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EAN : 9782072988165
208 pages
Gallimard (05/01/2023)
3.94/5   71 notes
Résumé :
Gonzalo, fils d’un viticulteur d’un petit village d’Estrémadure, s’enfuit pour éviter le service militaire instauré par les franquistes et le destin médiocre auquel il se croit promis. Mais, après des années passées en France et un amour malheureux, il embrasse de nouveau ses racines et l’immuabilité de la vie rurale.
Il devient alors pour les autres le confident, celui à qui chacun peut livrer les grandeurs et les misères de son existence. Car c’est le portr... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (18) Voir plus Ajouter une critique
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Gonzalo quitte son petit village d'Estrémadure pour éviter l'armée (sous Franco) et ne pas devenir viticulteur comme son père. Il le craint, sait que celui-ci ne serait pas d'accord et part donc, avec l'aide d'un copain, sans mot dire et sans papiers... Il se retrouve en Allemagne où il devient un improbable danseur de flamenco et il se produit dans des cabarets avec deux compagnons d'exil. le trio décide de passer en France, mais Gonzalo se fait arrêter dans le train. Pour éviter les ennuis et le rapatriement, il s'engage à la Légion étrangère. Suit une période de sa vie qui, contre toute attente, lui plaît beaucoup, surtout grâce aux voyages qui satisfont sa curiosité. À Toulouse, il rencontre une plantureuse Guadeloupéenne avec laquelle il s'installe et vit plusieurs années. Mais ils ne se supportent bientôt plus et Gonzalo envisage un retour au pays…
***
Gonzalo est le premier des narrateurs et il interviendra sept fois sur les quinze chapitres que compte ce bref roman. Les huit autres narrateurs sont des habitants, originaires du village ou plus récemment installés, qui vont confier à Gonzalo, au fil des années, leurs espoirs, leurs craintes, leurs amours, leur honte, leurs secrets les plus enfouis. Peu après son retour, ému par l'accueil chaleureux qu'on lui a réservé, Gonzalo a lui-même confié ses problèmes au petit groupe de parents et d'amis auxquels il fait confiance, et c'est comme si ces confidences intimes avait permis à chacun de s'épancher à son tour. Tout le malheur du monde est là, dans le microcosme du village : l'inceste, la xénophobie, l'homosexualité honteuse et refoulée, la prostitution, la folie, la cruauté, le sexisme, l'insatisfaction, l'impuissance, etc. Chaque intervenant porte son expérience comme une douleur jamais apaisée et longtemps refoulée. Mais le temps passe, et parfois la souffrance s'atténue, parfois même une joie vient la remplacer : un nouvel amour, l'arrivée d'un enfant ou la concrétisation d'un rêve.
***
J'ai beaucoup aimé Gonzalo et les autres. Je me suis projetée dans le village où j'ai vécu une quinzaine d'années, où chaque personne connaît l'autre, où la pure malveillance côtoie la bonté et la générosité, où toutes les expériences de vie se trouvent réunies, des meilleures aux pires. L'écriture de Bénédicte Belpois est simple, mais forte et généreuse. On sort de ce roman avec le sourire. Pourtant, en y repensant, j'ai trouvé que l'autrice nous présentait des portraits de femmes bien peu positifs, alors que, me semble-t-il, les hommes s'en tirent un peu mieux, en tout cas ceux qui se confient à Gonzalo. Toutes et tous, cependant, font preuve d'une solidarité et souvent d'une ténacité et d'un courage qui les rendent attachants, particulièrement le solaire Ezra.
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La vie après l'exil

Le troisième roman de Bénédict Belpois confirme une nouvelle fois son talent pour sonder les âmes, au plus profond de l'intime. Autour de Gonzalo, les personnages racontent leurs relations, leurs amours, leurs espoirs.

