Camille m’avait laissé une lettre. Mes orteils se sont recroquevillés dans mes sandales, j’avais supposé qu’elle écrirait quelque chose, un truc terrible comme à son habitude où j’en prendrais plein la figure. Elle savait écrire, surtout pour me démonter : un mélange raffiné de douceur et de méchanceté. De quoi rendre schizophrène n’importe qui. À la fin, ses lettres, je ne les lisais plus, je mettais trop de temps à m’en remettre.
Je ne suis qu’une simple femme. Une simple femme, qui n’aime que les héros. C’est la punition pour celles qui ont ce penchant : les héros meurent jeunes et les femmes qui les ont aimés vivent vieilles pour les pleurer encore plus longtemps.
Pour la première fois de ma vie, j’ai pensé à maman autrement, je me suis demandé ce qu’elle avait dû vivre, elle, pour être si dure, si désabusée. On ne naît pas pervers, Paloma, c’est la vie qui vous détruit petit à petit, avec plus ou moins de force, plus ou moins d’insistance. Je ne sais pas pourquoi elle s’attaque à certains et pas à d’autres. Comment elle choisit ses victimes. Comment elle décide du modus operandi, si elle va s’acharner à coups de pied, à coups de sexe, à coups de pierre, ou si elle va décider de frapper d’un seul coup, avec une balle en plein cœur. Je la soupçonne d’être perverse et de préférer la torture.
Une fois le café bu avec les parents, Fernand et Rose étaient partis marcher un peu sur les chemins, sans dire un mot, juste pour sentir l’épaisseur du silence entre eux. Ce silence, c’était celui des gens de la terre où l’on sent bien mieux qu’on ne parle.
On ne perçoit pas consciemment comment certaines personnes vous manquent avant de les connaître, on devine juste, une fois qu’on les a rencontrées, qu’on ne pourra plus jamais vivre sans elles.
La vue, dégagée malgré la végétation désordonnée, portait loin. L'air d'automne était sec, le bleu se battait avec le doré des châtaigners. C'était à celui qui ecraserait l'autre. Dans le ciel, dans le sommet des crêtes et sur les pentes encore nimbées de nuit, l'azur n'avait pas d'adversaire à sa taille mais dans la vallée, sur les replats les plus exposés , où dormaient quelques maisons isolées, c'etait cet or pur qui triomphait. Les herbes sèches, les feuilles d'automne rugissaient d'un jaune mordoré.
Je l’écoute et le palpe l’abîme de mon chagrin, la profondeur de ma mélancolie. (p 122)
Quelques dieux anciens avaient abandonné des rocs à même le sol, négligemment. La pluie et le vent les avaient fécondés, de saillants ils étaient devenus ronds et doux et ils attendaient neuf siècles de gel pour mettre au monde leurs enfants de pierre.
Les bruyères et les fougères s'agitaient en tous sens, les montagnes coupantes apparaissaient par moments dans une trouée de nuages, cerclées de vallées profondes, lointaines, inatteignables.
Le vent avait encore forci, et il s'était chargé d'un soupçon de verveine, d'une once d'arabette et d'anémone, qui lui faisait l'haleine fraîche quand il me parlait.