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Ceux qui partent » pour refaire leur vie sur un nouveau continent, ceux qui meurent, ceux qui nous quittent... Partir peut être libérateur, et l'on peut voir dans chaque départ non-pas une fin, mais un (re)commencement. Donato et sa fille Emilia, par exemple, ont volontairement quitté l'Italie, où plus rien ni personne ne les retenait et où leurs souvenirs les étouffaient, pour démarrer une nouvelle vie plus libre à New-York. Dans le bateau avec eux, des gens du voyages que les guerres ont chassés, forcés pour leur part de quitter les routes pour rejoindre Ellis Island via l'océan. Parmi eux Gabor, qui se demandera en rencontrant Emilia s'il a trouvé son coeur d'attache, ou s'il doit partir, encore, suivre les siens. A l'arrivée, un photographe amateur s'imprègne de cette ambiance d'exil pour retrouver un peu de l'histoire de sa propre famille, elle-même immigrée, dont il ne connaît pas tous les secrets et dont les silences le hantent. Enfin son meilleur ami, Matthew, est quant à lui parti ailleurs tenter de trouver l'oubli d'un chagrin d'amour… Naviguant d'un personnage à l'autre,
Jeanne Benameur nous fait certes toucher du doigt les conditions d'arrivée de ces immigrés, et les réactions qu'elles provoquent en chacun d'eux ; Mais plus encore, elle sondent les coeurs de
Ceux qui partent.
Si ce roman aborde les raisons qui peuvent nous pousser à tout quitter, ainsi que les conditions matérielles et morales de cet exil, il montre surtout la difficulté psychologique du déracinement, même lorsqu'il est volontaire. le moment où, arrivant en terre inconnue, on se rend compte qu'on est plus ici qu'un étranger, qu'on ne connaît personne, qu'on ne connaît peut-être pas la langue qui permettrait de comprendre, et de se faire comprendre parmi des gens qui, parfois, ne veulent pas de nous. Heureusement alors, il existe le langage du coeur. Aussi ce roman raconte plus encore ce qui peut faire renaître et, plus important peut-être, ce qui peut donner envie de renaître, à soi et aux autres, de s'ouvrir, de refaire ses propres racines dans un nouvel endroit, avec de nouvelles personnes. Ce moteur, ce sont souvent les gens, leur humanité qui nous touche, nous inspire. Des inconnus la plupart du temps, du moins au départ. Des personnes vers qui la vie nous pousse, chez qui l'on reconnaît la petite étincelle qui nous manque et celle, complémentaire, reconnaissante, qu'on pourrait offrir. L'humanité en somme, qui n'est en réalité rien moins que l'amour de l'autre, l'amour à des degrés différents. Ce qui transcende la barrière de la langue ici, c'est le langage du coeur et des corps.
Avec la sensibilité à fleur de peau qui la caractérise, l'auteure se coule avec aisance dans les sentiments de ses personnages, hommes ou femmes, qui nous guident dans ce voyage éprouvant et lointain. Si l'histoire ne m'a pas immédiatement séduite et touchée comme l'avait fait
Otages intimes, ce roman a fini par me faire entendre la mélodie attachante des mots et pensées des personnages. En nous approchant au plus près d'eux,
Jeanne Benameur nous fait ressentir qu'ils ne sont pas des numéros parqués dans l'attente, mais des coeurs qui battent, des corps qui vivent. Ils sont comme nous, avec leurs décisions, leurs obligations, leurs émotions. Plus que nous montrer l'inhumanité de certaines arrivées, elle choisit de nous montrer l'humanité de
ceux qui partent. Plutôt que d'insister sur nos différences, elle met en valeur ce qui nous lie. Je dois admettre que ce n'est pas le thème qui m'a emballée mais la plume, qui demeure l'une de mes favorites car capable de me faire approcher toutes les situations avec sensibilité. C'est pour ça que je continuerai à lire
Jeanne Benameur même si, cette fois, je n'ai pas été passionnée par l'histoire ni, malheureusement, ses personnages.
« Les émigrants ne cherchent pas à conquérir de nouveaux territoires. Ils cherchent à conquérir le plus profond d'eux-mêmes parce qu'il n'y a pas d'autre façon de continuer à vivre lorsqu'on quitte tout.
Ils dérangeront le monde où ils posent le pied par cette quête même.
Oui, ils dérangeront le monde comme le font les poètes quand leur vie même devient poème.
Ils dérangeront le monde parce qu'ils rappelleront à chacun, par leur arrachement consenti et leur quête, que chaque vie est un poème après tout et qu'il faut connaître la manque pour que le poème sonne juste.
Ce sera leur épreuve de toute une vie car lorsqu'on dérange le monde, il est difficile d'y trouver une place. »
« Rien n'appartient à personne sur cette terre, sauf la vie. »