Déjà dans Suiza, son magnifique premier roman, Bénédicte Belpois nous entrainait en Espagne. Et déjà, elle parlait d'exil et de rencontres. Et déjà, elle faisait de gens ordinaires des héros. Mais rassurez-vous, Gonzalo et les autres a beau aborder les mêmes thèmes, il n'en reste pas moins un roman original et singulier.
Nous sommes cette fois dans l'Espagne de Franco, non plus en Galice mais en Estrémadure, dans un petit village qui n'offre guère de perspectives à Gonzalo, sinon celle de rejoindre les rangs de l'armée franquiste. Aussi décide-t-il de partir. Grâce à son copain Marco qui a entendu parler d'un munichois à la recherche d'un groupe de flamenco, il part en compagnie de Guzmán le guitariste et de Pilar, «l'âme de notre groupe, la seule à posséder le duende». Malgré une formation aussi accélérée qu'approximative, les choses se passent plutôt bien. Sauf que le spectacle de flamenco n'a qu'un temps et les voilà remerciés. Il leur faut trouver un autre emploi. Ils partent alors pour la France où on cherche des maçons et des femmes de ménage.
Dans le train, du côté de Lyon, Gonzalo est arrêté par la police et n'a qu'une alternative, rentrer en Espagne où intégrer la légion étrangère. Il choisit les képis blancs et entame alors une période assez exaltante de sa vie, voyage et fait des rencontres. À Toulouse, il fait la connaissance de Fanfan, «une Guadeloupéenne d'un an mon aînée qui m'avait regardé comme une pâtisserie, et embrassé de ses grosses lèvres rouges au bal du Nouvel An du régiment.»
La vie de Gonzalo aurait alors pu être belle. Mais l'amour n'étant pas une science exacte, leur relation va s'étioler. Il voit alors dans un retour au pays la possibilité d'un nouveau départ.
Bénédicte Belpois a choisi le roman choral qui lui permet de donner successivement la parole aux différents personnages. C'est la Tia Caya qui ouvre le bal, elle qui vient de recevoir le courrier de son neveu lui annonçant son retour. Puis vient le tour de la Nina qui, comme Gonzalo a choisi l'exil. Suivront Chico et Mange-Miette, qui finira par épouser Gonzalo - qui a finalement accepté le contrat matrimonial élaboré par son père, même s'il n'aime pas cette épouse qui ne rêve que de faire carrière dans la mode. Marco le copain d'avance, qui l'a aidé à fuir et qui l'a ensuite regretté, notamment en voyant le chagrin de son père prendra aussi la parole. Tout comme Fanfan, dont Gonzalo aurait bien aimé connaître le destin. Ezra, Blanca, Nina, Marie-Té, Poco nous confieront aussi leurs bleus à l'âme.
Des confidences sur leurs amours, leur parcours de cabossés de la vie qui vont s'accompagner ici d'un regret ou là d'une envie.
Bénédicte Belpois sait trouver les mots qui émeuvent, raconter les histoires pour nous toucher au coeur. Même si face à ce maelstrom Gonzalo est un peu désemparé. Si la passion amoureuse s'en est allée, reste l'expérience d'une vie mouvementée et une philosophie faite de bonté et de sagesse.

Lien : https://collectiondelivres.w..
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Après Suiza, Saint Jacques, je me suis laissé prendre à la lecture de ce dernier livre de Bénédicte Belpois.

Nous sommes en Espagne, sous Franco. Gonzalo a 16 ans et il ne veut ni faire son service militaire, ni travailler à la vigne avec son père.
Il part en Allemagne avec deux amis où ils donnent des représentations de flamenco. Toujours sans papiers et désireux de partir sur Nice, ils prennent le train et durant le voyage, Gonzalo est arrêté par la police.
Pour ne pas retourner en Espagne, toujours sous le régime franquiste, il s'engage dans la Légion.
Après plusieurs années, Gonzalo souhaite retourner au pays où il est accueilli à bras ouverts.
Il devient alors le confident de tout son entourage…

Comme dans ses autres livres, Bénédicte Belpois écrit dans un style simple et la lecture de ses pages est facile.
Même si parfois les descriptions sont crues, il émane de ses mots beaucoup de poésie.
L'Espagne y est joliment dépeinte.
Les personnages sont très attachants et les liens qui les unissent semblent indéfectibles.

La construction de ce livre est assez originale. Il m'a semblé être un recueil de nouvelles. En effet, chaque chapitre concerne une personne et l'histoire qui y est contée est indépendante des autres.
Le lien alors ? La présence de Gonzalo dans chacun de ceux-ci.

Et bien sûr, une fin inattendue…!!!

