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Critique de Goldlead


C'est une évidence que relèvent immédiatement tous les lecteurs : le pouvoir de séduction, de perturbation et de questionnement de Jeanne Benameur tient avant tout au charme et à la force de son écriture. Affaire, probablement, de rayonnement personnel, au moins autant que d'un talent acquis et travaillé. Mais, chez elle, histoires et personnages sont souvent, comme on dit « trop beaux pour être vrais ». D'où l'impression que, dans la place originale qu'elle occupe dans la littérature d'aujourd'hui, l'auteure serait surtout une « conteuse de l'écrit » plutôt qu'une véritable romancière.

Que dire de cette écriture magique et fascinante ? Sensible, légère, poétique, éminemment féminine, elle a toutes les fluidités (lenteurs et remous, détours et retours) et même la musicalité de l'eau qui court. Toute en rapprochements ou décalages subtils qui déroutent les chemins tout tracés et le cours ordinaire des mots et des pensées, pour donner chance à des échappées soudaines, des intuitions nouvelles, des aperçus insoupçonnés. Étrange et pourtant familière, elle dérange juste ce qu'il faut les habitudes, les évidences, les certitudes et le petit « chez soi » bien rangé, rassurant et confortable, pour forcer les serrures, semer le doute, libérer des possibilités… Vraiment on peut le dire, Jeanne Benameur nous prête ses yeux pour voir, sa chair pour sentir, ses mots pour penser, son imagination pour dilater et enrichir notre expérience du réel et des êtres. Je sais bien qu'après Schopenhauer, Proust ou Bergson, le propos fait cliché, mais tant pis, une fois de plus il se vérifie. Et remarquablement...

À preuve, les quelque 150 citations relevées ici-même par les lecteurs de Babelio. Par exemple :

« Quel âge avons-nous lorsque nous dormons ? À qui donnons-nous la main dans nos rêves ? Les vivants et les morts ne sont-ils pas attablés ensemble, simplement, parce que nous les aimons et que la nuit, plus rien ne marque de frontière ? » (p. 132)

« Chacun se blottit encore dans sa langue maternelle comme dans le premier vêtement du monde. La peau est livrée au ciel nouveau, à l'air nouveau. La parole, on la préserve. » (p. 7)

« C'est quoi une frontière ? La seule frontière, fragile, palpitante, c'est notre propre peau. La seule frontière c'est ce qui sépare le dedans du dehors. Et quelle folie d'en avoir inventé tant d'autres ! »

« Les rêves d'avenir se glissent mieux dans ces heures qui précèdent le matin. On dit "le petit matin" mais il n'y a pas de petit matin. Chaque matin porte la grande promesse. Même si elle est usée et que certains préféreraient encore garder les paupières baissées, blottis dans l'ombre du sommeil. » (p. 269)

Oui, (splendide métaphore qui siérait au jeune photographe Andrew) l'art est un révélateur qui, du papier blanc, fait sortir en traits de plus en plus nets l'image qui y était contenue, d'abord invisible. Et quoi de plus urgent et essentiel que de nous ouvrir ainsi les yeux sur la réalité profonde de ce drame explosif et refoulé qu'est aujourd'hui le phénomène migratoire ! Et pourtant je me retrouve aussi dans l'expérience mitigée et frustrée de lecteurs comme Cannetille ou TerrainsVagues, qui (malgré leur admiration) parlent l'une de « trop-plein d'exaltation », l'autre d' « évasion dans la collection Harlequin »… Il me semble plutôt que Jeanne Benameur cède à ce « penchant trop penché » qu'elle attribue joliment à l'un de ses personnages p. 264. Comme si elle se laissait finalement griser elle-même par les mots, déborder par les bons sentiments et cédait au vertige du rêve, de la beauté ou de l'idéal. Identifiant symboliquement chacun de ses personnages à une couleur, elle finit en effet par esquisser une sorte de happy end dans l'harmonie de toutes ces couleurs, donnant ainsi l'impression d'arranger tous ces destins comme on ferait de fleurs dans un bouquet.

C'est sans doute là la magie (ambivalente comme on sait : blanche et noire, féerique ou maléfique) des mots, de la littérature et de l'art en général. Pouvoir de pénétrer le réel, de percer ses apparences, d'en dénuder l'essence, pour le mieux comprendre, éprouver ou affronter. Mais pouvoir aussi de s'en évader, de le trahir, de faire diversion ou de succomber parfois aux « paradis artificiels ».
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