avoir caché la vérité mais d’avoir imaginé une histoire moins belle que la vraie. Il aurait suffi de nous dire qu’elle en aimait un autre…
Je note tout de même une grande différence entre ma fille et moi : elle a cru au Père Noël, alors que je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais marché dans cette combine. J’ai été surpris qu’elle pleure autant quand elle a appris, à l’âge de six ans, que ses parents lui avaient menti. Elle se sentait escroquée, déçue, écœurée. — Vous m’avez fait le même coup pour la petite souris ! Mais qu’est-ce qui vous prend de mentir tout le temps ? Je m’en suis voulu d’avoir fait marcher Chloë. En qui peut-on faire confiance si vos propres parents vous racontent des sornettes ? Bonne question, qui reviendra plus tard dans ce puzzle.