Ce livre déborde d'amour et dans ces périodes très troublées ça fait beaucoup de bien. Je vous encourage à le découvrir.
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Je suis Bénédicte Belpois depuis son premier roman "Suiza" (2019), magistral et poignant, qui mettait en scène des personnages déglingués par la vie mais d'une humanité et d'une sincérité émouvantes.
Nous voilà en Espagne, en Estremadure, dans un petit village que Gonzalo a fui à 20 ans pour éviter le service militaire sous Franco et échapper au destin de viticulteur tracé par son autoritaire de père. Après quelques années en Allemagne, puis en France dans la Légion et un amour délité, il retourne chez lui où il est accueilli à bras ouverts par tous ceux qui l'ont connu; chacun se confie à lui et c'est la vie d'un village qui se dessine, avec ses secrets, ses amours, ses amitiés, ses douleurs.

A nouveau, l'auteure nous fait rencontrer des personnages abîmés par la vie mais pleins d'humanité; chacun se raconte sans fard, sans auto-apitoiement, dévoile ses attentes, ses espoirs déçus. On sent toute la tendresse et l'empathie de Bénédicte Belpois pour ses personnages si vrais, si humains.

C'est le roman des racines, qu'elles soient celles de la naissance ou celles du coeur; se sentir chez soi ne veut pas forcément dire retourner dans le pays où on est né. Se sentir chez soi, cela peut être aussi de vouloir être enterré dans la terre qui vous a vu naitre.
C'est aussi le roman de l'amour : d'un père pour son fils malgré l'incompréhension, d'un père pour sa fille qui n'est pas de lui, d'une nourrice pour les enfants qui lui sont confiés, l'amour à côté duquel on passe par peur, par fierté, par égoïsme, l'amour salvateur d'un homme simple pour une prostituée qui fuit sa condition, l'amour fou d'un homme pour sa femme, qui se sent exclu, rejeté par l'arrivée d'un enfant, l'amour d'un homme pour un autre qui ne s'éteint jamais malgré les interdits et la séparation.
J'ai retrouvé ce qui m'avait tant touché dans "Suiza", la pudeur des sentiments qui leur confère force et sincérité, l'écriture douce et sensible de Bénédicte Belpois malgré les vicissitudes de la vie qu'affrontent ses personnages.
Un très beau roman lumineux.
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Estrémadure, en Espagne. Gonzalo est de retour dans son village après un exil de plusieurs années. En effet, le jeune homme avait fui la dictature et l'obligation du service militaire. Il s'est alors retrouvé sur les routes d'Allemagne, mais également celles de France, où il est tombé amoureux, avant de décider qu'il était temps de retourner chez lui, pour y retrouver son père, mais également les autres habitants.

Je ressors conquise par ce court roman, empli de couleurs, généreux, et dans lequel l'auteure laisse parler son franc-parler et sa prose tout en nuances.

J'ai tout aimé dans ce récit. Bénédicte Belpois a réussi à retranscrire l'ambiance particulière des petits villages à la perfection. Effectivement, tout le monde se connaît, tout le monde a quelque chose à dire sur son voisin et les bruits circulent avec une aisance déconcertante. Pourtant, chacun des habitants a bien des secrets enfouis.

Tout au fil des pages, j'ai ainsi fait la connaissance de ce microcosme particulier, et j'en ai appris davantage sur chacun des personnages importants qui contribuent à l'équilibre de Gonzalo, ou qui gravitent autour de lui au quotidien.

Beaucoup d'entre eux m'ont terriblement touchée de par leur histoire personnelle souvent très compliquée. Chacun des personnages va profiter de l'occasion du retour de Gonzalo pour s'ouvrir à lui. Cela donne droit à un récit généreux et authentique.

Ce roman, c'est aussi une invitation au voyage. En effet, les références à l'Espagne sont très nombreuses et c'est une véritable promenade littéraire é que propose ici l'auteure.

La plume de l'auteure m'a totalement conquise. Avec un style généreux, franc et sans détour, elle aborde une multitude de thématiques difficiles. Dès les premières pages, j'ai su que ce roman me plairait, notamment grâce à la manière d'écrire de Bénédicte Belpois. Chaque chapitre est consacré à l'un des personnages qui tient une place importante dans le quotidien de Gonzalo ou dans le village.

Un roman dans lequel l'auteure réussit à la perfection à retranscrire l'ambiance d'un village dans lequel évolue une galerie de personnages très bien dépeints. À découvrir.
Lien : https://mavoixauchapitre.hom..
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critiques presse (2)
LeMonde
11 avril 2023
On pourrait même décrire Gonzalo et les autres comme un roman dont l’enjeu est d’autoriser les passions, et les contradictions, à infuser le discours des personnages.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LaLibreBelgique
16 janvier 2023
Troisième roman pour Bénedicte Belpois dont le récit s’ancre dans un petit village d’Espagne où rien ne se sait ni ne se dit mais où tous se confient à Gonzalo à son retour d'exil.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Gros Salaud
Aujourd’hui j’ai écrit à la Tía Cayetana.
Elle seule peut faire quelque chose pour moi. Elle ira parler au Père, certainement, elle plaidera ma cause. Elle a toujours trouvé les mots pour l’adoucir et il l’écoute comme un oracle depuis l’enfance.
Pour ma lettre, j’ai acheté un bloc de papier, du vélin surfin, c’était beaucoup plus cher, mais je voulais quelque chose de noble pour embellir mes mots. Mon erreur a été de prendre des pages unies, j’aurais dû choisir un bloc ligné, je n’écris pas droit, même avec le guide.
Je ne savais pas par où commencer, je mordais mon stylo comme à l’école, j’écrasais sa pointe sur une feuille déclassée en brouillon, je gigotais sur ma chaise. Fanfan dormait, ou plutôt cuvait, je l’entendais ronfler devant la télé, il était impossible qu’elle me dérange. Je m’étais installé à la cuisine, la fenêtre ouverte sur les toits orange, je regardais le ciel bleu qui moutonnait d’agneaux bien blancs et je n’écrivais rien.
C’était plus dur que je ne l’avais imaginé, parce qu’il fallait que je me rhabille d’espagnol, ce que je n’avais pas fait depuis des années. Les mots se bousculaient à mes lèvres en français, teintés d’un peu de créole. La seule chose dont j’étais sûr, c’est qu’il fallait commencer par le jour de mon départ, remonter le cours du temps, revenir des années en arrière. À l’époque, j’avais à peine vingt ans, je ne savais pas encore qui j’étais. Tout ce que j’avais en tête, c’était d’éviter le service militaire : perdre tout ce temps pour apprendre à tuer mon voisin, ce n’était pas pour moi. Je demandais juste qu’on me laisse tranquille. Le Père, il avait déjà tracé mon chemin, il ne voulait rien entendre d’autre. D’abord l’armée certes, puisque je ne pouvais pas y couper, mais ensuite les vignes : reprendre l’exploitation, devenir un paysan, même si viticulteur semblait plus élogieux de prime abord. Mon avis importait peu, mais moi je voulais quitter cette terre sèche et cuivrée, qui vous colle aux chaussures comme de la poix dès qu’il tombe trois gouttes, et voir autre chose que des chênes verts à perte de vue. Je me suis dit qu’il fallait que je lève le camp, que je parte loin, qu’on ne puisse pas me retrouver. Que je disparaisse d’un seul coup, sans prévenir, qu’on ne cherche pas à me retenir par simple piété filiale ou par d’autres moyens. Je voulais voir du pays comme on dit, découvrir d’autres horizons que les rues du village, la place de la Constitution ou le bar El Escudo. Quand on est jeune, on croit bêtement que la liberté d’esprit est uniquement une liberté de mouvement, et que l’obtenir vous émancipe pour toujours du joug familial.

C’est mon copain Marco, le fils de l’épicier, qui m’a aidé. Je lui avais ouvert mon cœur un soir de déprime et j’avais par la suite disserté des nuits entières sur mon opposition à l’embrigadement, sur mes rêves de fuite. Je savais qu’il connaissait du monde : il traversait régulièrement le pays de part en part, avec son père, pour trouver de nouveaux fournisseurs. Je l’avais surnommé Marco Polo, tant il m’éblouissait avec ses récits de voyage : il connaissait les Asturies et la Galice, la côte méditerranéenne, Madrid. Les samedis soir, quand nous nous retrouvions sur la place, il me décrivait toute l’Espagne, et même un peu de la France. Il avait « passé la frontière ». Je rêvais de larguer les amarres moi aussi, de découvrir un monde nouveau où je serais libre comme l’air et où, bien sûr, je ferais fortune pour pouvoir, dans mes vieux jours, revenir en héros. À mon frère de lait, Ezra, j’avais même proposé de venir avec moi, puisque lui non plus ne voulait pas faire le guignol pour Franco, mais il avait décliné mon offre, sans m’expliquer son choix, comme à l’accoutumée. Il ne parlait pas, ou si peu, que beaucoup le croyaient muet ou demeuré. J’étais persuadé qu’il comptait se faire réformer comme cinglé et de fait, moi-même, son seul et unique ami, son presque frère, je me demandais parfois s’il ne l’était pas.
Devant ma détermination, Marco Polo s’était renseigné pour moi à droite et à gauche auprès de son réseau d’amis et de connaissances. Sa proposition, un dimanche de printemps, fut bien au-delà de mes espérances. Il pouvait me faire traverser l’Espagne, la France et une bonne partie de l’Allemagne pour aller à Munich. Là-bas, un travail dans un hôtel m’attendrait. Un grand cabaret assez réputé où il suffirait de faire un peu de flamenco pour gagner de l’argent. Je lui avais bien répondu que je chantais comme un pied, mais il affirmait que ce n’était pas grave, que l’important était d’avoir une belle gueule d’Espagnol, que de toute façon les Allemands n’y entendaient rien au flamenco. Pour lui, je devais me contenter de brailler en rythme pour les satisfaire. Il assurait que mon succès viendrait de mes yeux luisants, de mes cheveux noir charbon, de ma maigreur de chat écorché et du cuivré de ma peau. Les grosses Prussiennes allaient m’adorer et, à l’entendre, j’aurais là-bas le succès que je n’avais pas eu le temps d’avoir ici. Toujours selon lui, il en allait de l’amour comme du reste, nul n’est prophète en son pays, et il le jurait sur sa vie : mon côté exotique déchaînerait les passions outre-Rhin.
Grâce à Dieu – et cela finissait de me rassurer – je ne partais pas seul, nous serions trois à faire partie de la troupe. Guzmán le guitariste, un grand type plutôt affable qu’on surnommait El Bueno comme le capitaine du même nom, et la vieille Pilar, l’âme de notre groupe, la seule à posséder le duende. Elle dansait et chantait depuis sa plus tendre enfance, et elle aurait la lourde tâche de m’apprendre le métier le long du chemin, je n’avais pas à me faire du mouron.
Je suis parti un matin, un an tout juste après le retour au village de la Tía Caya. Déjà à l’époque, son crime, son procès retentissant et sa relaxe lui avaient conféré un statut particulier, elle était devenue une sorte de célébrité locale. Je lui ai laissé une lettre pour le Père, je savais qu’elle saurait apaiser un tant soit peu sa fureur. J’avais aussi écrit un mot à Blanca, ma nourrice, en lui demandant de me pardonner de partir sans l’embrasser, et avoué que j’avais peur de ne plus avoir une once de courage si elle pleurait à cette annonce. Je l’assurais de mon amour éternel et je lui confiais entièrement Ezra qui avait encore tant besoin d’elle. J’avais accompagné mon message d’un cadeau : un moulin à vent en bois que j’avais fabriqué selon ses vœux, pour poser sur le rebord de sa fenêtre afin de savoir, au jour le jour, si elle devait se couvrir la tête avant d’aller faire ses courses. J’avais promis de revenir avant qu’il ne soit trop usé.

Au début du voyage, j’ai été, malgré quelques remords vite dissipés, vraiment heureux. La route était belle, personne ne parlait dans le bus, je pouvais me concentrer sur le paysage. Par la fenêtre j’admirais la mosaïque colorée des champs. Le jaune vif de l’herbe brûlée par les frimas collait au chocolat gras des terres labourées, au vert acide des blés d’hiver. Les murets de pierres sèches venaient ourler les parcelles pour les contenir, on sentait partout la main de l’homme sur l’œuvre de Dieu. Des lapins détalaient dans les fossés, des cigognes tendaient la jambe et le bec dans l’herbe verte qui commençait à s’épaissir. Même si je ne pouvais pas le sentir sur ma peau enfermée, je savais que se hâtait au ras du sol le vent de la Sierra, glacé d’avoir discuté avec la neige, loin là-bas sur les hauteurs. Je me disais que moi, Gonzalo, j’allais voyager encore plus loin, et qu’en Allemagne les montagnes seraient encore plus hautes, plus blanches, plus fortes. Même Marco Polo n’avait jamais vu les Alpes. J’avais hâte, mon âme entière trépignait d’impatience et, dans le silence relatif du bus, la tension interne de mon corps m’empêchait de somnoler comme Guzmán et Pilar, malgré la lourdeur de mes paupières. J’aurais voulu rouler plus vite, quitter plus rapidement cette Espagne qui n’avait plus rien à m’offrir sinon de jolis paysages, alors que m’attendaient, au-delà de ce monde connu, l’éblouissant et le majestueux.

Le bus nous a laissés à Canfranc, nous avons passé la frontière à pied, avec nos baluchons. Le passeur avait l’habitude, il savait quels sentiers prendre pour éviter les contrôles, nous n’avions pas de papiers. Il nous a accompagnés jusqu’au col du Somport, en France. C’était déjà la liberté, du moins je le croyais. La féerie a continué, nous avons voyagé plusieurs jours sans encombre pour arriver à Munich. Nous dormions dans des petits hôtels sans nom, où les gens nous regardaient comme des voleurs de poules, même si nous nous présentions comme une troupe de musiciens. Pilar m’apprenait le flamenco le soir dans la chambre, et ça me plaisait. El Bueno nous accompagnait à la guitare, la clope au bec, avec un air inspiré. Au bout de quelques jours seulement, ça ressemblait à quelque chose, je devais quand même avoir ça dans le sang, comme tous les natifs d’Estrémadure. J’avais juste du mal à retenir les paroles, mais Pilar disait que ce n’était pas grave : elle m’apprenait à mâchonner correctement, El Bueno grattait alors un peu plus fort et ça faisait toujours un bel effet. J’ai longtemps regretté ces soirées de saltimbanques, dans des chambres tristes aux vitres embuées et aux papiers peints fanés. Il me semblait que pour illuminer la misère, nous avions emporté avec nous un peu de notre soleil, celui de juillet qui nous avait tellement grillé la peau qu’il rayonnait à présent hors de nous et qu’il nous réchauffait encore. Quoi qu’il en soit, en arrivant à Munich, j’étais fin prêt.

L’Allemagne, ce fut une bonne expérience. Nous avions une chambre pour nous trois, et un peu de temps libre les après-midis. Nous allions nous promener dans les rues et les parcs, les gens étaient gentils. Le soir, avant le spectacle, Pilar réchauffait un peu de café et nous mangions des viennoiseries achetées en ville qui sentaient la cannelle et qui ne ressemblaient en
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Écoute la musique, disait-elle, n’écoute que ça. Sers-toi de ton corps pour me dire ce que je dois faire, comment je dois danser pour t’accompagner. Sers-toi de moi, pour être toi, laisse faire l’âme du tango.
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Aujourd’hui, j’ai enfin eu le courage qui m’avait manqué jusqu’alors. J’ai regardé le ciel bleu par-dessus les toits et je me suis dit que là-bas, chez moi, il devait être encore plus beau. J’ai pris la fameuse feuille blanche de vélin surfin et j’ai commencé. Les mots sont venus. Au début, un à un, avec difficulté, puis rapidement j’ai ouvert les vannes.
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Il faut que je me barre.
[…] J’ai tout préparé et j’ai peaufiné mon plan pendant plus d’un an. Un an d’angoisse pure, et d’une trouille à se pisser dessus que Tony ne soupçonne quelque chose. Il me regardait avec méfiance, depuis ce fameux jour où je lui avais dit que je voulais arrêter la prostitution, que je voulais reprendre mes études. Le soir même, il était venu avec le gros Moussa et ils m’avaient violée et tabassée toute la nuit pour m’ôter l’envie de jouer les intellectuelles, me rappeler ce que j’étais : une pauvre petite pute
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Fais attention à comment tu parles à ta femme, Gonzalo, une même parole peut être une figue mûre ou un couteau dans ton ventre selon comment tu l’utilises.
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« Suiza » paru chez Gallimard, premier roman de la bisontine Bénédicte Belpois, ne peut laisser indifférent. Ecrit d?une plume absolument remarquable, il nous emmène en Espagne auprès de Tomas et Suiza, personnages passionnés et émouvants, abîmés par la vie.
Interview réalisée par Bénédicte du blog Au fil des Livres Montage : Grand Besançon Métropole
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